Capturer les émotions
Le 2 juillet 2013
Cinq ans après l’étonnant Valse avec Bachir, Ari Folman présente un film d’anticipation librement adapté du roman éponyme de Stanislas Lem.
- Réalisateur : Ari Folman
- Acteurs : Harvey Keitel, Robin Wright (Robin Wright Penn), Jon Hamm
- Genre : Drame, Science-fiction, Animation
- Nationalité : Américain
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 2h00mn
- Date télé : 25 juillet 2025 20:50
- Chaîne : TCM Cinéma
- Date de sortie : 3 juillet 2013
- Festival : Festival de Cannes 2013
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Résumé : Robin Wright (que joue Robin Wright), se voit proposer par la Miramount d’être scannée. Son alias pourra ainsi être librement exploité dans tous les films que la major compagnie hollywoodienne décidera de tourner, même les plus commerciaux, ceux qu’elle avait jusque-là refusés. Pendant vingt ans, elle doit disparaître et reviendra comme invitée d’honneur du Congrès Miramount-Nagasaki dans un monde transformé et aux apparences fantastiques…
Nous présentons deux critiques de ce film, l’une mitigée, l’autre complètement négative.
Critique : Pour son premier film américain, Ari Folman n’a pas choisi la facilité. Adaptant une œuvre de Stanislaw Lem, il signe un scénario et réalise une mise en scène fidèles à l’univers de Valse avec Bachir, son triomphe mondial. Le congrès peut être découpé en deux parties chronologiques. La première heure est la plus réussie, qui voit l’actrice Robin Wright interpréter son propre rôle, celui d’une star hollywoodienne ayant connu une carrière honorable et se retrouvant à un âge problématique pour les grands studios. Robin Wright, divorcée de Sean Penn, a été la vedette de Princess Bride, Toys, Forrest Gump et She’s So Lovely. Contactée par son agent (Harvey Keitel), elle apprend que la firme Miramount lui propose un étrange contrat : exploiter librement son image de cinéma en la scannant numériquement, ce qui permettrait de réaliser des films mettant en avant son éternelle jeunesse, l’actrice n’ayant alors plus besoin de se préoccuper de sa carrière, s’investir dans un rôle et participer à des tournages. On lui fait comprendre que le cinéma traditionnel est un art et une technique dépassés, et que son exemple sera suivi de bien d’autres. « Robin Wright » est prise d’un cas de conscience mais réalise que cette offre lui permettrait de s’occuper de son fils adolescent (Kodi Smit McPhee), atteint depuis sa naissance d’une maladie lui occasionnant une perte progressive de la vue. Cette première partie envoûte par le caractère glacial de sa mise en abyme et la vision d’un cinéma hollywoodien prêt à tout pour retarder le déclin de son industrie, n’hésitant pas à exploiter jusqu’à l’usure l’image de ses icônes. La critique n’est certes pas nouvelle. Des stars du muet victimes de la révolution du parlant et tentant de revenir sous les feux des projecteurs (Sunset Boulevard) à l’exploitation de célébrités à la télévision puis en support vidéo, la fiction et la réalité ont donné maintes illustrations. L’outrage au métier d’acteur via la technique a pu en effet se perpétuer depuis le doublage des films parlants, et aujourd’hui ce sont les acteurs de post-synchronisation qui sont à leur tour menacés de chômage avec l’intelligence artificielle... Et notons que le numérique a agi sur de nombreux visages, avec la « capture de mouvements » d’excellents comédiens (Jamie Bell, Daniel Craig) réduits à des pantins dans le Tintin de Spielberg, pour ne citer qu’un exemple. Mais dans Le congrès, le vertige prend une autre dimension, dans tous les sens du terme. La seconde partie du récit se déroule vingt ans plus tard. « Robin Wright » est une vieille dame oubliée mais est devenue entre-temps un symbole puisque son « double numérique » a cartonné. Elle est alors l’invitée d’honneur d’un congrès de la Miramount Nagasaki, qui présente sa dernière invention : vivre son film sur demande, sur simple prescription. Formellement, le film passe en animation, un personnage informant l’actrice (et le spectateur) que la zone du palais des congrès est exclusivement réservée à ce mode : une substance liquide avalée permet de se voir (ou de vivre) dans le monde du dessin animé. Le congrès prend alors une tournure lynchienne distillée dans la série B de science-fiction, ce qui pourra déconcerter, d’autant plus que le graphisme, techniquement réussi, n’a pas la splendeur esthétique de Valse avec Bachir. En fait, Ari Folman prend un virage d’écriture assez complexe, et l’on pourra perdre le fil d’une histoire basée sur les rebondissements, les frontières floues entre le passé et le présent, le réel et le virtuel, l’organique et le chimique... Une histoire d’amour maladroite et un ton lacrymal dès que le film évoque les relations entre la mère et son fils (disparu ?) atténuent en outre la force de la fable d’anticipation. De la critique hollywoodienne, l’auteur glisse vers une réflexion trop large sur la « science sans conscience » mais d’autres films américains avaient davantage convaincu dans ce registre : on songe notamment à Bienvenue à Gattaca (1997) d’Andrew Niccol aux Fils de l’homme (2006) d’Alfonso Cuarón. Au final, Le congrès s’avère inégal mais mérite largement le détour par son sujet et son premier volet magistral.
