Réglements de comptes à O.K. Kowloon
Le 17 août 2024
Troisième long-métrage de Soi Cheang à débouler sur nos écrans en à peine plus d’un an, City of Darkness est, en décalage avec les deux autres, un film d’arts martiaux brutal au sous-texte politique.
- Réalisateur : Soi Cheang
- Acteurs : Richie Jen, Louis Koo, Sammo Hung Kam-Bo, Philip Ng, Raymond Lam, Terrance Lau, Aaron Kwok
- Genre : Action, Thriller
- Nationalité : Hongkongais
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Durée : 2h00mn
- Titre original : 九龍城寨之圍城 [Twilight of the Warriors : Walled In]
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 14 août 2024
- Festival : Festival de Cannes 2024
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Résumé : Dans les années 80, le seul endroit de Hong Kong où la loi britannique ne s’appliquait pas était la redoutable Citadelle de Kowloon, une enclave livrée aux gangs et trafics en tous genres. Fuyant le puissant boss des Triades Mr. Big, le migrant clandestin Chan Lok-kwun se réfugie à Kowloon où il est pris sous la protection de Cyclone, chef de la Citadelle. Avec les autres proscrits de son clan, ils devront faire face à l’invasion du gang de Mr. Big et protéger le refuge qu’est devenue pour eux la cité fortifiée.
Critique : Soi Cheang a longtemps été éclipsé par les cinéastes de la nouvelle vague hong-kongaise qui ont, dans les années 90, élevé le polar au rang d’art, qu’il s’agisse de Tsui Hark, John Woo ou Johnnie To, dont il fut l’assistant réalisateur. Il faut reconnaître qu’il a a commencé sa carrière au début du nouveau millénaire, juste avant que l’ancienne colonie britannique, rétrocédée à la Chine en 1997, ne subisse la crise économique qui secoua l’Asie du Sud-Est en 2008 et que la production locale ne s’essouffle, tiraillée entre un glorieux passé où l’artisanat était roi et des standards industriels à destination du marché continental.
Soi Cheang n’en a pas moins tourné presque un film par an, dont Accident, en 2009, qui concourut en compétition officielle à la Mostra de Venise. Distribuée de façon erratique, sa filmographie reste néanmoins méconnue du public français : il aura ainsi fallu attendre 2023 et la sortie de Limbo, Grand Prix au festival Reims Polar, pour que le réalisateur acquière un début de reconnaissance. Depuis, le distributeur Carlotta a sorti, mi-juillet 2024, Mad Fate, objet filmique singulier mêlant burlesque, feng shui et meurtres en série, et le dernier Festival de Cannes a accordé à City of Darkness les honneurs de la Séance de Minuit.
- Copyright : Metropolitan FilmExport
Le long-métrage est une libre adaptation du manhua éponyme de Yu Er et Andy Seto (publié en 2010, mais inédit en France), que Soi Cheang a dépouillé de ses oripeaux flashy : il suit les aventures d’un boat people vietnamien qui, après avoir échappé à un gang mafieux, tente de survivre à l’intérieur de la citadelle de Kowloon, bidonville vertical qui servait de refuge aux laissés-pour-compte et aux démunis, mais aussi de tanière aux toxicomanes et aux triades. En 1987, année durant laquelle se déroule le long-métrage, le lieu comptait ainsi plus de cinquante mille habitants, empilés sur quinze étages circonscrits dans trois hectares de superficie.
City of Darkness est l’occasion pour Soi Cheang de reconstituer une version steampunk de ce quartier mythique de Hong-kong, enclave au cœur d’une enclave, zone de non-droit qui a fini par être démolie en 1993 - destruction que montre d’ailleurs le final de Crime Story de Kirk Wong, sorti la même année : le film met en scène, comme un véritable personnage, cet enchevêtrement anarchique de bâtiments construits les uns sur et dans les autres, dédale inextricable de poutres à nu, de câbles électriques pendants, d’armatures de tôle corrodées et de tuyauterie démantibulée. Car, selon la légende, on y circulait sur des échafaudages d’échelles et de passerelles branlantes, jusqu’à dix étages de hauteur, et les forces de l’ordre n’y rentraient pas plus que la lumière du soleil aux étages inférieurs.
