Vieilles canailles !
Le 15 novembre 2018
Le dernier western muet tourné par John Ford est une œuvre majeure annonçant tous les thèmes de prédilection du plus américain des cinéastes hollywoodiens. Un grand moment, drôle, poignant et diablement efficace.


- Réalisateur : John Ford
- Acteurs : George O’Brien, Olive Borden, Lou Tellegen, Tom Santschi, J. Farrell MacDonald, Frank Campeau
- Titre original : 3 Bad Men
- Genre : Western, Film muet, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Rimini Editions
- Durée : 1h32mn
Année de production : 1926
Sortie DVD : 18 août 2015
L'argument : En 1870, trois hors-la-loi recherchés décident de se joindre à la ruée vers l’or. En chemin, ils prennent sous leur protection une jeune fille du Sud égarée.
Notre avis : Lorsque John Ford se retrouve à la tête de ce gros budget de la Fox en 1926, il est déjà l’auteur d’une soixantaine de films muets, dont quelques courts et de très nombreux westerns mettant en scène Harry Carey. Il est surtout le réalisateur du Cheval de fer (1924), impressionnante épopée retraçant l’histoire du chemin de fer reliant les côtes Est et Ouest des Etats-Unis. Devenu une valeur sûre du cinéma américain, John Ford s’empare ici d’une histoire d’Herman Whitaker intitulée Over The Border qu’il transpose de manière brillante, en s’attachant avant toute chose à ses personnages, au lieu de se laisser déborder par les impressionnants moyens financiers déployés.
Comme dans de nombreux de ses films, John Ford s’applique à raconter l’histoire des pionniers qui se lancèrent dans la ruée vers l’or. Faisant quasiment acte d’historien, Ford met un point d’honneur à reproduire les cartes postales et autres photographies existantes sur cette période charnière de la conquête de l’ouest. Ainsi, les héros de cette histoire sont vêtus exactement comme les aventuriers de l’époque. Ils sont barbus, sales (il est fait mention à plusieurs reprises de l’absence de soins corporels) et vivent dans des conditions misérables, tout en conservant dans le regard cette foi inébranlable en un avenir radieux. Le film est à ce point proche de la réalité historique que l’on croirait parfois visionner un documentaire pris sur le vif.
Toutefois, John Ford ne se limite pas à une froide description du mode de vie de ces pionniers puisqu’il livre une œuvre romanesque qui alterne la comédie – souvent très drôle – et le drame avec un savoir-faire exemplaire. Grâce à une attention constante envers ses personnages, Ford dresse un portrait poignant d’une certaine Amérique, celle de la solidarité entre marginaux. De manière étonnante, le script nous met en présence de trois bandits de grand chemin qui s’avèrent finalement de bons bougres, tandis que le shérif local est un homme corrompu par sa volonté de pouvoir. Dès lors, on sent le réalisateur plus proche des déclassés – les prostituées ne sont aucunement stigmatisées, par exemple – et prompt à mettre en valeur l’amour et l’amitié comme valeurs universelles. Il ne le fait d’ailleurs jamais de manière pontifiante ou moralisatrice, mais à l’aide d’une tendresse folle envers des protagonistes jamais caricaturaux.
Le cinéaste s’appuie pour cela sur d’excellents comédiens dont George O’Brien (inoubliable dans de nombreux films du réalisateur, mais aussi dans L’aurore de Murnau) absolument parfait en jeune premier amoureux de la belle Olive Borden. Cette dernière a le mérite de ne pas être cantonnée au rôle de faire-valoir des hommes et son personnage est magnifiquement développé. On adore également le trio des fameuses canailles mené par Tom Santschi qui livre ici l’une de ses meilleures prestations (il décéda finalement en 1931 à l’âge de 52 ans d’une crise cardiaque). Enfin, le casting est complété par Lou Tellegen en grand méchant à l’allure de dandy décadent. Lui aussi est décédé prématurément puisqu’il s’est suicidé en 1934 à l’âge de 52 ans. Tous ces acteurs forment une troupe impeccable qui est pour beaucoup dans le charme fou que dégage Trois sublimes canailles. Notons enfin que John Ford n’a ensuite pas tourné de western pendant plus de treize ans, ne revenant au genre que pour un pur chef-d’œuvre, à savoir La chevauchée fantastique (1939) avec John Wayne.
Si Trois sublimes canailles n’est pas un classique vénéré, il contient suffisamment d’éléments préfigurant les films suivants du cinéaste pour que les cinéphiles y jettent un œil attentif et bienveillant. En l’état, il s’agit d’une œuvre maîtrisée et passionnante à suivre, contenant même une séquence d’anthologie du cinéma muet lors de la course des charrettes des pionniers, absolument bluffante d’efficacité. Indispensable, on vous disait.
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