Gérard Crespo
Critique : En 2008, Ari Folman créait la surprise avec Valse avec Bachir, film audacieux considéré par beaucoup comme l’un des premiers documentaires d’animation. Le long métrage, qui traitait du conflit libanais du début des années 80, possédait un intéressant aspect autobiographique puisque le réalisateur a vécu, en tant que soldat, les drames de cette terrible période – le personnage principal était d’ailleurs le reflet de sa propre personne. Avec Le congrès, Ari Folman change de cap, et s’oriente plus que jamais vers la fiction, et plus précisément la science-fiction, puisque son récit constitue clairement le récit d’anticipation par excellence, présentant un futur certes fantaisiste, mais assurément hypothétique. Cette volonté de tisser un lien avec le réel est évidement accentuée par le choix de mettre en scène Robin Wright dans son propre rôle. L’actrice, en panne de notoriété, se voit proposer par La Miramount d’être « scannée », c’est-à-dire de voir son corps capturé par des caméras afin d’être, par la suite, reproduit numériquement dans des films. La femme perd alors son droit à l’image et, surtout, doit se résigner de ne plus tourner aucun film, son avatar étant là pour la remplacer, définitivement. Robin Wright, dans l’impasse, accepte malgré elle. Le congrès pose les bonnes questions (quel avenir pour un cinéma qui a fait de la course effrénée à la rentabilité son unique moteur ?) mais ne parvient malheureusement pas à y répondre, puisque son récit s’embourbe presque volontairement dans un propos vaste et confus qui multiplie, avec maladresse, les angles de lecture. Le récit, s’amusant des frontières floues des genres qu’il pense incarner, s’avère beaucoup trop déstructuré pour convaincre et créer cette relation bilatérale entre Robin Wright et le spectateur, indispensable à la mise en place de son propos alarmiste sur la situation d’acteur – et, plus généralement, d’artiste. Difficile en effet de ressentir de l’empathie pour un personnage aux multiples apparences et à la personnalité floutée par une charge trop importante de symbolisme : présenté à la fois comme une mère engagée, une artiste déprimée et une femme amoureuse, le personnage imaginé de Robin Wright ne supporte que peu les enjeux dont il est le centre de gravité, faute d’un évident manque de véracité - bien que le film use parfois habilement de la figure de l’actrice déchue et offre de très belles séquences, notamment celle où l’actrice offre son corps aux capteurs meurtriers de La Miramount. Au-delà de ces considérations scénaristiques, Le congrès souffre d’un cruel manque de rythme et ne parvient jamais à produire du spectacle, malgré les magnifiques images qu’il propose en grande quantité – que ce soit dans sa première ou seconde partie. Ses dialogues sont longuets, ses séquences d’action ratées, et son incapacité à créer de l’émotion en fait un long métrage inoffensif, alors que sa dimension politique est évidente. À l’image des personnages de son film, Ari Folman s’est hélas perdu dans ses rêves et ses désirs de grandeur.
Pierre Perrado
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