Le 29 novembre 2024
La Clepsydre à ce charme des grands récits picaresques associé au surréalisme d’un Buñuel. Le film le plus célèbre du cinéaste polonais Wojciech Has.
- Réalisateur : Wojciech J. Has
- Acteurs : Jan Nowicki, Tadeusz Kondrat, Irena Orska, Gustaw Holoubek, Mieczyslaw Voit, Jan Szurmiej, Halina Kowalska
- Genre : Drame, Fantastique, Drame fantastique
- Nationalité : Polonais
- Distributeur : Malavida Films
- Durée : 2h04mn
- Reprise: 8 janvier 2025
- Titre original : Sanatorium pod Klepsydra
- Date de sortie : 27 mai 1975
- Festival : Festival de Cannes 1973
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– Reprise en version restaurée : 8 janvier 2025
Résumé : Jozef vient voir son père en traitement dans un sanatorium, mais l’établissement médical qu’il découvre est un vaste palais lugubre, rongé par la vermine et tapissé de toiles d’araignées où le temps et l’espace sont comme pris dans un vertigineux tourbillon. Le docteur Gotard lui explique que le temps y a été comme retardé. Ne comprenant rien à ce discours, Jozef s’aventure dans la vaste demeure et voit apparaître son double.
Critique : Film mystérieux et peu banal que La Clepsydre. Il s’y déroule une histoire et, plus encore, une logique narrative y est à l’œuvre. À l’image de son titre, le cinéaste polonais met en scène l’inexorabilité du temps tout en le retournant sur lui-même. Pour sauver son père, trouver un remède au mal qui le ronge et qui aurait dû le tuer, le protagoniste, Joseph, se rend dans un hôpital singulier. Nul onguent ou chirurgie n’est prescrit par le trouble docteur et son assistante vénéneuse, mais un retour dans le temps pour tenter – en vain, nous révèlera la fin – de prévenir le mal en cours. Ajoutez une série de variations sur les mêmes figures – le film, comme une spirale, rejoue ses scènes, réagence les mêmes décors, dans des variations toujours plus dégradées, vermoulues – et quelques présences aux signifiants forts mais incertains – du décor inaugural, ersatz des trains de la mort de la Shoah, jusqu’à une célébration populaire de Hanoucca, que raconte l’auteur avec cette judéité hassidique qui inonde le cadre ? – le film semble se prêter aux analyses narratives et autres exégèses savantes.
- © Malavida
Pourtant, l’argument (version fantasy et désespérée du pitch de Retour vers le futur) se répand dans des dialogues trop opaques, autour d’objectifs trop diffus et insaisissables, pour ne pas embrouiller celui qui, bien idiot, cherche à comprendre. Las, sans doute faut-il, pour chaque spectateur de La Clepsydre, atteindre son point de saturation. Le ras-le-bol accablant, le laisser pisser devient règle, condition sine qua non à l’appréciation du film. Qu’il arrive au bout de quinze, quarante ou quatre-vingt-dix minutes détermine sans doute le jugement final rendu par son spectateur. Qui s’acharne pendant deux heures à déchiffrer situations cryptiques et phrases sibyllines se gâche l’œuvre de Wojciech Has.
Volontairement ou non, le réalisateur rappelle à tous que le cinéma, art de la monstration par excellence, ne donne pas à comprendre, mais à voir. Disponible aux sons et aux images, rien de plus, le spectateur peut alors profiter de ce dont le cinéaste jouit en premier lieu : sa propre virtuosité plastique.
Errance chimérique qui fait penser au Fellini période Juliette des esprits ou au Tarkovski post-Solaris, La Clepsydre est avant tout une foire géante et ininterrompue, un retour glauque en enfance (le personnage principal, dans son corps d’adulte, est perçu par tous comme étant à nouveau prépubère), un cirque où l’étonnement chaleureux des premières excusions oniriques est vite rattrapé par son recto sordide. De ce festival, il faut apprécier l’ampleur comme la minutie. Au moyen de travellings avants ou verticaux, la méthode du cinéaste est toujours la même : s’émerveiller d’un nouveau décor à la tonalité ravissante et détonante par rapport à celle du précédent (on pourrait presque les résumer par leur couleurs propres : le décor vert, le marron, puis le bleu, le jaune et enfin le gris) pour donner ensuite à voir la veulerie, la concupiscence, la décomposition, au travers d’accessoires, de costumes, d’éléments de décors soigneusement choisis et méticuleusement montrés à l’œil. Ainsi un parchemin, se déroulant, étale ses trous et les vers qui le rongent ; ainsi un lit, une fois visité son dessous, se révèle caverne d’Alibaba. Chaque plan large, trésor de couleurs et de formes, demande à être fouillé, exploré. Chaque gros plan, par la minutie apportée aux objets cadrés, donne à sentir, renifler, gouter.
- © Malavida
Carrollienne en diable, la visite de l’autre côté du miroir de Joseph est plus subie que menée. Les décors semblent se mouvoir autour du personnage et non l’inverse. Une illustration de la fatalité à l’œuvre dans le scénario ? Gageons que ce postulat narratif est surtout profitable au spectateur à s’émerveiller de la manière dont il est mis en scène. Les transitions, toujours saisissantes, sont des prodiges du genre. Au creux d’un raccord regard ou mouvement, au plein milieu d’un travelling ou à l’occasion d’une sortie de champ, le cinéaste orchestre les collisions de périodes et de lieux les plus ébouriffantes. Ressuscitant tantôt le yiddishland décati tantôt un folklore tropical théâtre de bataille, La Clepsydre à ce charme des grands récits picaresques associé au surréalisme d’un Buñuel.
Menace de tourner à vide, durée un peu longue (bien que la mécanique d’épuisement participe à l’efficace du film), La Clepsydre manque peut-être trop de réel pour totalement séduire. Placés dans des décors à l’artificialité affichée, la multiplicité d’êtres, souvent appartenant aux franges les plus démunies de l’histoire explorée, menace de n’être que des images d’Épinal qui auraient davantage de force si elles n’étaient soustraites de leur historicité. Peut-être aussi qu’écrivant ces lignes, nous manquons de connaissances sur la Pologne des années 1970 (décennie de production du film) ou de la première moitié du XXe siècle (période de la diégèse), pour saisir tenants et aboutissants de l’étrange conte. Qu’importe. Pour qui veut bien s’y perdre, La Clepsydre a tout d’un voyage dont on se souvient longtemps.
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