Le 9 mars 2025

- Acteur : John Wayne
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Entretien avec Boris Szames, qui a enquêté sur ce fils du désert pour un ouvrage édité par Capricci et sorti en librairie le 13 septembre 2024.
Résumé : Il a donné corps au cow-boy archétypal tel qu’on le conçoit encore aujourd’hui, réalisé l’un des seuls longs-métrages ouvertement en faveur de l’intervention américaine au Vietnam ("Les bérets verts") et a sué sang et eau pour éviter une chimérique invasion de Hollywood par les communistes. Qui donc ? John Wayne, bien sûr. Pourtant, rien ne prédestinait un frêle gamin de l’Iowa à devenir l’icône – contestée – que l’on connaît.
Avant de prendre un pseudonyme passé à la postérité, John Wayne s’appelait Marion Morrison et n’était pas destiné à devenir une icône du cinéma. Quelle enfance a-t-il vécue ?
Marion Morrison était un enfant assez chétif de l’Iowa – pas du tout le modèle de virilité canonique que John Wayne deviendra. Un gamin tourmenté par ses camarades parce qu’il portait un prénom de fille… Ce qui m’intéressait dans le livre, c’était de montrer qu’il avait grandi plusieurs décennies après la conquête de l’Ouest, mais qu’il avait été pour autant très influencé par ces légendes, ce folklore. De plus, il a lui-même vécu dans le désert, ses parents lui ont donné une éducation de cowboy, qui a irrigué les personnages qu’il a joués plus tard. Sa mère, une vraie dure à cuire, lui expliquait qu’un garçon ne pleure pas, ne montre pas ses émotions – et lui disait que le propre père de Marion était un individu faible, un exemple à ne pas suivre. Pour autant, il est resté attaché à son père toute sa vie, et s’est toujours trouvé des pères de substitution, qu’il s’agisse d’un de ses coachs de football ou de John Ford.
Ce que l’on comprend bien aussi en lisant le livre, c’est à quel point, à l’époque, il n’existait pas de voie toute tracée pour devenir une star dans cet Hollywood volontiers « babylonien ». Wayne lui-même a pris quelques cours de théâtre, mais a fait beaucoup d’autres petits boulots avant de faire l’acteur.
John Wayne est clairement devenu acteur par nécessité : ayant perdu sa bourse à l’université, il avait besoin d’un petit boulot pendant les vacances ! C’est comme ça qu’il s’est retrouvé accessoiriste à la Fox, à l’époque des studios encore naissants. Un milieu en pleine agitation à l’époque, dans lequel Wayne se retrouvera à jouer les petites mains, les hommes à tout faire. Il observe tous les rouages de cette machinerie qui le fascine. Il était déjà grand cinéphile, et appréciait notamment les westerns avec Tom Mix.
Là, alors qu’il envisageait d’abord une carrière dans l’armée ou en tant qu’avocat, il en envisage finalement une dans le cinéma, et rencontre rapidement des cinéastes comme Ford, qui ont commencé à le mettre « dans le décor », initialement en tant que figurant puis en tant que premier rôle.
Vous citiez Tom Mix, qui est l’archétype du cow-boy américain pré-John Wayne : très propre sur lui, voire propret, toujours très digne… C’est bel et bien Wayne qui a « sali » la figure du cow-boy, vision plus proche de ce qu’ils étaient réellement lors de la conquête de l’Ouest.
On a tendance à oublier ce qu’ont pu être les premiers cow-boys, puisqu’il y a aussi eu entretemps le western italien et ses personnages – eux encore plus sales ! Mais avant cela, oui, c’est John Wayne qui sera le premier à casser les codes du western, en faisant du cow-boy quelqu’un qui n’hésite pas à utiliser ses poings pour rendre la justice.
Wayne a beaucoup observé les véritables cow-boys avec qui il avait tourné des films au cours des années 1930, ce qui l’a aidé pour forger cette figure effectivement plus proche de la réalité historique. Il a aussi travaillé sur sa gestuelle, sur son élocution – au début de sa carrière, il avait un accent traînant loin d’être glamour – et a pris de l’étoffe avec les années, pour parvenir à ce personnage archétypal, qui est selon moi celui qu’il a interprété dans les années 1950.
La collaboration entre Wayne et John Ford a donné lieu a de grands films mais leur relation personnelle est mal connue. Telle que vous la racontez, on la découvre faite de brimades, d’humiliations subies, consenties par Wayne de la part du cinéaste.
