Copyright BnF Éditions, 2019

Notre avis : Cet exercice d’anticipation renvoie le lecteur aux circonstances de l’entre-deux-guerres. Ce roman fait resurgir en mémoire les représentations et les images que nous associons à l‘année 1929, ce moment particulier de l’histoire du monde qui, 90 ans après, résonne toujours comme une rupture annonciatrice de la deuxième guerre mondiale. Dans notre imaginaire collectif, nous entretenons avec la décennie qui s’ouvre cette année-là un rapport ambigü, qui symbolise la crise économique mondiale, un paroxysme dans la lutte des classes, le Front populaire, la montée des totalitarismes, la timide mise en cause d’un scientisme bientôt renforcé par les révélations de la compromission des savants à la machine de guerre nazie, .… Cette période de transition vers l’horreur brasse des thèmes avec lesquels « l’air du temps » - à travers une profonde mutation des institutions totales, les progrès du machinisme, l’aspiration à une humanité augmentée, les foules aveugles et incontrôlables - continue à avoir maille actuellement. Très cinématographiques, les images qui nous viennent à l’esprit en lisant le roman ont à voir avec des films de Fritz Lang comme - est-ce un hasard - les Trois Lumières dont le titre du roman paraît être la réponse, Métropolis, M le Maudit… Le tableau idéologique sous-jacent du livre est, à gros traits, manichéen : au sein des élites, la crainte de voir la science triompher des inégalités est une perspective redoutable. A l’inverse, la foule y est désespérément peinte comme une masse informe et inculte qui, même en lui inoculant le fluide de l’intelligence, paraît condamner à être mue par un esprit grégaire, guerrier, belliqueux, tristement humain. La post-humanité ou l’homme artificiel attendra encore car, au grand désarroi du scientifique à l’origine de cette découverte aux conséquences politiques incalculables, le savant, amère, se lamente ainsi :

Pour changer la vie, pour rénover l’humanité, il faudrait des êtres nouveaux, des êtres autres, en qui ne revivraient point éternellement les morts du passé, avec leurs tares, avec leurs vices.

Ce constat d’échec peut aussi se lire comme le fondement des raisons qui aujourd’hui font craindre le progrès des sciences et dont le cinéma ou la littérature de science fiction font leur beurre : l’Autre, ici les hommes noirs, maléfique, occupe les pages et les écrans sous des formes d’Alien ou d’ancêtre du cyborg. Le « surhomme » de H.J. Magog qui tient autant du Docteur Jekyll que du Mr Hyde est devenu la cible des peurs les plus fanatiques, des théories du complot les plus délirantes, celles qui, dans la réalité documentaire de l’époque, rendent possible les institutions concentrationnaires et totalitaires qui sont alors sorties de terre en Europe. Ainsi, l’un des intérêts de cette science-fiction-là réside dans nos capacités à interroger ce que nos représentations actuelles doivent à cette généalogie à laquelle nous invite une telle réédition et identifier dans la fiction ce qui témoigne du contexte historique et documentaire de l’oeuvre à l’époque.