L’homme de Majorque - Bo Widerberg - critique

Critique : Bo Wideberg peut être considéré comme le chef de file d’une Nouvelle vague suédoise, qui comprend aussi des réalisateurs tels Mai Zetterling et Jan Troell, Pourtant, sa place dans l’histoire du septième art longtemps été occultée par Bergman, maître de cinéma, qui a quelque peu fait de l’ombre à ses compatriotes. Widerberg était surtout connu pour trois films ayant déployé son sens de l’impressionnisme, de la critique sociopolitique et d’un romanesque décalé, à savoir Ådalen ’31, Elvira Madigan et Joe Hill. Mais on a redécouvert récemment ses premières œuvres, du Péché suédois à Amour 65, petits bijoux révélant une singularité formelle tout autant qu’une cohérence thématique. En comparaison, L’homme de Majorque pourra paraître moins éclatant, malgré plusieurs séquences mémorables. Il faut dire que le film a été réalisé dans les années 1980, décennie à la partir de laquelle le réalisateur se consacrait davantage à la télévision et avait sans doute du mal à se renouveler.

© Malavida

Adapté du roman La Fête du cochon, du criminologue Leif G. W. Persson, le long métrage marque la seconde incursion de Wideberg dans le polar, après le tonique Un flic sur le toit, tourné huit ans plus tôt. Le récit démarre assez fort, avec une scène enlevée de braquage de bureau de poste, qui pourrait faire partie d’une anthologie. Deux policiers décontractés mais tenaces (Sven Wollter et Tomas von Brömssen) vont se livrer à une enquête méticuleuse mais difficile. L’affaire se complique avec l’assassinat d’un clochard témoin du hold-up puis celui d’un jeune homme qui en savait sans doute trop. Surtout, les deux officiers réalisent qu’un de leurs collègues est peut-être impliqué, et que le ministre de la Justice lui-même en personne semble le couvrir… Widerberg, qui a toujours développé un discours critique dans ses films, semble s’en prendre ici aux zones d’ombre du pouvoir, avec une narration qui semble emprunter aux thrillers politiques d’un Pakula.

© Malavida

Sur ce point, le L’homme de Majorque culmine avec ses scènes de filature surprenantes qui rendent le film efficace, à défaut d’être réellement novateur. L’humour pince-sans-rire dans certains répliques (la vieille dame adepte du porto, les réflexions sur l’américanisation de la cuisine suédoise) sont de surcroît des digressions saugrenues qui font songer au ton que déploiera, dans la même décennie, le Chabrol de Poulet au vinaigre. Comme quoi les jeunes réalisateurs des Nouvelles vagues européennes ont su parfois emprunter les mêmes sentiers secondaires plus de vingt ans après leurs débuts. Après ce thriller, Bo Widerberg tourna encore deux films et diverses productions télévisées, avant de disparaître en 1997. L’homme de Majorque ne connut pas de sortie commerciale en France. Mais certains ont pu le découvrir au Festival de la Rochelle, à la Cinémathèque française ou sur Netflix. Il est distribué le 11 juin 2025 dans le cadre de la rétrospective Widerberg proposée par Malavida.