Atelier - Jochen Gerner - chronique BD

Après En ligne(s) (l’Ampoule, 2002) et Branchages (L’Association, 2009), l’auteur continue de présenter ses compositions dessinées durant diverses conversations téléphoniques, agrippant tout objet traçant près de lui et parcourant les feuilles placées à proximité de l’appareil dès qu’il attrape le combiné. Atelier n’est donc pas un récit construit mais se lit davantage comme un répertoire de formes où se côtoient des mots, phrases, couleurs, dessins d’objets, d’animaux, de plantes et de personnages ou simples lignes qui circulent dans la feuille, parallèles les unes aux autres ou au contraire se croisant pour dessiner des trames aux densités variables, aux mailles plus ou moins serrées.

L’auteur conjugue toutes ces inscriptions dans une même dynamique plastique : les traces hétérogènes se trouvent ainsi liées par une même brièveté d’exécution qui bâtit une unité visuelle forte et particulièrement séduisante. À travers cette versatilité graphique, Atelier ne s’appréhende donc pas comme un livre qui se lit, ou pas vraiment. Il se feuillète plutôt, il offre à l’œil des espaces à explorer, où glaner des formes, sélectionner des noms, reconstruire des cheminements de pensée ou recréer des connexions conceptuelles. Comme tout répertoire, il s’examine, se feuillette au gré de la curiosité du lecteur, avant de se reposer pour être repris plus tard et livrer de nouvelles dispositions graphiques qui interpellent, de nouvelles références qui entrent en écho avec d’autres découvertes précédemment ou avec des formes dessinées qui les côtoient sur la même page.

Jochen Gerner / L’Association

Mais ce carnet peut aussi s’appréhender comme un journal intime ou un journal de bord, l’auteur consignant des remarques, retranscrivant des messageries électroniques bien connues des lecteurs ; parallèlement des motifs graphiques apparaissent, persistent, insistent puis finalement s’évanouissent, rendant compte de préoccupations intellectuelles ou de recherches formelles ; dans le même temps, les outils utilisés changent et peuvent évoquer des œuvres particulières de l’auteur pour les familiers de son travail. Ces planches sont ainsi aussi décousues, autonomes et sans logique apparente qu’elles peuvent se révéler éminemment personnelles, progressives voire séquencées en fonction du regard porté par le lecteur.

Jochen Gerner / L’Association

L’objet même du livre intrigue, car il déploie un certain luxe relativement rare chez l’éditeur. L’album bénéficie d’une couverture cartonnée et toilée ainsi que d’un papier crème qui le rendent particulièrement élégant et précieux. Il se crée alors un paradoxe entre la sophistication de l’objet et les dessins automatiques que renferment cet écrin, réalisés instinctivement lors de conversations téléphoniques, sans vraiment réfléchir. Tout cela donne un objet étrange, particulièrement beau, insaisissable, ludique, nourrissant et pertinent, livre qui ne saurait épuiser les sens de lecture et le plaisir des yeux.