Critique

CINÉMA

Mank - David Fincher - critique

Le 2 décembre 2020

Si Fincher rate sans doute la case « grand film », il y a fort à parier qu’il s’en fiche, et a pris un plaisir immense à réaliser son onzième long-métrage, d’une élégance et d’une maîtrise rares, qui peut toutefois laisser son spectateur sur la touche.

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  • François Roque 6 décembre 2020
    Mank - David Fincher - critique

    On va mettre de côté le fait que Fincher revienne au long-métrage après 6 ans. Aucun rapport avec tout avis sur Mank : bien d’autres ont pris ou prennent encore plus de temps entre deux films. Tout comme sa dimension « affective », en raison du lien père-fils, scénariste-réalisateur et de ses difficultés durant 30 ans à le monter. Car là aussi, faut-il le savoir…

    Dès le générique, avec sa typographie désuète ombrée sur fond de ciel en noir et blanc, on comprend que Fincher va nous la jouer vieux cinéma des années 40. Après trois plans d’un cortège de voitures conduisant Herman J. Mankiewicz, dit Mank, à sa résidence d’écriture du scénario de Citizen Kane, premier film d’Orson Welles, la caméra s’arrête devant un panneau : « North Verde Ranch ». Difficile de ne pas penser au film de Welles s’ouvrant également sur le panneau d’entrée d’une propriété privée. Si le spectateur n’a pas vu Citizen Kane, cette subtilité et bien d’autres, lui échapperont comme quand Mank dicte de futures scènes qui ne seront pas tournées intégralement ou passeront à la trappe ; la reprise de plusieurs plans inspiré du film ; et surtout une narration identique en flash-back sur Mank, ses déboires avec les studios, l’establishment, son alcoolisme, sa culture, sa désinvolture ou sa générosité. D’ailleurs, pour ne pas nous perdre, Fincher glisse des intertitres précisant lieux, date avec mention « Flash-back », comme le ferait un scénariste devant sa machine à écrire.

    Si le film dure plus de deux heures, que l’interprétation de Gary Oldman en Mank est exceptionnelle (le reste du casting aussi), sa densité fait que les tenants et aboutissants, les enjeux profonds ne sont pas complètement ou clairement exposés. Ça cavale tellement que même certains cinéphiles, ayant pourtant en tête leurs fiches sur Louis B. Mayer, Irving Thalberg, David O. Selznick, Marion Davies, les Marx Brothers, Josef von Sternberg, la genèse du Magicien d’Oz, la virginité de Mary Pickford et autres ragots, la guerre entre studios, sans oublier le contexte géo-politique de l’époque et ce fameux milliardaire Randolph Hearst, ne sont pas à l’abri de se perdre.

    Un simple exemple. L’équipe des scénaristes de Mank, est convoquée par leur boss, David O. Selznick, pour pitcher à Josef von Sternberg une idée de film qu’il leur a demandée 3 jours avant. Comme dans la séquence précédente, on a compris qu’ils n’ont rien foutu, ils partent en impro. La scène est plaisante, très bien écrite et filmée, on s’amuse de leur numéro mais au risque de ne pas saisir le foutage de gueule de ces lurons. Des cinéphiles devineront alors qu’ils pondent en roue libre un mashup hautement foireux du Frankenstein de James Whale (1931) et du Cabinet du docteur Caligari de Robert Wein (1920). Ça galope ainsi, trop même, entre allusions pour initiés, name dropping et ellipses, si bien qu’on s’ennuie parfois ou se retrouve dans des situations arrivant comme un cheveu sur la soupe, telles les obsèques de Thalberg.

    David Fincher qui, pourtant sait rendre limpides des histoires tordues et très ancrées dans la culture américaine (Zodiac ou Mindhunter), cède clairement à la forme, à sa mise en scène rigoureuse, sa direction de comédiennes et comédiens dans des décors plus vrais que nature, pour livrer un objet, à la fois beau mais trop souvent obscur, quasi fétichiste, une « lettre d’amour » au monde du cinéma, parmi bien d’autres, de Wilder, Truffaut à Tarantino ou Hazanavicius, en passant par Donen, Kazan, Godard, etc., etc. Et quand on sait que Welles a réécrit une grande partie du scénario de Mank, cette pré-genèse de Citizen Kane en apparaîtrait presque comme un prétexte.

    Mank n’en demeure pas moins une ode à la cinéphilie. On ne peut que saluer l’audace de Netflix de produire cette proposition avant tout artistique, dans un noir et blanc et un mixage quasi d’époque bien que tournée en numérique. Fincher pousse le vice à rajouter le rond dans un coin de l’image, la fameuse « brûlure de cigarette » sur pellicule, ce repère qui avertissait autrefois le projectionniste en cabine du changement de bobine. Mank prend alors deux autres dimensions : celle d’un nouveau règlement de compte entre Netflix et ses détracteurs puristes du cinéma en salle, et aussi de pari (risqué ou naïf ?) sur une partie de ses jeunes abonnés, moins cinéphiles, pour les encourager à explorer des zones plus anciennes de l’histoire du cinéma. Et c’est peut être là, que se trouve une autre vraie beauté du geste de Fincher.

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