Tout, tout de suite
Le 29 avril 2014
La méthode d’Alexandre Arcady pour dénoncer le caractère antisémite de l’affaire Ilan Halimi est de "tout" montrer, y compris l’irreprésentable. Un film qui nous rappelle involontairement quelques liens compliqués entre morale et cinéma.
- Réalisateur : Alexandre Arcady
- Acteurs : Zabou Breitman, Jacques Gamblin, Pascal Elbé
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 1h50mn
- Date de sortie : 30 avril 2014
- Plus d'informations : Le site du distributeur
La méthode d’Alexandre Arcady pour dénoncer le caractère antisémite de l’affaire Ilan Halimi est de "tout" montrer, y compris l’irreprésentable. Un film qui nous rappelle involontairement quelques liens compliqués entre morale et cinéma.
L’argument : Elle est entrée dans une boutique de téléphonie sur le boulevard Voltaire. Elle a fait mine de s’intéresser aux nouveaux portables, a obtenu le numéro du vendeur et s’en est allée. Elle l’a rappelé dès le lendemain, lui a dit qu’elle voulait le revoir. Ilan ne s’est pas méfié. Il avait vingt-trois ans, la vie devant lui…
Comment pouvait-il se douter qu’en rejoignant cette jolie fille dans un café de la porte d’Orléans, il avait rendez-vous avec la mort ?
Le vendredi 20 janvier 2006, Ilan Halimi, choisi par le gang des Barbares parce qu’il était juif, est enlevé et conduit dans un appartement de Bagneux. Il y sera séquestré et torturé pendant trois semaines avant d’être jeté dans un bois par ses bourreaux. Retrouvé gisant nu le long d’une voie de chemin de fer à Sainte-Geneviève-des-Bois, il ne survivra pas à son calvaire.
Dans ce film, Ruth Halimi revient sur ces 24 jours de cauchemar. 24 jours au cours desquels elle aura reçu, elle et son mari, Didier, plus de six cents appels, des demandes de rançon dont le montant ne cessera de changer, des insultes, des menaces, des photos de son fils supplicié… 24 jours d’angoisse de toute une famille, contrainte de garder le silence pour laisser travailler la police criminelle.
Mais le 36 Quai des Orfèvres ne sait pas à quels individus il a affaire. Personne ne mesure la haine antisémite qui habite les ravisseurs, et ne s’imagine qu’Ilan allait perdre la vie...
Notre avis : Il faut savoir être délicat avec les choses les plus barbares. En soi, parler de l’affaire Ilan Halimi et tenter de représenter au cinéma l’horreur qui en a été le noyau premier et le moteur n’a rien de tabou. 24 jours se voudrait tant un film d’indignation (dénoncer l’antisémitisme aveugle qui guidait les choix irrationnels du leader du gang des barbares) qu’un film de compassion (il est adapté du témoignage de la mère d’Ilan). Et pourtant, la matière délicate qu’il a entre les mains, Alexandre Arcady la manipule avec la lourdeur la plus appuyée qu’il soit. Le scénario, la mise en scène et le montage convergent vers ce qui était le plus à craindre, une représentation obscène de l’affaire Ilan Halimi, érigée en « fait divers édifiant », avec force sang et larmes. Ralentis, flashes, effets de passage au négatif surlignés de détonations comme dans un reportage choc, musique à larmes, l’artillerie lourde est de sortie pour enfoncer le clou, comme si le cinéaste n’avait pas suffisamment confiance dans la puissance de ce qu’il racontait pour éviter de nous l’asséner avec la vulgarité la plus assumée. Tentative de prise en otage qui ne nous met pas du point de vue de la victime, mais nous colle sa souffrance sous le nez, et nous traite d’ordures si nous n’entrons pas immédiatement en empathie avec elle. Dans l’opposition dialectique binaire qu’il dessine entre un système policier et judiciaire obsédé par l’application de ses propres méthodes et la douleur de la famille Halimi durant les vingt-quatre jours de l’enlèvement, Arcady nous jette à la figure une « justice des victimes », qui part d’un fait pour s’élever à une indignation générale et démagogique.
On excuserait davantage le film s’il avait pris un parti fort, unique, et le tenait tout le long – quitte à se faire succéder de pures scènes de souffrance et de ne rester que dans le cercle fermé de la famille Halimi. Cependant, le film distille les intrigues et accumule les points de vue : nous serons donc « beaucoup » avec les Halimi, et « un peu » avec son fils. Les scènes avec le gang, à l’intérieur de l’appartement où Ilan est séquestré, viennent donc comme des points d’orgue d’horreur qui nous rappellent avec une régularité toute maîtrisée que tout le fond de cette affaire est abominable. Mais qui voit ces images censées édifier ? A quoi servent-elles ? Pourquoi représenter par touches épisodiques un calvaire qui n’a été vécu que dans la durée et l’épuisement ? Pourquoi voir Fofana, alors même que la rage nerveuse accumulée par le père d’Ilan a consisté à parler à un fou furieux, sans jamais pouvoir mettre un visage sur cette voix ? La scène de mort d’Ilan Halimi, dont le corps grièvement blessé a été abandonné près d’une voie ferrée, avant qu’Ilan ne tente de se traîner pour prévenir quelqu’un et décède finalement des séquelles de ses blessures, va chercher très loin dans l’obscénité. On ne peut s’empêcher à l’assertion godardienne que les « travellings sont affaire de morale », prononcée à propos du fameux travelling avant de Kapo de Pontecorvo, et au sujet duquel Rivette répétait qu’ « il est des choses qui ne doivent être abordées que dans la crainte et le tremblement ; la mort en est une, sans doute ; et comment, au moment de filmer une chose aussi mystérieuse, ne pas se sentir un imposteur ? ». Ayant pris le risque de représenter l’irreprésentable, Arcady a échoué dans la manière. Héraut d’une morale qui se pare dès le titre du beau projet de nous révéler « la vérité », il en a oublié un questionnement moral essentiel : au cinéma, les choses que l’on cache ont au moins autant d’importance que celles que l’on montre.
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yannis35 27 avril 2014
24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi - la critique du film
Sujet casse gueule , et connaissant la filmo d Arcady "le grand pardon" "le grand pardon 2 " " l union sacrée " un réalisateur d une telle finesse qu on l imagine travailler la psychologie de ses personnages au marteau piqueur.
Je préfère ne pas m y risquer.