Le 19 juillet 2021
Si Asghar Farhadi ne dément pas une nouvelle fois son incontestable talent, le scénario qu’il met en scène se perd parfois dans des invraisemblances qui noient le propos et font perdre au récit son intensité dramatique.
- Réalisateur : Asghar Farhadi
- Acteurs : Mohsen Tanabandeh, Sarina Farhadi, Amir Jadidi, Fereshteh Sadre Orafaee, Maryam Shahdaei
- Genre : Drame
- Nationalité : Iranien
- Distributeur : Memento Distribution
- Durée : 2h07mn
- Titre original : Ghahreman
- Date de sortie : 15 décembre 2021
- Festival : Festival de Cannes 2021
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Résumé : Rahim est en prison à cause d’une dette qu’il n’a pas pu rembourser. Lors d’une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d’une partie de la somme. Mais les choses ne se passent pas comme prévu…
- Copyright Amirhossein Shojaei
Critique : Le septième art iranien est de plus en plus diffusé sur les toiles française. S’affirme la volonté du pays à produire des longs-métrages de très grande qualité. Asghar Farhadi fait partie des réalisateurs les plus talentueux de cette nation. Habitué aux marches de Cannes, il propose un nouveau film Un héros, incontestablement brillant d’un point de vue purement cinématographique, mais souffrant d’un scénario pour le moins surprenant. Un homme, apparemment bon, Rahim, est incarcéré, car il ne s’est pas acquitté d’une dette. Sa fiancée trouve dans la rue un sac à mains rempli de pièces d’or et le prisonnier, après avoir hésité à les vendre pour purger sa créance, se transforme en un héros national quand il décide de restituer le trésor à sa propriétaire. S’engage alors, à coups de réseaux sociaux et de mises en scène télévisées, un combat pour sa libération, au grand dam du créancier qui doute de la sincérité de Rahim.
Comme souvent dans le cinéma iranien, la narration est construite sur un moteur cornélien qui légitime la posture de l’ensemble des protagonistes, dans un environnement législatif pour le moins questionnant. La dimension éthique est au cœur de cette course à la libération. Asghar Farhadi en profite pour égratigner le régime politique qui entretient une justice très dépendante de la décision de la victime ou de la famille de celle-ci, quand s’applique, par exemple, la loi du talion. En l’occurrence, l’absurdité de la situation tient au fait qu’on puisse être incarcéré pour une dette non réglée, même si le créancier s’estime lésé dans la mesure où il a dû renoncer à la dot de mariage pour sa fille. Tous les poncifs déjà bien connus de la situation du pays sont présents dans le récit et Asghar Farhadi ne renouvelle pas les thématiques.
- Copyright Amirhossein Shojaei
Pour autant, la mise en scène des acteurs est tout à fait intéressante, ne succombe pas à des surenchères de larmes, comme c’est le souvent le cas dans les films iraniens. Le problème demeure la structure narrative générale. En effet, on a du mal à croire à cette perte de pièces d’or, dans un territoire économiquement étouffé depuis l’embargo américain. La question de l’argent est omniprésente dans le récit, mais elle passe à côté de la réalité sociale qu’on connaît en Iran, pour se concentrer sur la conséquence légale. On aurait apprécié de mesurer les impacts financiers qui pèsent sur la classe moyenne, la contraignant à s’endetter. Le réalisateur ignore le problème, montrant des familles qui passent au contraire beaucoup de temps à manger des repas totalement illimités. Même la question des femmes, qui dépend d’un modèle culturel partagé entre émancipation sociale et restrictions légales, est assez mal illustrée, là où le long-métrage Une séparation du même réalisateur démontrait avec brio la situation insupportable des épouses en Iran. Certes, de beaux personnages comme la sœur ou l’amie de Rahim parcourent le récit, mais le cinéaste ne va pas au bout de leur complexité, préférant se concentrer sur la quête de liberté à tout prix du héros.
Le comédien principal, Amir Jajidi, habitué à la caméra de Farhadi, ne dément pas son talent incroyable. Il interprète un homme bien sous tous rapports. Le spectateur ne doute pas de sa sincérité, jusqu’à ce que le récit s’amplifie. Le protagoniste est d’emblée positionné comme victime d’un système judiciaire aberrant, contrairement à son beau-frère auprès duquel il a contracté la dette. Les deux figures masculines se livrent un combat pour la reconnaissance de leur situation sociale où tous les coups sont permis. Il est vrai que le récit succombe alors au risque du manichéisme. En effet, si l’on comprend les raisons de mettre dos à dos deux personnages aussi radicaux dans leur caractère, on aurait souhaité un peu plus de nuances et de complexité dans cette rivalité. Plus gravement, le scénario use de la situation de handicap de l’enfant de Rahim pour rajouter du sel au mélodrame, ce qui met passablement mal à l’aise.
Un héros est un film qui séduira un grand nombre de spectateurs grâce à son rythme, l’interprétation des comédiens sans failles et les questions éthiques qu’il pose. Pour autant, Asghar Farhadi nous avait habitués à un cinéma plus nuancé et à une écriture plus subtile.
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