Il y avait une relation forte entre les deux, une sorte d’amour filial. Ford est, avec Howard Hawks, celui qui a « accouché » de Wayne, qui lui a offert les rôles les plus beaux et denses de sa carrière d’acteur. Et cela, John Wayne ne l’a jamais oublié ; je pense que c’est la raison pour laquelle il a accepté toutes ces brimades en plateau. C’est un rapport qui confinait parfois au masochisme mais pour autant plein de tendresse. John Ford avait ce côté irlandais, bourru, pas du genre à dévoiler ses sentiments. Et, quand on lui demandait pourquoi il se conduisait ainsi avec Wayne, il répondait, de façon roublarde, que c’était pour tirer le meilleur de lui en tant qu’acteur.
Après avoir longtemps observé les réalisateurs à l’œuvre, John Wayne passe finalement derrière la caméra avec Alamo, qui sera fraîchement accueilli par la critique et le public. Quelle est l’histoire de ce film ?
Pour comprendre Alamo, il faut se rappeler le poids – consenti, certes – qui pèse sur les épaules de Wayne depuis les années 1940. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est l’un des seuls acteurs américains à ne pas combattre dans l’armée, ce qu’on occulte assez souvent. Suite à cela, il se mettra à jouer le parangon du GI indestructible, du soldat américain idéal, sorte d’ancêtre des super-héros actuels.
Son but était de sauver le monde, et même plus précisément l’Amérique, en se mettant au service d’un discours idéologique. Il faut savoir que Wayne était un vrai passionné d’Histoire – pas le béotien incapable d’aligner deux mots que l’on imagine. L’histoire de Fort Alamo lui a tapé dans l’œil, puisqu’il s’agissait d’une histoire de résilience, de résistance, qui deviendra aussi un tract de propagande pour la conservation de la patrie.
C’est un projet qu’il portait depuis les années 1940, qui a navigué entre la RKO – à l’époque où elle était la propriété du magnat Howard Hughes – et Republic Pictures avant de tomber à l’eau. Alamo exigeait des moyens très importants ; John Wayne pouvait capitaliser sur son nom en tant qu’acteur… mais pas en tant que réalisateur. Assez miraculeusement, à la fin des années 1950, le projet a pu se monter, aussi parce que Wayne avait créé sa propre maison de production. La vogue était alors que les acteurs montent leur propre structure – prise d’autonomie qui faisait grincer des dents les cinéastes et les patrons des studios…
L’anticommunisme ardent de John Wayne, le rôle qu’il a pu jouer dans la pénétration des idées maccarthystes à Hollywood sont resté fameux. Pourtant, vous y voyez un certain opportunisme de la part de l’acteur…
Il a pu y avoir de sa part un certain opportunisme, oui. Même si, selon moi, Wayne était réellement persuadé que les « Rouges » étaient aux portes de la Californie. Il vivait dans le climat de paranoïa générale de l’époque, nourri par les discours sur l’infiltration des Soviétiques aux États-Unis. Wayne ira d’ailleurs jusqu’à présider la commission chargée de débusquer les communistes à Hollywood.
Pour autant, il savait faire la part des choses – ce qui a d’ailleurs pu se retourner contre lui. Sa défense de certains scénaristes communistes lui a même valu d’être la victime d’une campagne orchestrée par la journaliste Hedda Hopper. Une anecdote résume bien la position de Wayne sur le sujet : en 1970, il reçoit le seul Oscar de sa carrière, celui du meilleur acteur pour Cent dollars pour un shérif. Un film écrit par une scénariste communiste et blacklistée, Marguerite Roberts, et un rôle que l’acteur dira avoir attendu toute sa vie.
Quels sont les cinq films de John Wayne que vous conseillez à ceux qui connaissent mal sa filmographie ?
Je vais essayer de répondre à la question en ne citant pas cinq œuvres réalisées par John Ford ! De Ford, pour autant, je citerai La chevauchée fantastique ainsi que Les hommes de la mer, très beau film dans lequel Wayne joue un rôle à contre-emploi de marin suédois. L’homme tranquille, aussi, évidemment. De Hawks, La rivière rouge. Un autre, sans hésiter : Le dernier des géants de Don Siegel, tout dernier long-métrage de l’acteur – bien que je trouve Wayne moins bon dans ses films tardifs. Enfin, en bonus, je citerai Écrit dans le ciel, une curiosité de William A. Wellman qui est l’ancêtre des films-catastrophes hollywoodiens.
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