Le 6 juin 2024
Malavida a mille fois raison de rééditer ce film intense qui respecte et détourne les codes du noir avec une grande intelligence.
- Réalisateur : Jerzy Skolimowski
- Acteurs : Robert Duvall, Klaus Maria Brandauer, Michael Lyndon (Michal Skolimowski), Arliss Howard, Tom Bower
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Nationalité : Américain
- Distributeur : L’atelier d’images, Gaumont Distribution, Malavida Films
- Durée : 1h30mn
- Reprise: 10 avril 2019
- Box-office : 114 614 entrées France / 62.591 entrées P.P.
- Titre original : The Lightship
- Date de sortie : 19 février 1986
- Festival : Festival de Venise 1985
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Résumé : Le capitaine Miller récupère son fils adolescent, Alex, des mains de la police. De retour sur le Hatteras, un bateau phare ancré au large des côtes de Virginie, l’équipage recueille trois hommes dérivant dans leur canot endommagé...
Critique : Skolimowski tourne Le bateau phare juste après Le succès à tout prix, dans lequel son fils jouait déjà, et à nouveau il explore de nouvelles contrées, même si on retrouve des motifs et thèmes présents dans son œuvre. Ainsi renoue-t-il avec le lieu clos qu’il avait exploité dans Le couteau dans l’eau, dont il avait signé le scénario, ou dans Deep end qui se passait pour l’essentiel dans une piscine. Pareillement la présence de son rejeton fait le lien avec le film précédent, interrogeant sans fards la difficulté des relations père/fils, d’autant plus que, on l’a souvent remarqué, Brandauer ressemble au cinéaste et pourrait être son double : étranger aux USA, phare du cinéma polonais, inébranlable dans ses positions, à l’écart d’un système dont il se méfie, Skolimowski est à la fois Miller, ce capitaine meurtri, et le bateau auquel selon son fils un contrat étrange le lie ; et le bateau lui-même évoque le cinéma stable et puissant, qui échappe aux mines et qui n’est pas qu’un outil : « un navire est quelque chose qu’un homme sert ».
- © Malavida / L’Atelier d’images
Tout le film est ainsi innervé par des symbolismes possibles qui n’entravent pourtant jamais sa narration. Ainsi pourrait-on le voir comme un documentaire sur deux acteurs forcés de jouer des rôles inversés : Brandauer, qui n’a pas toujours été sobre, est tout en retenue, alors que Robert Duvall interprète un bandit aussi élégant que cabotin. En terre étrangère, le cinéaste peut se permettre de renverser des codes et dire son originalité. Ainsi Le bateau phare jongle-t-il entre respect (il tourne un film de genre et en accepte les règles) et détournement (il s’accapare le genre pour l’emmener vers d’autres frontières). Le respect, c’est d’abord celui du scénario qui fait un peu penser à celui de Key Largo (John Huston, 1948), dont il reprend le huis-clos, la prise d’otages, et l’ouragan. Que débarquent trois étrangers sur le navire et on a tôt fait de comprendre que l’affrontement sera inévitable. Skolimowski enchaîne les péripéties avec une certaine placidité : Stump, l’un des marins, capture Caspary mais se fait tuer ; l’un des deux frères idiots et violents noie le mainate du cuisinier qui se vengera ; une mine frôle le navire. En quelque sorte, le réalisateur respecte le contrat qui le lie aux codes du genre. Mieux même, il retrouve la limpidité des dialogues classiques, chez Ford par exemple, qui faisaient sonner naturellement des phrases porteuses de leçons de vie : « la vérité est ennuyeuse et sans charme », « tout le monde cache sa culpabilité », etc. C’est sa manière de prendre au sérieux le cinéma américain, et de se battre sur son terrain.
- © Malavida / L’Atelier d’images
Mais Le bateau phare n’est pas qu’un hommage appuyé : d’abord parce que la profusion de thèmes (la rédemption, le double, la haine de soi, les relations père/fils, le courage et la lâcheté, entre autres) ne cesse de l’ouvrir sur d’autres champs et références. Ensuite parce que Skolimowski, en même temps qu’il prend au sérieux son film, qu’il l’inscrit dans des lignées, le parasite par des motifs étranges et décalés, comme un crayon qui roule, de la glace pour calmer un tueur, ou la discussion dans un bain. Mieux encore, beaucoup d’éléments majeurs s’avèrent dérisoires. Ainsi Eugene tue-t-il le mainate car il « refuse » de dire : « J’aime Eugene » ; et celui-ci est rendu fou par le cuisinier imitant le volatile. La fin elle-même tient de la tragédie frelatée et absurde ; c’est que, comme le dit Alex, le fils, en voix off, les règles sont « trop bizarres pour avoir un sens ». De ce point de vue, Skolimowski, s’il garde les atours du cinéma classique, est davantage porté vers le sentiment moderne de vide, de gâchis et de vanité.
- © Malavida / L’Atelier d’images
Comme dans Deep end, le cinéaste excelle à arpenter de sa caméra précise un lieu clos mais infiniment morcelé, qui permet d’emprisonner des personnages, de les dissimuler, les confronter à des séries de verticales et d’horizontales, d’aplats ou de surcharges. Les variations sont innombrables, jusqu’à ce très beau plan dans lequel le visage d’Alex semble flotter à la lumière intermittente du phare. Le film propose ainsi un décor monde, un microcosme quasi carcéral où presque tous sont là contre leur gré et s’apparentent aux perdants d’une société invisible qui les ignore. On n’en finirait pas d’énumérer les beautés d’une œuvre qui cache sous des apparences limpides une opacité et une richesse inouïes. Il était donc temps que Le bateau-phare, impeccable et lumineuse leçon de cinéma (si l’on voulait chipoter, on parlerait de la très fade musique) retrouve les salles obscures et que ceux qui n’ont pas eu la chance de le voir à sa sortie puissent y accéder. Les autres n’ont pas besoin d’être convaincus.
- Affiche cinéma originale © 1985 Gaumont - CBS Production. Tous droits réservés.
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