Le 11 décembre 2025
Première vraie sortie de route pour Edgar Wright, à la barre de ce blockbuster digne d’un sous-Michael Bay qui finit par sombrer dans une apologie du vigilantisme difficilement défendable.
- Réalisateur : Edgar Wright
- Acteurs : William H. Macy, Josh Brolin, Michael Cera, Lee Pace, David Zayas, Sean Hayes, Glen Powell, Emilia Jones, Colman Domingo, Katy O’Brian, Jayme Lawson
- Genre : Science-fiction, Action, Thriller, Nanar, Remake, Dystopie
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Paramount Pictures France
- Durée : 2h14mn
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 19 novembre 2025
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Résumé : Dans un futur proche, The Running Man est l’émission numéro un à la télévision : un jeu de survie impitoyable où des candidats, appelés les Runners, doivent échapper pendant trente jours à des tueurs professionnels, sous l’œil avide d’un public captivé. Chaque jour passé augmente la récompense à la clé — et procure une dose d’adrénaline toujours plus intense. Ben Richards, ouvrier désespéré prêt à tout pour sauver sa fille gravement malade, accepte l’impensable : participer à ce show mortel, poussé par Dan Killian, son producteur aussi charismatique que cruel. Mais personne n’avait prévu que Ben, par sa rage de vivre, son instinct et sa détermination, devienne un véritable héros du peuple… et une menace pour tout le système. Alors que les audiences explosent, le danger monte d’un cran. Ben devra affronter bien plus que les Hunters : il devra faire face à un pays entier accro à le voir tomber.
Critique : Edgar Wright vit la vie de ses rêves. Passé sa révélation à la télévision anglaise, sur laquelle il peut donner vie à ses délires les plus fous (l’excellente série Spaced), il signait une trilogie « suédée », où il épingle autant qu’il salue les genres qui ont nourri sa cinéphilie légèrement déviante : film de zombies (Shaun of the Dead), buddy cop movie (Hot Fuzz), science-fiction apocalyptique (Le dernier pub avant la fin du monde). Puis c’est la baignade dans le grand bain hollywoodien avec Scott Pilgrim (échec à sa sortie devenu culte depuis) et Baby Driver, qui prend le prétexte du récit de braquage pour imprimer un film juke-box sur pellicule, avant de revenir en perfide Albion avec Last Night in Soho.
Aujourd’hui donc, Wright a gagné : comme un Tarantino avant lui, sa vision iconoclaste et anti-establishment de la cinéphilie a contribué à remettre au pinacle des cinéastes et des sous-genres entiers jadis méprisés. Si ses films ne cassent jamais la baraque au box-office, il est considéré comme une valeur sûre du cinéma américain, qui a réussi à faire son trou à Hollywood sans trop faire de compromis. Même quand, en 2014, il claque la porte du vaisseau Marvel après avoir signé pour réaliser le (dispensable) premier Ant-Man, il passe pour le courageux David qui ose brandir sa fronde face au Goliath disneyien. La concrétisation de ce Running Man en dit d’ailleurs assez long sur la baraka du bonhomme : interrogé sur feu Twitter quant au remake qu’il rêverait de réaliser, Wright répond en sortant de derrière les fagots cette série B oubliée avec Schwarzenegger, adaptée d’un roman de Stephen King. Et le film de se voir mis en chantier sans tarder. Comme la vie est parfois bien faite. Une question nous taraude toutefois : l’étoile de Wright brillera-t-elle encore longtemps après ce qui est, et d’assez loin, son pire film ?

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Un mauvais film, Running Man, l’est sans aucun doute – et à plus d’un titre. Au cours de ses (longues) deux heures treize de projection, on se pince devant les clichés, les facilités scénaristiques ou les idées calamiteuses accumulées par le long-métrage. Cela partait déjà mal avec cette idée du scénario (signé de Michael Bacall, scénariste de la franchise 21 Jump Street) : montrer Ben Richards, le héros qui participe au jeu télévisé donnant son titre au film, comme un bon père de famille droit dans ses bottes et toujours du bon côté de la loi. Au-delà de l’angle mort moral qu’il implique et quand bien même il se rapprocherait en cela du roman original de King, cette caractérisation plus blanche que blanche rend ce pauvre Richards indiscernable de n’importe quel butor sentimental qui peuple la saga Fast & Furious.
Un postulat qui explique et justifie tous les rebondissements, même les plus tirés par les cheveux, hélas à peine relevés par la mise en scène d’Edgar Wright, qu’on a rarement connu aussi peu inspiré. Wright, on l’a dit, a construit toute sa première partie de carrière sur des œuvres réalisées « à la façon de », à la lisière du pastiche. Dans la brillante scène d’ouverture de Hot Fuzz, par exemple, il tournait en dérision le filmage grandiloquent et survitaminé d’un Michael Bay, répliqué dans un commissariat de quartier londonien. Dans Running Man, il singe à nouveau le style clipesque de Bay et ses clones – sans qu’on sache pourtant bien si c’est pour rendre un brillant hommage au réalisateur de Bad Boys ou pour remplir sans trop se fouler le cahier des charges du blockbuster hollywoodien contemporain. Tâchons de voir le verre à moitié plein et rendons à Edgar ce qui lui appartient : en tirant son chapeau à Michael Bay, Wright a commis un film aussi assourdissant et abrutissant que les plus insouffrables objets bayiens.
