Le 11 juin 2025

- VOD : Netflix
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la série Seinfeld, fini de rire bénéficie désormais des faveurs du public hexagonal qui découvre enfin ce chef-d’œuvre télévisuel. Entretien avec l’auteur d’un ouvrage de référence.
Longtemps méconnue en France du fait d’une diffusion trop discrète, la série Seinfeld bénéficie, depuis qu’elle est visible sur Netflix, des faveurs du public hexagonal – qui la découvre enfin pour le chef-d’œuvre télévisuel qu’elle est. Ne manquait peut-être, pour mettre en perspective et mieux comprendre Seinfeld, qu’un ouvrage de référence en français. Cet ouvrage, Hendy Bicaise, créateur des sites Accreds.fr et Travellings.fr, l’a écrit : Seinfeld, fini de rire (éditions Playlist Society, 12 juin 2025) passe derrière le rideau de la psyché des créateurs la série, Larry David et Jerry Seinfeld, et le moins qu’on puisse dire est que l’ouvrage porte bien son nom… Entretien.
Vous tordez dès l’introduction de votre livre le cou à cette légende urbaine – tenace – que Seinfeld serait une « série sur rien ». Mais c’est pour mieux dire qu’elle est peut-être une série sur « presque rien ». Ce « presque rien qu’est la vie », comme le disait Vladimir Jankélévitch.
Oui, parce qu’on peut parler de tout avec presque rien – ce qui était le désir des géniteurs de Seinfeld, Larry David et Jerry Seinfeld, à sa création. Parler du rien, du néant, du vide. Ce « presque rien », c’est aussi la volonté de Jerry Seinfeld de ne pas se prendre trop au sérieux, ou de s’accorder trop d’importance. Ça m’a plu de lire dans les interviews que Seinfeld, à qui on aurait pu prêter un égo surdimensionné à cause du succès de la série qui porte son nom, avait gardé une certaine forme d’humilité.
Dans Fini de rire, vous mettez de fait en avant la part d’ombre de la série ; ce qu’il y a derrière les rires et qu’on ne voit pas de prime abord…
Et tout ce qui ne m’avait pas sauté aux yeux les premières fois que j’ai vu les épisodes. Il y a aussi beaucoup d’éléments qui prennent davantage de sens quand on voit Larry et son nombril, la série créée par Larry David après Seinfeld – sur laquelle je pensais écrire aussi initialement dans cet essai. Ce sont deux séries très consistantes et, en les voyant et les revoyant, j’ai perçu des récurrences, des correspondances que je n’avais pas vues au départ. Je suis donc parti de ces dénominateurs communs, qui sont souvent des obsessions personnelles de Larry David : la mort, la maladie, les chutes, d’avions comme de cheveux… De là est venue mon envie d’écrire.
Vous analysez bien ce manque d’empathie qui caractérise les personnages – et les sépare de l’immense majorité des autres peuplant les sitcoms américaines – et débouche, in fine, sur la violence physique.
Cet aspect-là est un très bon exemple de ce qu’on ne voit pas initialement dans Seinfeld. Surtout, j’ai trouvé intéressant le basculement qui se produit avec le départ de Larry David de la série [que le cocréateur quitte à l’issue de la saison 7, avant d’y revenir pour en écrire l’épisode final, Ndlr]. Un peu comme si David avait servi, consciemment ou inconsciemment, de garde-fou et qu’il empêchait la série de trop se lâcher.
De fait, dans ses dernières saisons, Seinfeld déploie une plus grande énergie qu’auparavant ; une grande excitation qui peut déboucher sur des gestes violents. Bien que le final soit controversé, presque tout le monde s’accorde à dire que Seinfeld s’est arrêtée à un très haut niveau, et uniquement parce que les créateurs l’ont voulu. Cela dit, ceux-ci étaient possiblement habités par cette crainte du déclin ou de la redite qui touche la plupart des séries.
