Escort avec chauffeur
Le 12 novembre 2018
Entre violence et romantisme noir, Mona Lisa impose sa vision d’un monde désabusé, dominé par l’exploitation et le cynisme. Bob Hoskins y livre l’une de ses prestations les plus mémorables.


- Réalisateur : Neil Jordan
- Acteurs : Michael Caine, Bob Hoskins, Robbie Coltrane, Cathy Tyson
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Gaumont Distribution
- Editeur vidéo : M6 Vidéo
- Date de sortie : 6 août 1986
- Durée : 1h44mn
- Festival : Festival de Cannes 1986
- Box-office : 222 361 entrées (France) / 105 991 (Paris-périphérie) / 5,7 M$ (USA)
L'argument : Un truand sert de chauffeur à une ravissante noire qui se prostitue dans des hôtels de luxe. Ce truand est un sentimental, qui dépanne ainsi un patron-ami, mafieux de haute voltige. Ses maladresses attendrissantes vont l’exposer à des dangers qui le sont beaucoup moins.
Notre avis : Si tout le monde se souvient de la formidable carrière de guitariste de George Harrison au sein des Beatles, moins nombreux sont ceux qui se souviennent qu’il est également à l’origine de la création de la maison de production cinématographique HandMade Films qui a permis le renouvellement du cinéma britannique en plein cœur des années 80. La compagnie a ainsi accompagné la naissance des premiers délires des Monty Python et de Terry Gilliam, mais aussi celle du troisième long-métrage de Neil Jordan, un certain Mona Lisa (1986). Le cinéaste venait tout juste de connaître une certaine consécration grâce au film d’horreur poétique La compagnie des loups (1985) lorsqu’il s’associe au scénariste David Leland (futur réalisateur de Too Much ! en 1987) pour plonger dans les bas-fonds londoniens. Très largement inspiré de l’œuvre de Paul Schrader – le scénario semble être un mélange de Hardcore et de Taxi Driver – le script a le mérite de développer une histoire sordide qui conserve toutefois une touche de romantisme noir par la grâce de personnages décalés.
Ainsi, le petit truand minable incarné par Bob Hoskins, s’il apparaît comme plutôt violent et incontrôlable dans les premières scènes, n’est rien d’autre qu’un homme blessé qui a écopé pour un autre parce qu’il fonctionne encore selon le code d’honneur des gangsters des années 50. A sa sortie, il va devoir se confronter à la dure réalité : désormais les truands ne connaissent plus de limites. Ils pratiquent le chantage, développent des réseaux de drogue et de prostitution, sans qu’aucune limite morale ne les contraigne. En ce sens, le personnage interprété avec autorité par Michael Caine est un monstre de cynisme qui ne voit même pas où est le mal et qui se sert des autres afin d’arriver à ses fins. D’une grande naïveté, le héros se laisse berner par cet homme qu’il admire, mais aussi par la prostituée qu’il doit conduire chaque nuit. Si le cinéaste laisse espérer l’éclosion d’une romance entre l’escort girl de luxe et son chauffeur bougon, c’est pour mieux retourner cette proposition et plonger dans une noirceur certaine.
De manière assez déstabilisante, Neil Jordan nous plonge dans cet univers glacial où les gamines de quinze ans sont battues et exploitées sexuellement à l’aide d’un style apaisé, comme nimbé d’une certaine douceur, voire même de tendresse. D’ailleurs, la chanson In Too Deep écrite par Phil Collins pour le film et jouée par Genesis reflète parfaitement cette ambiance doucereuse, presque romantique, qui caractérise le film. Sur un sujet identique aux œuvres dures et sans concession de Paul Schrader citées précédemment, Neil Jordan signe donc une œuvre inclassable, zébrée de quelques éclairs furtifs de violence, mais surtout dominée par une mélancolie de chaque instant. Le métrage doit beaucoup à la prestation exceptionnelle de Bob Hoskins qui a d’ailleurs obtenu le Prix d’interprétation masculine au festival de Cannes 1986 (ex-aequo avec Michel Blanc pour Tenue de soirée). De chaque plan, l’acteur fait passer tous les sentiments contradictoires qui agitent son personnage. Il est secondé par une superbe Cathy Tyson dont ce fut le premier rôle au cinéma.
Filmé de manière classique, mais possédant un ton bien à lui, Mona Lisa confirmait ici la naissance d’un auteur qui allait ensuite se révéler prolifique. On peut d’ailleurs aisément rapprocher ce long-métrage du futur The Crying Game (1992) ou encore de L’homme de la Riviera (2002), le premier étant une œuvre majeure et le second un ratage dans les grandes largeurs, à l’image de la carrière en dents de scie du cinéaste. A sa sortie, Mona Lisa a connu un beau succès aux Etats-Unis, parvenant ainsi à glaner une nomination à l’Oscar. En France, sa carrière fut plus discrète avec une sortie peu judicieuse en plein mois d’août. Seuls les Parisiens se sont déplacés et le total de 222 361 entrées sur toute la France est quelque peu décevant. Aujourd’hui passablement oublié, le film fait tout de même l’objet d’un intérêt de la part des cinéphiles les plus pointus et cela est amplement mérité.
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