L’incarnation de Ben Richards par Glen Powell souffre de fait des mêmes défauts : mis sur orbite par des suites tardives à des « classiques » hollywoodiens (Top Gun : Maverick, Twisters), Powell, avec l’œil qui frise et les punchlines en bandoulière, joue comme le faisait les demi-dieux de l’écran, Schwarzie et Tom Cruise en tête. À les mettre côte à côte comme autant de usual suspects, on commence à comprendre ce qui relie le scribe de 21 Jump Street, le cinéaste derrière la Blood and Ice Cream Trilogy et le Cruise 2.0 : l’ironie, dont tous trois ont usé et abusé jusqu’ici. Un modus operandi qui leur a plutôt réussi jusqu’ici mais qui, dans le cas présent, laisse l’impression tenace de voir Croquignol, Filochard et Ribouldingue faire mumuse avec les coûteux jouets du studio Paramount, sans jamais sortir de l’ombre des aînés qu’ils révèrent.
Running Man pourrait n’être qu’un film raté, un remake superflu, une indigne adaptation kingienne – trois sous-genres du cinéma hollywoodien dont les cimetières sont particulièrement bien remplis. Commettre un navet fait partie du lot commun de tout cinéaste et, comme l’a si bien résumé Daniel Prévost, « faire un mauvais film, c’est quand même beaucoup moins grave que d’attaquer une vieille dame » ! Ce n’est donc pas tant là que le bât blesse. Là où Running Man finit par gêner pour de bon, c’est lorsqu’il se pique de distiller un message « politique » confus qui achève de le rendre ambigu, pour ne pas dire difficilement défendable.
Appartenant au genre de la dystopie, de la contre-utopie, Running Man en déroule les éléments désormais familiers : société exclusivement divisée entre ultra-riches et morts de faim, entre luxueuses enclaves inaccessibles et ghettos coupe-gorge ; conglomérats tentaculaires ayant privatisé jusqu’aux dernières sphères imaginables ; divertissement décérébré régnant en maître et en moyen bien commode de camoufler les vérités inavouables de ceux qui détiennent le pouvoir… Pour louable que soit cette tentative critique, elle trouve rapidement ses limites. La première d’entre elles est l’hypocrisie latente du message compte tenu du messager : tancer le Big Business peut s’avérer compliqué quand on est par ailleurs truffé de placements de produits (pour les chaussures Puma, la boisson Monster Energy…) et plus encore quand on est produit par un conglomérat des médias qui ne cesse d’étendre son emprise à Hollywood. Jouant à domicile lorsqu’il satirise notre obsession pour la pop culture et la nostalgie de bazar de notre ère, Wright s’égare lorsqu’il tente de se placer dans la droite lignée des grands satiristes hollywoodiens comme Paul Verhoeven ou Bong Joon-ho.
La deuxième limite sur laquelle bute Running Man semble d’ordre plus général et concerne peu ou prou toutes les oeuvres mettant en scène des mondes partis en sucette : aussi loin qu’elles aillent, elles sont toujours rattrapées, voire ringardisées par une réalité elle-même en voie de « dystopisation », voire de « gorafisation ». Forcer ses citoyens à faire la queue avec des tickets de rationnement dans l’espoir de se nourrir, et envoyer face à eux des militaires lourdement armés pour être sûr que rien ne débordera ? Le président américain l’a fait, le mois dernier. Confier son sort à un bonimenteur télévisuel qui distord le réel à son bon plaisir et mine un à un les piliers de l’État de droit ? Le peuple américain l’a fait, à deux reprises. C’est face à cette fusion progressive de la réalité et de la dystopie que plusieurs œuvres achoppaient récemment – dont Marche ou crève, autre adaptation de Stephen King dans laquelle Mark « Luke Skywalker » Hamill faisait de son mieux pour camper un militaire retors et grimaçant, hélas jamais aussi flippant que l’« Agent Orange » dont il s’inspirait ostensiblement.
Ayant jusqu’ici échoué à nous mettre en garde sur ce marxisme-léninisme 2.0 qu’est le trumpo-muskisme, le cinéma, y compris « de masse », peut-il fourbir les armes qui permettront d’y résister ? Peut-être, quoique dans des paramètres n’ayant rien à voir avec l’apologie crapoteuse du vigilantisme dans laquelle finit par sombrer Running Man. Rien ne va, en effet, dans les solutions esquissées par le film : contrairement à ce qu’il prétend, « le peuple » n’est pas une masse informe et bestiale ravie de se mettre à la merci du premier bonimenteur. Et contrairement à ce qu’il veut nous faire croire, ce n’est pas en remplaçant une personnalité charismatique et vaguement providentielle par une autre – mais plus attirante, parce qu’il a la belle gueule de Glen Powell et est drapé des habits du pater familias – que l’on sortira de ce bourbier. C’est précisément parce qu’il perpétue les dérives contre lesquelles il veut nous mettre en garde que Running Man finit par s’avérer dangereux.
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