Le 20 avril 2025
Ce n’est pas avec ce conte d’héroïque fantaisie moderne que Hollywood poussera la fantasy dans ses retranchements les plus excitants et novateurs.


- Acteurs : Emily Watson, Willem Dafoe, Finn Wolfhard, Helena Zengel
- Genre : Aventures, Fantastique, Teen movie, Heroic fantasy, Film pour ou sur la famille
- Nationalité : Américain
- Distributeur : KMBO
- Durée : 1h36mn
- Titre original : The Legend of Ochi
- Date de sortie : 23 avril 2025

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Résumé : Dans un village isolé des Carpates, Yuri, une jeune fille élevée dans la crainte des mystérieuses créatures de la forêt appelées Ochis, se voit interdire de sortir après la tombée de la nuit. Un jour, elle découvre un bébé Ochi abandonné par sa meute. Déterminée à le ramener auprès des siens, Yuri va défier les interdits et s’engage dans une aventure extraordinaire au cœur des secrets de la forêt.
Critique : Passons tout de suite sur l’histoire convenue et déjà vue de La Légende d’Ochi. Un zest de Bambi, une bonne moitié d’E.T., un monstre ressemblant à Gizmo des Gremlins : le récit tricoté par le réalisateur lui-même est une énième histoire de rencontre entre un enfant délaissé (l’héroïne, Yuri) et une créature-trop-choupi-dont-on-dit-qu’elle-est-dangeureuse-mais-en-fait-ce-sont-les-humains-les-méchants. Ce conte aux lointains airs de Miyazaki ou de Okja de Bong Joon-ho lasse d’autant qu’il sert moins d’argument pour discourir sur l’état actuel de notre planète, de la modernité ou du capitalisme que de tremplin pour renouer les liens d’un foyer désuni. La famille nucléaire et l’importance de sa bonne tenue étant depuis longtemps la marotte usée jusqu’à la moelle du cinéma américain mainstream, rien de nouveau sous le soleil. Le film frappe davantage par son aspect visuel, pour le moins incongru, qui mérite à lui seul qu’on s’y attarde. Si le scénario ne dit pas grand-chose, cette patine particulière, qu’on la trouve désagréable ou admirable (voire, plus intéressant, les deux à la fois), est un discours en soi.
Lors de sa mise en ligne sur Internet, la bande-annonce de La Légende d’Ochi a suscité un vent de critiques pour son utilisation supposée de l’IA. Le réalisateur a fermement démenti. Au contraire, bien qu’un peu de CGI ait été utilisé (difficile de fabriquer un film sans, aujourd’hui), la démarche est « à l’ancienne ». Marionnettes animatroniques et peintures sur cache, des procédés très utilisés par exemple sur le tournage des premiers Star Wars, ont été les maîtres mots de la réalisation du long métrage. L’adorable créature dont s’entiche la jeune héroïne a ainsi nécessité, selon les dires d’Isaiah Saxon, sept animateurs pour qu’elle se meuve à l’écran. Il est tout de même aisé de comprendre les premières réactions publiques. Si le film pioche en effet du côté de l’esthétique héroïque fantaisie tendance VHS des années 80, les cadrages très centrés (influence d’un Wes Anderson ?), le rendu irréaliste des matières (l’eau ressemble à de l’huile, les arbres et les feuilles revêtent la matière du réglisse) et la maladresse apparente avec laquelle les acteurs déambulent dans ces paysages bariolés font bel et bien penser à ces films réalisés sur MidJourney qui pullulent sur Internet depuis un ou deux ans. Dans nombre de ses plans, notamment les plus larges et les plus resserrés, La Légende d’Ochi fait davantage penser à un remake du Seigneur des anneaux par l’IA qu’à l’original ou qu’aux Willow, Legend ou autres Dark Crystal qui servent manifestement de référence à ce premier long.
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Autre distinction du nouveau venu par rapport à ses maîtres : la présence de la contemporanéité. S’il est question de lutte entre humains et monstres, si la majorité de l’intrigue prend place dans des forêts ou des caves menaçantes, le film s’extrait des codes de la fantasy la plus classique en incluant dans son cadre des doudounes en polyester, des armes à feu, un supermarché et quelques voitures. Le melting-pot temporel et visuel ne s’arrête pas là puisque ces marques de modernité sont elles aussi d’un autre âge – davantage années 1980 que 2020 – et que les curseurs de leurs couleurs ont été poussés au maximum. Enfin, une dernière incongruité, cette fois-ci culturo-géographique, vient s’ajouter à ce drôle de mélange. Le film est supposé se dérouler sur une île de la mer Noire et les Ochi sont des créatures des Carpates. Cet ancrage Europe de l’Est vient pourtant se heurter à la langue anglaise pratiquée par tous les personnages du film et à la convocation d’un certain imaginaire et folklore nordique – l’accoutrement de Willem Dafoe en tête. Isaiah Saxon a d’ailleurs réalisé des clips pour la chanteuse islandaise Björk et la présence au casting de Dafoe et d’Emily Watson impose au film des souvenirs Lars von Trierien – l’aspect irréel des matières fait à quelques moments penser aux ralentis ultra stylisés qu’on pouvait voir dans Melancholia.
