Le 10 juin 2025
En fissurant les lignes souvent présentées comme lisses et idéalisées d’une famille dite normale, Hur Jin-ho dresse avec ravissement un délicieux petit théâtre de la cruauté humaine. Une œuvre irrésistible.


- Réalisateur : Hur Jin-ho
- Acteurs : Jang Dong-gun, Sul Kyung-gu, Kim Hee-ae , Claudia Kim
- Genre : Drame, Film pour ou sur la famille
- Nationalité : Sud-coréen
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h49mn
- Titre original : Bo-tong-ui ga-jog
- Date de sortie : 11 juin 2025

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– Année de production : 2023
Résumé : Deux frères, un avocat matérialiste et un chirurgien idéaliste, se retrouvent régulièrement avec leurs épouses pour dîner dans un restaurant chic de Séoul. Lorsqu’une affaire criminelle qui les implique explose sur la scène médiatique, leur sens de la morale va être mis à l’épreuve.
Critique : André Gide, s’il était encore là, susurrerait entre les lèvres son fameux « Familles, je vous hais. Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur. » Car A Normal Family raconte, dans une langue absolument délicieuse et cruelle, la décomposition d’une famille coréenne ordinaire, confrontée à un passage à l’acte délinquant grave des deux cousins. Pourtant, les apparences ont la dent dure. D’un côté, il y a ce brillant chirurgien, dévoué, qui n’hésite pas à opérer gratuitement une jeune patiente venant de se faire renverser par un chauffard issu d’une famille richissime ; de l’autre, il y a son frère qui n’hésite pas à tordre le cou à la loi pour faire gagner ses clients, en dépit de toute éthique et de tout bon sens. Certes, un conflit relatif à la garde de la mère vieillissante oppose les deux frères, mais les choses s’accélèrent quand la télévision révèle que leurs enfants adolescents viennent de commettre le pire en battant à mort un pauvre SDF.
Les deux familles sont totalement antagonistes. Il y a celle du médecin, certes aisée, mais pas autant que celle de l’avocat, où la fille, pourrie gâtée, réduit les relations familiales à un macabre échange de bons procédés où la réussite à un examen par exemple se monnaye avec l’achat d’une voiture, ou encore, une sortie entre adolescents n’est possible que si elle soustrait ouvertement à son père sa carte bancaire. Les deux mères de famille se livrent à un conflit brutal, où chacune tente de ramener la couverture à elle. Le juriste s’est entiché depuis la mort de son épouse d’une très jeune femme, très belle, là où le chirurgien continue de vivre avec la mère de son fils, largement plus âgée que lui. Hur Jin-ho dresse ainsi une comédie dramatique grinçante où les antagonismes structurent et font voler en éclats les apparences normatives de deux cellules familiales.
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Le cinéma coréen se plaît souvent à multiplier les emphases narratives, qu’il s’agisse de l’usage immodéré de l’hémoglobine ou du recours à des situations extrêmes inextricables. A Normal Family n’échappe pas à la règle dans un récit où le réalisateur bouscule toutes les lignes en matière de norme familiale. Les malentendus, les non-dits finissent par prendre toute la place dans un environnement affectif où les deux frères sont occupés à conjurer un passé obscur dont ils ne se sont pas remis. Le médecin argue le langage du bon sens, de la générosité, là où l’avocat ne résiste devant aucune manœuvre pour faire courber la justice en faveur de ses clients, même les plus inexcusables. D’ailleurs, le propos s’ouvre sur un accident terrible, où un jeune homme au volant d’une voiture de luxe renverse impunément un père de famille énervé par la toute-puissance et le comportement du chauffard. Ainsi, le chirurgien se retrouve à l’hôpital avec l’enfant gravement blessée et l’avocat se voit confier l’affaire par l’auteur de tuerie. Les choses pourraient demeurer clivées, si les deux hommes n’étaient pas confrontés à leur tour par le passage à l’acte délinquant de leur propre enfant.
A Normal Family met à mal, dans un style absolument savoureux, les équilibres précaires d’une famille rongée par la colère. Ainsi, le rythme s’accélère très vite dans ce qui pourrait ressembler à un thriller psychologique où les mots sont évidés de leur signification et les repères sociaux s’estompent. On pense évidemment au célèbre film de Bong Joon-ho Mother qui décrivait avec force la manière dont une mère de famille est capable de tous les dépassements pour sauver son enfant criminel. Sauf que chez Bong Joon-ho, le garçon était porteur d’un handicap intellectuel, là où dans cette famille les deux adolescents, pervers à souhait, sont d’intelligence normale et ne font montre d’aucune forme de culpabilité. L’homme qu’ils assènent de coups est SDF, et l’on pressent dès la révélation de l’agression, que pour ces deux familles bourgeoises, un être à la rue n’a pas la même valeur qu’une personne de bonne famille ou insérée socialement.
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A Normal Family joue sur le drame, le policier et la comédie. On rit jaune devant ces conflits ouverts qui trahissent la perte de repères totale de la jeunesse contemporaine. La victimisation suffit à justifier le passage à l’acte criminel dans la tête de ces adolescents, éduqués à l’image et aux réseaux sociaux. Hur Jin-ho offre ainsi une représentation tragique d’une société confrontée à une forme de décadence sociale où les repères moraux fondamentaux se dissipent dans des appréhensions de la réalité complètement déstructurées. Le Bien se fond au Mal, dans un univers transgressif où l’argent, le pouvoir, la domination culturelle se soustraient au bon sens du vivr6 ensemble.
Fort d’une carrière de près de vingt-cinq ans, le réalisateur était encore resté relativement méconnu des écrans français à l’exception de Christmas in August (Semaine de la Critique 1998), April Snow et The Last Princess (2016). Ce long-métrage savoureux est l’occasion de découvrir une œuvre très importante, qui s’est intéressée à toutes les formes de diffusion, dont la série télévisée ; et de faire le lien avec un cinéma coréen de plus en plus prolixe, qui n’hésite pas à critiquer les contours d’une société de plus en plus violente.
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