Le 14 août 2025
Non seulement Jianjie Lin est un habile conteur d’histoires sur la manipulation, mais en plus il les filme avec un sens de l’esthétique absolument remarquable. Un premier film impressionnant de maîtrise.


- Réalisateur : Jianjie Lin
- Acteurs : Zǔ Fēng, Xilun Sun, Ke-yu Guo, Muran Lin
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Teen movie, Film pour ou sur la famille
- Nationalité : Français, Chinois, Danois, Qatari
- Distributeur : Tandem
- Durée : 1h40mn
- Titre original : Jia ting jian shi
- Date de sortie : 13 août 2025
- Festival : Festival de Berlin 2024, Reims Polar 2025

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Résumé : Wei est le fils unique d’une famille aisée, dans la Chine moderne et urbaine. Alors qu’il se rapproche de Shuo, un camarade d’école plutôt mystérieux, celui-ci commence à s’immiscer dans leur quotidien. Peu à peu, sa présence semble perturber l’équilibre familial.
Critique : Shuo se tient à la barre, les bras en l’air. L’image est interminable, démontrant la détermination absolue de ce jeune garçon face à l’effort, jusqu’au moment où un ballon est lancé contre son visage. Le garçon s’écroule à même le sol et à partir de cet accident qui n’en est peut-être pas un, commence un irrésistible chemin dans les méandres de la manipulation mentale. On connaissait le formidable ouvrage de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens et maintenant il y a ce film chinois, aussi lisse et clair que ne sont sombres et énigmatiques les intentions des personnages.
Cette brève histoire familiale raconte finalement celle de deux familles : il y a celle de Shuo, qui a perdu sa mère très jeune et habite avec un père violent et alcoolique ; et en contrepoint celle de Wei qui vit dans un luxe inouï où tout a une place, tout est propre, comme un pied de nez permanent à la perfection. Mais là où règne le chaos, Shuo se montre comme un élève extrêmement studieux, d’une très grande gentillesse, dévoué, l’inverse même de Shei qui rêve de sport, jeux vidéo et escapades. Il y a donc d’un côté l’enfant rêvé dans une famille fracturée, et de l’autre l’enfant du regret dans une famille aux allures névrotiques. Mais les choses au cinéma ne sont jamais si simples, surtout quand Shuo débarque d’abord à pas feutrés puis de façon quasi permanente dans la famille de son agresseur.
- Copyright First Light Films
On n’aura pas vu depuis longtemps au cinéma une écriture aussi ciselée et habile. Le scénario s’attache à d’innombrables objets ou gestes du quotidien, comme le port d’un pull blanc, des poissons dans un aquarium rutilant de propreté, qui forment peu à peu le sel de ce récit angoissant et rudement bien mené. À cet art de l’écriture s’ajoute celui du cadrage. Chaque séquence est admirablement filmée, avec l’usage de la focale de la caméra, du travelling ou du montage qui révèlent, en miroir de cette fiction, que le cinéma est aussi un instrument très puissant de manipulation du réel. Les décors dépouillés tranchent avec le caractère sombre des deux adolescents qui luttent chacun à leur manière contre d’obscures pulsions mortifères.
Brief History of a Family est une réussite incontestable dans le paysage parfois lourdingue du thriller. Le réalisateur fonctionne par ellipse, laissant au spectateur une grande part pour comprendre les évènements et leur donner du sens. Mais la tension monte progressivement jusqu’à l’irruption de morts ou d’accidentés trop nombreux pour ne pas semer le doute dans son esprit. Sauf que le génie de Jianjie Lin réside dans le fait qu’il sème les questionnements chez le spectateur concernant les intentions de tous les personnages et pas seulement cet étrange Shuo qui s’invite au domicile familial. À la limite, les adultes semblent les moins retors, et encore avec cette mère qui se confond d’admiration, voire de désir, pour ce nouvel intrus au domicile familial, ou ce père biologiste austère et glacial.
- Copyright First Light Films
Le film offre des plans de toute beauté. On pense par exemple à cette scène où la mère de famille est filmée depuis l’étal d’un magasin où les oranges sont rangées. Shuo avait confié que ce fruit lui rappelait sa défunte mère, et l’on se plonge alors avec cette formidable scène dans l’intimité psychique de la maman qui voudrait à son tour se substituer à celle que l’adolescent a perdue. Même la musique classique ou électronique est savamment choisie, multipliant les atmosphères dans un récit où se mêle à l’évidente empathie du spectateur à l’égard d’un jeune violenté, le rejet de ses attitudes aussi glaçantes qu’intelligentes.
Brief History of a Family a son pendant récent avec le film coréen A Normal Family où les apparences volent en éclat dans des face-à-face d’une terrible cruauté. Ici, le propos est plus pondéré, plus doux a priori, mais le résultat est le même : l’éclatement d’une cellule familiale réduite à néant du fait du comportement d’adolescents. Voilà un film qu’il faut voir accompagné pour tenter de retisser les questions que le réalisateur ouvre sans jamais en orienter le sens.