Que penser alors de cet objet à plusieurs entrées qu’est la facture graphique de La Légende d’Ochi ? Que l’esthétique semble non seulement raccord avec le scénario qu’elle sert, mais que sa manière de nous délivrer son message, fine et pleine d’ambiguïté, offre au récit programmatique des aventures de Yuri une ambiguïté inattendue.
Le souffle lyrique tout jacksonnien (tendance Peter, pas Michael) qui irrigue les premiers lents plans larges doublés de légers travellings avant formulent une note d’intention on ne peut plus claire : ce qui intéresse, fascine, enamoure en premier lieu le cinéaste américain, c’est ce souffle joliment naïf et spectaculaire qui anime la saga Le Seigneur des anneaux et la fantasy de manière générale. Or, l’ennemi naturel du charme délicieusement nerd de ces mondes peuplés d’elfes et autres créatures féériques, est évidemment le monde réel et sa contemporanéité technologique (en cela le nom anglais de l’héroïque fantaisie, sword and sorcery, est plus explicite quant à l’adoption d’un régime technique strictement restrictif a l’ère médiévale). C’est tout le propos de la trajectoire de Yuri, qui va fuir la ville et son père chasseur pour rejoindre la forêt et les bêtes : face à la modernité, ce souffle magique, il faut tâcher de le retrouver (ou du moins, il convient de regretter sa finitude). La civilisation dans le film pourrait alors être aisément vue comme l’ennemi à abattre. Pourtant, alors que nombre d’œuvres de fantasy font le choix de repousser purement et simplement cette réalité hors de la diégèse, sa seule présence dans le long-métrage – même réduite à sa portion congrue – est une preuve d’acceptation. Plus encore, l’esthétique si étrange des cadrages et de la photographie que nous venons de décrire, par son hybridité tous azimuts, fait le pari d’une curieuse fusion de la fantasy et du réel – que l’on croyait pourtant comme eau et huile. La civilisation revêt les couleurs pastel délavées et les contrastes forts d’une certaine stylisation de la nature et la forêt se voit habillée de l’aspect IA déjà évoqué et d’un filmage mécanique qui contrevient à toute forme de naturalisme. À cette aune, la fin du film, qui fait de la figure du père et de la modernité qu’il incarne un ennemi à rééduquer plutôt qu’à défaire – scénario tendance eau tiède oblige – achève cette solution instable dont la patine bigarrée de la photographie serait l’incarnation : esthétique cosmopolite, mondialisée ET insulaire ; projetée vers la nature, les effets manuels ET rappelant étrangement les plus récentes innovations technologiques ; à la fois tournée vers le passé ET on ne peut plus actuel et 2025 dans sa nostalgie vintage ; associant sans vergogne le beau ET le terriblement laid.
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La démarche est celle d’une hybridation de la fantasy avec une certaine forme de réel. Soit. Mais à quelle fin ? Pas à discourir sur ce dit réel, puisque ce dernier est, comme précisé plus haut, désormais trop corrompu par le conte pour restituer sa sève véritable. Nous sommes loin d’un Bird, d’Andrea Arnold, sorti début 2025, qui utilisait la figure de l’homme oiseau pour mieux raconter le grand souci de la cinéaste anglaise – comment, malgré leurs conditions de vies indigentes, les ressortissants des classes prolétaires britanniques peuvent trouver beauté et transcendance ; loin également du Règne animal de Thomas Cailley, dont le scénario de fantastique 101 pouvait pourtant donner lieu à bien des interprétations – un corps de jeune homme frappé par la puberté, une génération confronté à l’écocide faisant le choix d’une plus grande proximité avec la nature, l’irruption dans sa chair d’un désir sexuel hors normes, etc. La solution se trouve sans doute au tout début du film, avant même son commencement. Lors des cartons inauguraux, un logo désormais fameux fait son apparition : A24. La firme connue pour porter les carrières de cinéastes aujourd’hui très suivis comme Ari Aster (pour le meilleur) ou Robert Eggers (pour le pire, depuis au moins deux films) distribue le long-métrage. À travers les deux figures susmentionnées, qui ont revisité le genre horreur avec maniérisme et références intello, A24 s’est taillé la réputation du studio qui « auteurise » les « mauvais » genres. En ce sens, et dans une forme de logique totale de leur ligne éditoriale, La Légende d’Ochi se voit comme une des premières tentatives de passer à travers ce tamis (voire cette machine à laver) l’héroïque fantaisie – après l’horreur, la SF (After Yang, High Life), le thriller érotique (le récent et mauvais Babygirl), ou encore le film de kung-fu (Everything, Everywhere, All at Once). La démarche ainsi comprise, le coup d’essai La Légende d’Ochi apparaît comme une manière un peu simple pour les anciens nerds d’adopter les poses branchouilles de leurs bullys de lycée. Si cette mutation intrigue, elle sonne comme un manque d’ambition. Ce n’est pas avec ce film que le studio poussera la fantasy dans ses retranchements les plus excitants et novateurs. Reste à attendre la suite pour voir jusqu’où cette nouvelle mue peut pousser le genre. Pas sûr que cela donne de bons films mais, écrivant ces lignes, votre serviteur a hâte d’en voir le résultat.
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