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On ne s’appesantira pas sur l’intrigue, riche en trahisons et en retournements de situation, puisque, dans le cinéma d’arts martiaux, elle importe moins que la manière dont l’action se déploie. Reléguant en arrière-plan la psychologie des personnages, City of Darkness vaut surtout pour ses affrontements mémorables (on remarquera ainsi que les coups pleuvent dès la première séquence avant que la deuxième ne mette en scène une course-poursuite dans un bus, qui n’est pas sans rappeler le Police Story de Jacky Chan). Le film réserve ainsi un lot de scènes proprement dantesques, la Kowloon Walled City, tout en étages et culs-de-sac, étant le dernier endroit où l’on aurait imaginé assister à une poursuite à moto.
Les chorégraphies spectaculaires de Kenji Tanigaki s’appuient sur des interprètes entraînés, un usage mesuré des filins, un recours plus ou moins discret aux effets numériques et un montage efficace. Dynamique et lisible, chaque combat est un ballet porté par la partition de Kenji Kawai et filmé dans la pure tradition du cinéma d’action hongkongais : la Citadelle abritant principalement des espaces exigus, la dimension verticale des combats a été particulièrement travaillée, les personnages bondissant entre les étages accrochés à des câbles électriques ou sautant d’un immeuble à l’autre à travers leurs fenêtres.
On regrettera uniquement que, à la faveur d’un coup de théâtre un peu improbable, les combats s’éloignent de la vraisemblance et que le long-métrage, se laissant frénétiquement aller à la surenchère, finisse par lorgner du côté du film de super-héros en conférant à l’antagoniste principal une puissance quasi-surnaturelle (on se rappellera, au passage, que Dragon Tiger Gate de Wilson Yip adaptait un autre manhua d’Andy Seto). Le film ne s’efforce pas moins de mettre en scène le passage de témoin entre les icônes du cinéma d’action hongkongais, Sammo Hung (toujours combatif malgré ses soixante-douze ans), Louis Koo, Richie Jen ou encore Aaron Kwok, et leur possible relève.
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En choisissant comme décor la Citadelle de Kowloon l’année de la signature de l’accord sino-britannique programmant sa démolition (décision qui redouble d’ailleurs les tensions entre les différents gangs du film), Soi Cheang aborde de manière à peine voilée l’une des préoccupations de l’industrie cinématographique hongkongaise actuelle, la question de la mainmise du Comité central chinois sur la production de l’île. En censurant tout long-métrage susceptible de « menacer la sécurité nationale », celle-ci a contribué à étouffer la singularité qui caractérisait le cinéma de l’ancienne colonie au profit de superproductions formatées inspirées de récits traditionnels – et dont l’un des archétypes est la trilogie The Monkey King que réalisa Soi Cheang entre 2014 et 2018.
De même, le générique de fin nous amène à poser un autre regard, quelque peu mélancolique, sur les habitants de la Citadelle, qui en faisaient autre chose qu’une tour de Babel de violence, d’exploitation et de dépravation. Le film les montre comme une communauté réunissant sans distinction vieillards, enfants, ouvriers, prostituées et mafieux : au détour de cantines délabrés, d’appartements vétustes ou de salons de barbiers aux fauteuils élimés, ce peuple de marginaux avait développé une sociabilité et une solidarité, comme l’illustre cette scène où le parrain de la Citadelle aide des enfants à faire voler un cerf-volant dans la seule brèche vers le ciel qui se dégage au milieu de l’entrelacs de béton, de verre et d’acier.
Note : Sorti au printemps 2024 à Hong Kong, City of Darkness y est devenu le deuxième plus gros succès local de tous les temps, avant de se hisser en tête du box-office en Chine continentale. Soi Cheang a, en outre, déjà annoncé travailler à une prequel ainsi qu’à une suite.
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