D’où, peut-être, cette volonté de rendre la série plus énergique pour ne pas perdre l’audience, à travers des gestes qui ne tiennent plus du pur slapstick – présent depuis le début de la série – mais d’un slapstick plus nerveux, plus cruel. Qui tient aussi aux scènes en extérieur, parfois avec des cascades – là où les premières saisons étaient bien plus confinées et closes.
Dans Fini de rire, vous citez justement Freud qui parle de « rire pour pallier les affections nerveuses ». C’est là un des piliers de l’humour juif…
Je parle de l’humour juif dans le livre, oui, et mon éditeur était même étonné que je n’en parle pas plus tôt. Cela dit, Seinfeld ne fait pas tant que ça référence à la religion juive puisqu’elle était diffusée sur un grand network et devait composer avec la censure, ne pas dire ou montrer certaines choses. Larry et son nombril, diffusée sur HBO, va par exemple beaucoup plus loin en la matière. Dans cette série-là, ce qu’on a le droit de dire ou pas dire est justement évoqué : dans un épisode qui évoque la diffusion d’un épisode « réunion » de Seinfeld, Julia Louis-Dreyfus dit qu’elle veut que ce soit diffusée sur HBO, pour avoir le droit de dire « fuck » !
Pour revenir à l’humour juif, si je n’en parle pas plus, c’est aussi parce que je me suis rendu compte qu’assez peu d’écrits avaient théorisé ce que c’est. Quand on cherche des livres sur l’humour juif, on tombe souvent sur des catalogues de blagues ! Comme si c’était quelque chose qui pouvait se ressentir et se comprendre, mais plus difficilement s’expliquer…
Autre sentiment que la série exulte à travers l’humour : la haine, à la fois de soi et des autres. Cette « haine ordinaire » chère à Pierre Desproges.
Là encore, la judéité n’est pas très loin ; quand j’écrivais sur la haine de soi, je pensais à cette réplique géniale de Larry et son nombril : « Je me déteste mais ça n’a rien à voir avec le fait d’être juif ! » C’est un peu la clé de voûte du personnage.
Dans Seinfeld, les quatre protagonistes s’en prennent beaucoup aux autres, à une galerie de personnages qui se succèdent, entrent dans leur vie le temps d’un épisode. Souvent, il s’agit d’un miroir : cela renvoie quelque chose d’eux-mêmes, de ce qu’ils ont à se reprocher. Lors du dernier épisode, ça se retourne contre eux, puisque ce sont les autres qui ont dès lors beaucoup à leur reprocher.
Vous postulez aussi que Seinfeld évolue dans un monde clos, de surcroît conscient de l’être. Cela vous permet de tisser des liens avec des œuvres a priori fort éloignées de la série, comme Twin Peaks ou les pièces de Samuel Beckett.
Concernant Twin Peaks d’abord, la parenté est aussi celle de l’époque. Ces deux séries ont connu un revival : une saison 3 pour Twin Peaks, une réunion (fictive) dans Larry et son nombril pour Seinfeld – mais elles sont avant tout des produits du début des années 1990. J’étais assez rassuré de voir qu’un vidéaste avait le rapprochement entre certains éléments de ces deux séries ; cela me montrait que je n’étais pas seul, et pas fou !
Pareil pour Beckett : quand on voit et revoit Seinfeld, on perçoit petit à petit des silences qui s’installent dans les interstices, qui créent une étrangeté. Certains épisodes sont même très beckettiens, comme celui du restaurant chinois ou du parking ; il faut se souvenir que c’étaient des propositions très radicales pour l’époque, au sein de l’écrin de la sitcom. Là encore, je n’ai pas été le seul à être frappé par ça, et j’étais content qu’un théâtre portant le nom du dramaturge apparaisse dans la série – je pouvais aussi m’y raccrocher. C’est ce que je me dis quand je me risque aux surinterprétations : si cela se voit, c’est pour une raison – quel que soit le cheminement via lequel c’est présent à l’écran.
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