Trilogie anglaise, acte 1
Le 19 septembre 2012
Une histoire d’amour quasiment ordinaire, mais filmée par un Schlesinger déjà maître dans l’art d’ausculter les failles individuelles et la souffrance engendrée par la machine sociale
- Réalisateur : John Schlesinger
- Acteurs : Alan Bates, June Ritchie, Thora Hird, James Bolam, Pat Keen, Leonard Rossiter
- Genre : Drame, Romance, Noir et blanc
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Tamasa Distribution
- Durée : 1h52mn
- Date télé : 11 mai 2024 23:37
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 26 septembre 2012
- Titre original : A Kind of Love
- Date de sortie : 7 janvier 1966
- Festival : Festival de Berlin 1962
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– Année de production : 1962
Résumé : Vic Brown fait « ce que l’on doit faire » et épouse sa petite amie Ingrid lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte, bien qu’ils ne soient liés que par une attirance purement physique. La vie commune devient de plus en plus lourde lorsque la mère d’Ingrid, une femme possessive et insupportable, vient vivre avec eux et s’acharne à provoquer des tensions entre les jeunes gens.
Critique : Le titre anglais, A Kind of Love, fera sans doute mieux entendre, par ses résonances plaintives et nonchalantes, la relation qui unit Vic à Ingrid. Contrairement à ce que suggère la traduction française, où cette relation a tout l’air d’une exception, où elle semble même s’exercer de manière non conformiste, le premier film de la trilogie anglaise ne met pas en scène un amour d’une exceptionnelle intensité, mais une « sorte d’amour », ou plutôt : un « genre d’amour ». Nous sommes bien loin de Roméo et Juliette, ou de la thématique des amours impossibles. Bien loin même de toute passion. Ici, bien au contraire, tout pousse les deux êtres à s’aimer, et même à s’aimer sincèrement. Le conflit ne naît pas d’une opposition nette entre les amants et la société qui les entoure, mais bien de l’impossibilité qu’ils rencontrent à prendre par eux-mêmes des responsabilités et des engagements.
Dans la première séquence, les regards de Vic et Ingrid se croisent. Nous sommes au mariage de Christine, la sœur de Vic, qui vient d’épouser David : tous deux incarnent, dans leur simplicité, l’esprit de la middle class modeste, qui ne cherche pas à dissimuler ses origines populaires. Mais alors que la foule se rassemble sur le parvis, la caméra de Schlesinger délaisse la mariée pour s’intéresser à Ingrid (magnétique June Ritchie), dont le regard vient de croiser celui de Vic (Alan Bates, très charismatique). Pause, champ-contrechamp, tout semble d’une simplicité sans faille. Pourtant, la rencontre n’a lieu qu’à moitié. Aucun mot n’est prononcé. Timidité, retenue, sans doute, mais aussi embarras face à la foule qui s’agglutine vers les deux époux.
Tout au long du film, Schlesinger met en scène une difficulté à s’affranchir des microcosmes sociaux. Vic, charrié par ses collègues de bureau, est contraint d’écrire secrètement à la belle Ingrid pour la séduire. C’est en suscitant la colère de sa mère qu’il quitte le repas familial pour la rejoindre. De son côté, la jeune fille n’arrive pas à se débarrasser des figures féminines qu’elle côtoie (sa meilleure amie, puis son envahissante mère). Pourtant, aucun des deux ne rejette les conventions sociales de son milieu : Vic admire sa sœur, éprouve un grand respect pour son père ; Ingrid, quant à elle, adhère aux valeurs bourgeoises de sa mère et pleure dans son sein. Mais ces conventions les étouffent autant qu’elles les façonnent. Vic rêve, ou croit rêver, d’une autre vie. Ingrid, dont le prénom n’est pas suffisamment "anglais" à son goût, évoque avec tristesse ces endroits où l’on est obligé de danser pour ne pas paraître ridicule aux yeux des autres.
Avec une précision naturaliste (et souvent beaucoup de sensualité) Schlesinger ausculte les lieux de l’intime, montrant leur perpétuelle interaction avec la société. Lorsque les amants se retrouvent au parc, dans une cabane en retrait, le cinéaste prend soin de montrer qu’elle est avant tout un lieu public (noms d’amants gravés sur le bois, règlement du parc). Lorsque Vic retrouve Ingrid chez elle, celle-ci est inquiète à l’idée qu’un inconnu puisse intervenir. En dehors du mariage, l’intimité apparaît comme une chose impossible, car suspecte, « non réglementée ». Incapables de prendre une décision, les deux personnages s’enfoncent, étouffés par leur désir contradictoire de rester fidèle à leur image sociale (omniprésence des miroirs), et de s’aimer d’un « véritable amour ».
Considéré à juste titre comme un auteur majeur de la « Nouvelle Vague » anglaise, Schlesinger n’abolit pourtant pas, dans ce film, les conventions du cinéma « classique » (on pense, entre autres, souvent à Renoir et aux frères Lumière). Mais sa caméra, jamais complaisante, toujours lucide, filme avec engagement et ironie cette histoire qui n’en est pas vraiment une. Montrés dans le carcan étroit (quoique sympathique, à certains moments) de leur milieu social, les personnages semblent bouillir d’une émotion intérieure intraduisible verbalement, vecteur de souffrance et de refoulement. Ce n’est du reste pas un hasard si, lors du bal précédant un moment majeur du film, les convives dansent sur une version « populaire » du Lac des cygnes : au sein du public se rejoue alors cette dualité intérieure et manichéenne qui les traverse. Les acteurs, souvent filmés de près, dégagent une puissance magnétique, magnifiquement appuyée par le contraste du noir et blanc. Et la fin, que l’on pourra lire comme la promesse tendre d’un happy end ou la démonstration ironique de la faiblesse des héros, révèle toute la beauté d’un scénario équivoque et subtil.
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