Critique

CINÉMA

Jennifer’s body - la critique

Le 20 octobre 2009

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Copyright Twentieth Century Fox France
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Le choix du rédacteur

  • Imago 9 avril 2010
    Jennifer’s body - la critique

    Mais quelle bienséance, quelle adoration de la pensée unique. A force de critiquer trop de films, les critiques finissent par s’aveugler eux-mêmes, dévorés par leur appréciation des genres et des "styles" plutôt que par les oeuvres d’art elles-mêmes. J’ai vu sur un blog l’expression non assumée de "chef d’oeuvre incompris" au sujet de ce film.
    Je défends clairement cette position et apparemment contre tout le monde.

    Pour moi, Jennifer’s Body est une tragédie de la fascination, un film qui aurait plu aux gothiques anglais, et même aux romantiques français. La scénariste est clairement le premier avantage de ce film, les dialogues sont coupés au couteau et sous leur apparente simplicité, on retrouve des effets dramatiques équivalents à ceux des grandes pièces de théâtre.

    1. Le rythme, la dramaturgie

    Jennifer’s Body parie sur son excellente construction dramatique, qui s’appuie sur une mémoria (la "culture" commune qu’entretiennent les spectateurs), à savoir le 11 septembre avec l’incendie, le mouvement gothique et les groupes de rock.
    La fascination est le fil directeur, c’est elle qui est montrée, dénoncée, dramatisée.
    Par exemple, lorsque Chip se rend à la fête et rencontre Jennifer, son discours à la Iago, doublé de ses stimulations sexuelles, sont une arme pour capter ce personnage affaibli par la fascination de sa copine pour Jennifer et pour les sciences occultes, ce dernier élément appuyant la thèse qu’elle ait couché avec Colin (le gothique), ce dont l’accuse Jennifer-Iago.
    Cela enclenche le resserement tragique du temps, et cela en constume "d’époque" pourrait-on dire, les personnages se retrouvent projeté dans une pièce dans la pièce, en quelque sorte, et la piscine, dont on peut apprécier l’esthétique naturelle et glauque à la fois, est le théâtre d’un retournement dramatique qui tient le spectateur en haleine. Et, alors que la mort de Jennifer avait été filmée après une trame narrative lourde (comme le montrent les scènes coupées) - on retrouve le corps de Chip, la police l’annonce à sa mère... - elle est immédiatement intégrée au resserement tragique final, ce qui, en terme de rythme, peut être aussi poignant que l’excellent Romeo+Juliet de Lhurmmann.

