Le 13 avril 2025
Enfin un cinéma qui prend le temps de regarder les jeunesses chinoises clandestines, exploitées par des patrons sans scrupule dans le textile. Un sans-faute après le premier opus Jeunesse (Le printemps) qui avait ravi Cannes en 2023.


- Réalisateur : Wang Bing
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Luxembourgeois, Néerlandais
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 3h46mn
- Titre original : Qingchun: Ku
- Date de sortie : 2 avril 2025

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Résumé : Deuxième volet de la trilogie Jeunesse de Wang Bing sur les jeunes ouvriers de l’industrie textile chinoise après JEUNESSE (LE PRINTEMPS). Les histoires individuelles et collectives se succèdent dans les ateliers textiles de Zhili, plus graves à mesure que passent les saisons. Fu Yun accumule les erreurs et subit les railleries de ses camarades. Xu Wanxiang ne retrouve plus son livret de paie. Son patron refuse de lui verser son salaire. Du haut d’une coursive, un groupe d’ouvriers observe leur patron endetté frapper un fournisseur. Dans un autre atelier, le patron a décampé. Les ouvriers se retrouvent seuls, spoliés du fruit de leur travail. Hu Siwen raconte les émeutes de 2011, à Zhili : la violence policière, l’enfermement et la peur. Après d’âpres négociations, les ouvriers rentrent chez eux célébrer le Nouvel An.
Critique : On se souvient encore de la première partie du triptyque de Wang Bing présenté à Cannes il y a deux ans, qui se terminait en signe d’espoir par un retour d’un des jeunes ouvriers vers sa campagne natale après presque trois heures dans la pesanteur sombre des ateliers de textile. Le deuxième opus est construit exactement de la même manière, avec des rushs qui ont été pris entre 2014 et 2019, ce démarrage dans des ateliers et la fin dans le lieu de vie des personnages. Le propos se veut plus tapageur que le premier volet, mettant clairement en valeur la difficulté pour ces ouvriers de se faire payer et se réunir en collectifs pour faire valoir leurs droits. On sourit doucement quand on connaît la nature politique du régime chinois qui n’offre à ses ouvriers clandestins aucun droit, sinon d’obéir aveuglément à des patrons sans scrupule qui distribuent leurs collections à l’ensemble du monde.
Le documentaire récompensé au dernier festival de Locarno tombe à point au milieu du débat des droits de douane qui a mis le feu aux poudres dans les grandes bourses mondiales. L’Europe craint une invasion du marché intérieur de produits chinois qui ne trouveraient plus de preneurs aux États-Unis. Justement, Wang Bing filme ces fabriques sombres, postées dans des rues isolées où les déchets ont pris place sur les trottoirs. La saleté des lieux, des rues, saute aux yeux, jusque l’intérieur des immeubles où les ouvriers cohabitent dans des chambres de fortune. Les ouvriers sont payés au lance-pierre, subissant des conditions de travail inacceptables qui les font parfois travailler quinze jours d’affilée sans repos. Le cinéaste assume sa présence à leurs côtés. Il appuie sa présence en laissant au montage les ombres de sa caméra et de son micro qui accompagnent ses protagonistes comme s’il voulait montrer son engagement, sa voix politique. On se perd avec la multiplicité de ces garçons et filles, jusqu’au moment où l’un d’eux confie les tortures qu’il a subies de la part de la police et les méthodes expéditives du gouvernement pour faire taire son peuple.
- Copyright 2024 House on Fire - Gladys Glover - CS Production
Wang Bing ne fait pas de ce film un portrait misérabiliste. Il filme froidement, à la façon d’un ethnologue, ces jeunes gens qui lui ouvrent sans hésiter les portes des dortoirs où ils vivent entassés. Les conditions de vie sont abominables, avec des points d’eau unique où ils doivent autant faire leur vaisselle que se laver, des lits de ferraille au confort plus que doutable, et une place insuffisante pour leur intimité. Les protagonistes se confient, partagent leur quotidien dans parfois un vacarme qui peut fatiguer le spectateur. Mais la réalité implacable se dresse devant nous, dans un contexte où l’on ne peut plus nier que ces vêtements, ces biens de consommation chinois qui inondent nos grandes surfaces ont été fabriqués dans des conditions inadmissibles.
Le film invite à la colère, à la révolte. Certes, il dure presque quatre heures. Trois heures quarante-cinq exactement. On peut se demander objectivement qui a le temps de consacrer toute une après-midi pour aller à la rencontre de ces personnes. Évidemment, le risque est de succomber au sommeil, de perdre le fil, de s’agacer de l’extrême longueur. L’enjeu est surtout de se réveiller parce qu’on a été touché par un regard, un geste, une voix, une forme de détresse indicible. Wang Bing se garde bien de provoquer une émotion exagérée. Il laisse le spectateur porter son attention sur tel personnage ou tel autre, tous démontrant une très grande dignité dans leur posture et paroles. Ils acceptent l’inacceptable parce que dans les régions d’où ils viennent, il y a des familles à nourrir. D’ailleurs la fin est saisissante, montrant l’immense paradoxe d’un pays comme la Chine qui brandit un PIB impressionnant et n’est pas capable d’offrir à ses habitants des conditions d’existence minimales.
- Copyright 2024 House on Fire - Gladys Glover - CS Production
Jeunesse (Les tourments) est une œuvre surprenante et nécessaire au milieu d’un cinéma souvent agité. Ouvrir la porte d’une salle et acheter un billet pour ce documentaire concourt à un geste politique et militant. On accepte de perdre quatre heures dans une salle sombre afin d’ouvrir les yeux sur une réalité que nous feignons d’ignorer. Les réactions des spectateurs sont très multiples, mais tous expriment une tension, une attention, rarement observées dans une salle obscure. Le film nous invite à nous engager, à modifier nos habitudes de consommation, tant la fabrication de ces vêtements qui inondent les sites marchands sur Internet est révoltante et inhumaine.
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