Le 29 décembre 2025
Dans le temps étiré de l’autobiographie, Huo Meng réalise ici plus qu’un film de cinéma : une œuvre virtuose et complète qui s’inspire de sociologie, peinture et littérature. Un long métrage qui devrait marquer l’histoire du cinéma chinois.
- Réalisateur : Huo Meng
- Acteurs : Shang Wang, Chuwen Zhang, Zhang Yanrong, Zhang Caixia, Cao Lingzhi, Yang Kaidong, Liu Hong’ai
- Genre : Drame, Film pour ou sur la famille, Chronique familiale
- Nationalité : Chinois
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 2h15mn
- Titre original : Sheng xi zhi di
- Date de sortie : 24 décembre 2025
- Festival : Festival de Berlin 2025
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Résumé : Chuang doit passer l’année de ses dix ans à la campagne, en famille mais sans ses parents, partis en ville chercher du travail. Le cycle des saisons, des mariages et des funérailles, le poids des traditions et l’attrait du progrès : rien n’échappe à l’enfant, notamment les silences de sa tante, une jeune femme qui aspire à une vie plus libre.
Critique : On reconnaît les grandes œuvres à leur capacité à brouiller les époques. Justement, Le temps des moissons semble ancré dans une époque ancienne où les paysans travaillaient la terre avec des charrues tirées par les animaux. Et pourtant, peu à peu, le récit distille des marqueurs de la modernité, brouillant soudain les lignes d’une histoire qui aurait trouvé toute sa place au début du XXe siècle. En réalité, ces saisons qui vont traverser l’écran de cinéma pendant plus de deux heures se passent dans les années 1990, avec ce petit garçon, Chuang, qui semble l’écho du réalisateur lui-même.
Le deuxième long-métrage de Huo Meng, contrairement au titre, ne se contente pas de filmer la fin de l’été où, normalement, l’activité principale des agriculteurs demeure la moisson. Le film centre son regard sur une famille pendant plusieurs mois, dans une Chine des années 90 où la mécanisation de la production n’a pas encore dérobé le savoir-faire ancestral des paysans. Les rituels d’ailleurs sont très nombreux, qu’il s’agisse de décès, naissances ou mariages, au rythme des sonorités stridentes des instruments traditionnels. Mais les moments de fête demeurent d’ailleurs rares, dans une temporalité que le travail de la terre a totalement ravie. Huo Meng regarde cette famille qui va basculer, sans le savoir, dans l’époque moderne de la surproduction agricole, avec son lot de disparition de ce qui fait le creuset fondamental de la tradition chinoise. Et pourtant, les premiers tracteurs alimentés au gazole s’embourbent dans les chemins, là où les chevaux ou les bovins font face à toutes les intempéries.

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Le temps des moissons est visuellement émerveillant. Chaque scène donne à voir des paysages somptueux, dans ce qui ressemble moins à un film qu’une succession de toiles impressionnistes, toutes aussi belles les unes que les autres. Le soin apporté à la lumière, aux couleurs et à l’étalonnage apporte au récit une dimension proprement picturale. Les sons qui accompagnent l’histoire, qu’il s’agisse du bruit du vent, de la pluie ou des musiques traditionnelles, renforcent ce sentiment impalpable que le réalisateur déroule les pages d’un livre dense, qui marque autant le passage historique de la mécanisation de l’agriculture que celui d’une famille devant renoncer à ses traditions. Les morts sont d’ailleurs nombreux, comme s’ils scandaient un récit qui se moque des évènements. Et pourtant, Le temps des moissons n’est pas non plus un film contemplatif, et s’inscrit dans une série de vignettes autant sociologiques qu’affectives. Il y a quelque chose de très proustien dans cette manière de dérouler le temps et l’espace dans des scènes qui refusent le mouvement et l’agitation de l’évènement au profit de l’émotion, du symbole et de l’impression.
Récompensé à Berlin de l’Ours d’argent, Le temps des moissons constitue une leçon de mise en scène absolument bluffante. Les comédiens semblent tous de vrais paysans, plongés dans une époque qui n’a rien à voir avec ce que le spectateur connaît de cette époque. Chaque geste, chaque regard, chaque façon de ratisser la terre démontrent une direction d’acteurs d’une très grande précision, à laquelle s’ajoute le soin particulier donné à la photographie. La toute dernière scène confirme bien cette combinaison subtile et délicate entre la grammaire filmique, la mise en scène et l’art de raconter des histoires. La Chine que décrit le réalisateur est hors temps, et pourtant véritablement sortie du souvenir du cinéaste lui-même.

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Le temps des moissons multiplie les références aux films d’enfance. Le petit héros Chuang est quasi permanent d’une scène à l’autre. Il rythme le récit à partir de son seul regard qui grandit avec la dureté des rapports entre les parents et les enfants, et celle du travail de la terre qui peut être balayé d’un revers de la main après la pluie. La précarité des familles est sensible d’un bout à l’autre de la narration où le réalisateur ne manque d’égratigner les technocrates chinois qui assomment d’impôts les citoyens avant même qu’ils n’aient gagné leur premier centime.
Finir l’année 2025 avec un pareil film constitue une véritable chance. Alors que les familles s’agitent d’un repas à l’autre, Huo Meng offre une parenthèse enchantée où le temps semble arrêté. Le réalisateur filme la tristesse, la joie, la beauté, bref, tout ce qui fait que le monde devient extraordinaire sur un écran de cinéma.
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