    II. La Tragédie

    Toutes les grandes oeuvres ont une interprétation tragique ou bien une contre-interprétation qui abolit la tragédie. Ce film met la tragédie du côté de l’incapacité à raisonner, à sortir de l’obsession que nous procure une personne (Jennifer), un groupe (de rock), la mort, le gothique...
    Needy n’est pas exactement amoureuse de Jennifer, elle éprouve pour elle un désir, une fascination pareille à ce qu’on pourrait appeler le "fantasme de la courtisane" : elle s’offre à tous mais la seule personne qui la possède vraiment, c’est moi.
    En apparence, c’est Jennifer qui assouvit sa libido dominandi (au sens de désir de dominer) sur Needy, mais en réalité, c’est Needy qui la possède : elle aime à penser que sa copine est vierge, même si elle sait pertinamment que c’est faux, elle l’embrasse juste après avoir fait l’amour avec son copain puis la chasse, effrayée.
    Le fameux "je fais une croix sur Needy" qui est un instrument supposé de la domination et du contrôle opéré par Jennifer sur Needy s’inverse dans la scène finale où la croix se dessine au cutter, je n’ai pas besoin de vous dire ce que la croix peut évoquer...
    Jennifer n’existe tout simplement pas sans Needy, elle ne peut pas prendre les autres de haut, puisque c’est sa seule véritable "amie", les autres étant à mépriser. C’est Needy qui la nourrit, qui lui permet de continuer d’être ce qu’elle est. Lorsqu’elle obtient ses pouvoirs de démon, Jennifer tente de passer d’"esclave" puisqu’elle est dépendante de Needy, cette étant seulement fascinée, ce qui les tient en symbiose, à "maîtresse" en se débarrassant de Chip, qu’elle jalouse plus que tout.
    Mais elle échoue, et c’est un double échec. Le premier en ce qu’elle ne peut tuer Needy malgré ce qu’elle dit dans la grande scène à trois, elle en a besoin. J’en profite pour noter ici que le nom d’Anita, "Needy" est signifiant, non pas pour elle mais pour Jennifer, qui entretient l’illusion que c’est Anita qui est "needy", et pas elle... alors que ce besoin de ce nourrir sur les hommes, symbolique, finalement, fait d’elle la plus "needy" des deux.
    Elle ne peut la tuer parce qu’elle en a besoin, en effet, si elle était parfaitement indépendante et en position dominante, elle aurait été tuer Needy dans sa chambre juste après la mort de Chip, compte tenu en plus qu’elle avait faim. Mais c’est Needy qui a organisé l’expédition punitive, et là réside le deuxième échec : Jennifer ne pouvait pas s’imposer face à Chip et le remplacer parce que seul Chip savait susciter l’amour, alors que Jennifer ne suscite que la fascination et lorsqu’elle tombe, Jennifer est livrée aux mains vengeresses de la fille désillusionnée.
    Leur relation ressemble à celle que Dorian Gray entretient avec Lord Henry Wotton, sauf que, époque oblige, elle est davantage érotisée.
    Dans la scène en double avec à la fois la première relation sexuelle de Needy et Chip, et le massacre érotisé de Colin par Jennifer, on a voulu voir une relation « télépathique », on avait pas tort mais il faut l’inverser, Needy se voit bien sûr à la place de Colin, et fait « l’amour » au rythme du désespoir. Il y a quelque chose de tragique dans la sexualité même, dans la tension sexuelle.

    III : L’esthétique

    Je m’attaque ici à un sujet qui m’est peu connu, je ne suis pas grand connaisseur des techniques ni de l’esthétique cinématographique, mais voici ce qu’un simple spectateur peut en dire. Le sang est loin d’être l’intérêt principal, et l’horreur n’est pas exagérée, ça n’a rien à voir avec les fontaines de Kill Bill ou les saletés de Saw III.
    L’espèce de substance noire que Needy nettoie au début n’est pas nécessaire et participe d’une esthétique classique de film d’horreur qui n’a rien à faire dans un si bon film. Cependant, tout n’est pas à jeter dans cette scène de déglutition chez Needy, la manière dont Jennifer mange le poulet, bestialement, et ensuite plaque Needy contre le mur, dans une sorte d’appétit sexuel primitif oblige les critiques à reconsidérer leur vision de Jennifer. Elle n’est pas seulement « gourmande », on peut même dire le contraire, elle est affamée, famélique, elle mange des choses qui n’apportent rien. Ce n’est pas une image de la gourmandise.
    Quand elle nage dans le lac après le premier meurtre, il y a comme un retour à un règne naturel dénaturé. Elle se construit une image de prédatrice et se met dans un système où elle-même risque de devenir la proie, la loi de la jungle. Et elle le devient, en effet, sur son lit, percée par un cutter. L’objet du meurtre, là encore, n’est pas innocent. Ca n’a pas été un couteau mais un objet fin, rétractable, trouvé dans la boîte à outils de son père.

    J’ai peu de choses à dire pour conclure sinon que les personnes qui aurait dû voir ce film ne sont pas allé le voir à cause de cette affiche ridicule qui ne dit rien sur ce film à part qu’il faut le voir parce que c’est un mauvais film d’horreur, comme les autres.
    Jamais une affiche n’aura tant menti au spectateur.

    Voir en ligne : http://www.leblogducinema.com/2009/...

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