Le 29 juillet 2025
Un bijou d’humanisme et d’émotion. Peut-être le plus beau film de Marcel Pagnol, ici au sommet de son art cinématographique.
- Réalisateur : Marcel Pagnol
- Acteurs : Raimu, Josette Day, Fernandel, Charles Blavette, Fernand Charpin, Marcel Maupi, Line Noro, Lucien Callamand, Milly Mathis, Félicien Tramel
- Genre : Comédie dramatique, Noir et blanc, Film pour ou sur la famille
- Nationalité : Français
- Distributeur : Gaumont Distribution, Carlotta Films
- Durée : 2h26mn
- Reprise: 24 juillet 2024
- Date de sortie : 20 décembre 1940
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Résumé : Au moment de la déclaration de guerre, Patricia, jeune fille modeste, voit partir Jacques Mazel, pilote dans l’armée, qui ignore qu’elle est enceinte. Blâmée par son père, puisatier, et rejetée par les Mazel, commerçants aisés, elle accouche chez une tante. Mais lorsque Jacques est porté disparu, les grands-parents se retrouvent autour du berceau et écoutent ensemble le chef de l’État annoncer la capitulation de la France…
Critique : Marcel Pagnol revint à un scénario original après un contentieux juridique avec Jean Giono, dont des matériaux littéraires avaient inspiré Angèle, Regain et La femme du boulanger. Pourtant, la trame de La fille du puisatier ressemble à celle d’Angèle, tout en s’inscrivant dans une thématique chère à Pagnol : la détresse des filles mères ou potentielles mères célibataires, comme cela est également le cas avec la trilogie marseillaise ou Naïs. Le puisatier Amoretti, dont la fille a été séduite par un jeune homme trop entreprenant, est donc un alter ego de César et, en vision moins sombre, des personnages de patriarche campés par Henri Poupon dans Angèle et Naïs. Le bellâtre Jacques Mazel (Georges Grey) semble un mixte du Marius (Pierre Fresnay) de la trilogie marseillaise (en plus bourgeois), du Louis (Andrex) d’Angèle (en moins canaille) et de l’étudiant (Raymond Pellegrin) de Naïs. Les Mazel, beaux-parents mesquins et issus d’une classe supérieure (Fernand Charpin et Line Noro), annoncent les Rostaing (Henri Arius et Germaine Kerjean), le couple de riches propriétaires d’abord méfiants envers une jeune fille moins pure qu’elle n’en a l’air. Quant à la frêle Patricia (Josette Day), elle semble aussi désemparée que les figures féminines incarnées par Orane Demazis ou Jacqueline Pagnol, mais avec une maturité d’esprit que parvient à transcrire l’actrice Josette Day, éclatante et talentueuse vedette éphémère du cinéma français, future Belle pour Cocteau.

- Fernandel, Raimu
- © 2024 Carlotta Films. Tous droits réservés.
Il faut souligner ici que l’interprétation, comme toujours chez Pagnol, est une contribution majeure à la réussite du film, à commencer par celle des deux stars à l’affiche, et fidèles du cinéaste : Raimu et Fernandel, le second jouant, comme souvent chez Pagnol, le rôle du confident amoureux (et malheureux) de la jeune première. Mais les seconds rôles sont tout aussi admirables, de Milly Mathis en tante émancipée qui n’a pas sa langue dans la poche, à Marcel Maupi en pittoresque employé de commerce. Pour autant, La fille du puisatier ne saurait être réduit à un film d’acteurs. Tourné au début de la Seconde Guerre mondiale et pendant l’armistice, le film vit son scénario remanié au gré de l’actualité. Ainsi, Jacques Mazel meurt-il (ou est-il supposé mourir) sur le front, et non pas lors d’un simple exercice d’aviation. De même, une séquence a été ajoutée, qui présente la famille réunie pour écouter le discours du maréchal Pétain, appelant à cesser le combat et accepter une souffrance nécessaire en guise de contrition (discours remplacé par l’appel du général de Gaulle lors de la reprise du film à la Libération…). D’aucuns y ont vu une tentation nationaliste chez Pagnol, d’autant plus que le film exalte (comme toute son œuvre) le travail, la famille et les valeurs inhérentes à la ruralité. Pourtant, la situation semble plus complexe, et La fille du puisatier, à l’instar du Corbeau et du Ciel est vous, a été apprécié tant par les tenants du pétainisme que par les forces de la Résistance.

- Raimu, Fernandel, Josette Day
- © 2024 Carlotta Films. Tous droits réservés.
Patricia ne déclare-t-elle pas, songeant à son amoureux tué au combat : « Ils n’ont pas sauvé la France mais ils l’ont prouvé : les morts des batailles perdues sont les raisons de vivre des vaincus » ? Comme le souligne Philippe Pallin dans « Une histoire du cinéma français : 1940-49 » (coécrit avec D. Zorgnotti, éd. LettMotif, 2021), ce passage fut censuré par Vichy… Et les personnages de La fille du puisatier parviennent à braver les interdits de l’ordre moral, l’enfant né hors mariage et sa mère étant finalement acceptés par leurs proches, au-delà des conventions. C’est que le long métrage véhicule, sans sentimentalisme, un beau message humaniste, magnifié par des dialogues d’une rare intelligence et un art du conte qui font de Pagnol un scénariste hors pair. La mise en scène, élaborée tout en se montrant dépouillée et sobre, témoigne d’un sens aigu du maniement de la caméra, comme le dévoile la scène de la séparation (provisoire) entre le père et la fille aînée. On notera que le cadre du décor provençal est utilisé avec plus de discrétion que dans Regain ou Manon des Sources, ce qui n’enlève rien à l’inscription de l’œuvre dans l’univers stylistique de Pagnol. Gros succès commercial sous l’Occupation (mais Pagnol ne tournera plus avant 1945), souvent rediffusé à la télévision, La fille du puisatier fut l’objet d’un médiocre remake réalisé par Daniel Auteuil en 2011. En 2024, le distributeur Carlotta a présenté en salles une version restaurée du long métrage original, dans le cadre de la première partie d’une rétrospective Marcel Pagnol au cinéma.
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