Cinquante nuances de Grey - Sam Taylor-Johnson - critique

Critique : Depuis la publication sur Internet des premiers chapitres de l’histoire, Cinquante nuances de Grey est devenue l’une des séries de livres les plus vendues de l’histoire avec 100 millions de copies dans le monde, traduites en 52 langues. Originairement destinées à prendre la poussière sur les étagères virtuelles de websites de fan fiction et d’érotico-fantasy bas-de-gamme, ces chroniques romantiques d’un milliardaire sadomasochiste ont bercé les instincts primaires du public. Le roman d’E.L. James a affolé la sexualité sur le déclin des mères de famille et réveillé celle en berne des jeunes femmes en devenir.

© Universal International Pictures

Programmé à l’affiche la veille de la Saint-Valentin, la sortie du film a bénéficié d’autant d’égards que la protection d’un secret d’État. Au-delà de sa promotion commerciale et de sa vocation marketing, Cinquante nuances de Grey exprime toute la bassesse possible dans son traitement de la sexualité. Sous prétexte d’explorer de nouvelles formes de sensualité, le long-métrage conserve le désir féminin sous l’égide patriarcale et assène, en lieu et place de coups de fouets, des principes moralistes et conservateurs sur les relations hommes-femmes.
Cinquante nuances de Grey fantasme davantage sur les stéréotypes que sur les morsures du martinet sur la peau. Christian Grey, milliardaire altruiste, se propose d’éradiquer la faim dans le monde, notamment dans les pays d’Afrique. Séduisant, mystérieux, il se compose un personnage glacial pour pallier aux terribles blessures intimes infligées par sa mère lorsqu’il était enfant. Anastasia Steele, étudiante en littérature anglaise candide et pure, provoque chez lui un désir incontrôlé de soumission. Cette pulsion est exacerbée lorsqu’il apprend que la jeune fille est vierge. Malgré ses dénégations incessantes, le jeune chef d’entreprise se prouve d’un romantisme à toute épreuve. Main dans la main, les amants valsent, batifolent en hélicoptère privé, rencontrent leurs parents respectifs...
Le film entretient un rapport timide à la sexualité. Ponctué des gloussements et rougissements de la protagoniste, le long-métrage compte quelques scènes suggestives jamais abouties. Les parties intimes des comédiens ne sont jamais montrées à l’écran. La présence de ce mysticisme religieux et moraliste autour de la nudité s’avère être l’arrière-pensée la plus inconvenante du récit. Moins charnel qu’une grande partie des clips musicaux actuels, Cinquante nuances de Grey fait de l’acte sexuel une publicité glamour impubère.
Jamie Dornan et Dakota Johnson, embarrassés par un rôle à la fois trop intense et trop abstrait, folâtrent maladroitement. Sans alchimie, sans passion, sans envergure, la relation entretenue par les acteurs achève de discréditer le long-métrage. Les protagonistes, faute de charisme et d’implication, dépouillent le film de son dernier attrait. Dépourvu de toute impétuosité charnelle, Cinquante nuances de Grey n’est rien d’autre qu’une longue présentation publicitaire désuète et sexiste.