Le 4 février 2025
The Flats est un documentaire âpre, profondément difficile à soutenir. Mais voilà une œuvre nécessaire à l’heure où nombre de communautés en Europe ou ailleurs voudraient céder aux sirènes du populisme et du nationalisme.


- Réalisateur : Alessandra Celesia
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Britannique, Français, Irlandais, Belge
- Distributeur : Les Alchimistes
- Durée : 1h54mn
- Date de sortie : 5 février 2025

L'a vu
Veut le voir
Résumé : Dans sa tour HLM de New Lodge, Joe met en scène des souvenirs de son enfance vécue durant les « Troubles » conflit armé qui déchira l’Irlande du Nord des années 60 à 1998, et fit particulièrement des ravages dans ce quartier catholique de Belfast. Jolene, Sean, Angie et d’autres voisins se joignent à lui pour revisiter leur mémoire collective, qui a façonné leur vie et leur quartier.
Critique : Depuis 1998, la guerre est civile est terminée. Du moins en apparence car les cicatrices et les plaies laissées par quarante années de conflits fratricides entre les catholiques et les protestants irlandais, avec comme arbitres partisans les policiers britanniques. Le nationalisme, sous couvert d’appartenance religieuse et communautaire, n’est jamais loin autour de ces figures qui témoignent d’un combat encore sensible dans les esprits, et d’une ville dévastée par l’alcool, la drogue et les violences conjugales. Alors, il faut bien revivre les évènements tragiques qui ont défiguré l’Irlande du Nord et c’est tout l’enjeu de cet habitant débonnaire, Joe, qui restitue à sa manière les souvenirs enfouis dans la conscience collective, pendant que son quartier cède sous ses yeux aux trafics de drogue.
- Copyright Les Alchimistes
Flats tire son nom de ces drapeaux que les habitants hérissent depuis leur balcon ou sur une tour de fortune construite à partir de palettes de bois. Chacun continue en secret de revendiquer la paternité historique de la terre, justifiant le parti pris sur les crimes commis hier, en dehors de toute foi et toute loi. La caméra d’Alessandra Celesia va à la rencontre de ces visages meurtris par des séparations, des deuils, et des images d’hier où l’on voit les manifestants incendier les commerces et les habitations. Le pire, c’est que cette histoire s’est passée pendant quarante ans au cœur même des frontières européennes, dans une sorte de silence compatissant des peuples qui entouraient le Royaume-Uni. Heureusement, il y a le réalisateur Ken Loach et d’autres qui ont porté dans leur cinéma le souvenir coupable de ces quatre décennies ans de conflits civils.
Le documentaire est construit sur la superposition de deux temporalités. La première constitue le quotidien de Joe qui remet en scène à sa manière les traces brutales de son enfance, là où la seconde restitue par des images d’archives bien connues les combats fratricides entre les communautés d’Irlande du Nord et les témoignages de personnes de l’époque, marqueurs d’une réconciliation impossible. Le deuil n’a jamais pu se faire, raison pour laquelle les amis et les familles réécrivent des cérémonies funéraires dans leurs appartements, où chacun tente d’espérer une quelconque justice de l’Histoire. Et la lutte se poursuit inlassable, avec des tentatives d’empoisonnement du chien de Joe par les dealers du quartier, et des rancœurs qui ne s’éteignent pas.
- Copyright Les Alchimistes
The Flats montre avec effroi qu’à Belfast ou ailleurs, la guerre pourrait de nouveau surgir. Un hélicoptère survole la ville et il flotte un air guerrier qui ne dit pas son nom. Les enfants insultent la police pendant que les retraités se regroupent autour d’une statut de la Vierge pour prier. Un petit garçon roux surgit et se rejouent à travers lui les souvenirs pétris de colère et de rage que Joe tente de panser. Il essaye de donner du sens à l’insensé dans la figure de ce gamin, instrumentalisé aux seules fins de sa tristesse éternelle. On n’est pas dans du théâtre, du cinéma, mais dans une tragédie glauque où les personnages d’aujourd’hui incarnent les héros de l’enfance de Joe qui tentait de survivre à la barbarie. Alors l’homme pleure beaucoup, emporté malgré lui dans des traumatismes passés qui continuent de le broyer de l’intérieur, ou tire des balles perdues depuis sa fenêtre.
Dans une langue frontale, incendiaire, Alessandra Celesia restitue la guerre de ceux qui l’ont subie, alors qu’ils étaient enfants. La souffrance s’est perpétuée d’une certaine façon avec la drogue, l’alcool, dans le Belfast contemporain. En ce sens, The Flats fait le constat des ravages de la guerre qui continuent de hanter les souvenirs ou les corps des Irlandais du nord. Il y a notamment cette femme étendue sur un lit, nourrie par sonde, qui ne peut plus parler, ou cette autre qui s’enferme dans une cabine de bronzage en forme de tombe. Une musique surgit et, avec elle, les souvenirs d’un passé traumatique. Voilà donc un film dur, infiniment sensible, dans un langage dépouillé qui parvient à rendre visibles, les plaies jamais soignées de près d’un demi-siècle de lutte.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.