Le 29 avril 2024
Ce récit en quatre parties constitue une critique féroce de la société chinoise et confirme le talent d’un auteur qui monte.
- Réalisateur : Jia Zhangke
- Acteurs : Zhao Tao, Zhang Jia-yi , Hong Wei Wang, Wu Jiang, Luo Lanshan, Baoqiang Wang
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais, Chinois
- Distributeur : Ad Vitam
- Durée : 2h13mn
- Titre original : Tian Zhu Ding
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 11 décembre 2013
- Festival : Festival de Cannes 2013
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Résumé : Dahai, mineur exaspéré par la corruption des dirigeants de son village, décide de passer à l’action. San’er, un travailleur migrant, découvre les infinies possibilités offertes par son arme à feu. Xiaoyu, hôtesse d’accueil dans un sauna, est poussée à bout par le harcèlement d’un riche client. Xiaohui passe d’un travail à un autre dans des conditions de plus en plus dégradantes. Quatre personnages, quatre provinces, un seul et même reflet de la Chine contemporaine : celui d’une société au développement économique brutal peu à peu gangrenée par la violence.
Critique de Gérard Crespo :
Prix du scénario au Festival de Cannes 2013, A Touch of Sin séduit pourtant moins par son récit minimaliste que par la sécheresse d’une mise en scène au scalpel, unissant avec bonheur quatre segments narratifs unis par quelques passerelles. Combinant structure du film à « sketches » et ébauche d’œuvre chorale, Jia Zhangke propose une radioscopie sans concessions de la société chinoise. Film de fiction, il épouse le réalisme et évoque des thèmes qui auraient pu faire l’objet d’un documentaire, comme le cinéaste avait su le faire dans 24 City. Le cynisme des nouveaux riches, la précarité de l’emploi, l’exploitation des femmes ou les désillusions d’une jeunesse sans avenir sont autant de tares dénoncées par le réalisateur. Il utilise ainsi des fragments de séquences similaires à un reportage : rassemblement de personnel dans la cour d’une entreprise, ouvrier à son poste face au risque des accidents de travail, accueil de clients dans un salon de massage provincial...
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Mais un souffle de fantastique social irradie la belle mécanique naturaliste que l’auteur met en place. Le massacre perpétré par un salarié à bout, qui tuera tout ce qui bouge à la suite d’une humiliation insoutenable, donne au film une tonalité étrange : on peut bien sûr y voir la dénonciation d’un pouvoir ne respectant pas ses membres et les poussant à bout. On pourra aussi percevoir une volonté de rupture de ton en incrustant les codes du film d’horreur et du thriller dans un projet de cinéma politique. Le « pétage de plomb » de Dahai peut ainsi être lu comme un cas de schizophrénie mais aussi d’irrationnelle catharsis. On songe à Philippe Noiret, décidé à effectuer un salvateur Coup de torchon pour Tavernier, mais aussi aux deux anges de la mort illuminés de Elephant. Ce kaléidoscope critique est donc une bonne surprise. On regrettera toutefois des longueurs et des afféteries stylistiques inhérentes à l’exercice de « film de festival ». Mais on ne peut que respecter la démarche d’un cinéaste dont il est surprenant d’apprendre qu’il n’a pas eu ici de problèmes avec la censure.
Critique de Camille Lugan
Il y a toujours eu présente chez Jia Zhangke, dès ses premiers films, l’ambition de raconter la Chine contemporaine sous la forme d’une fresque, dans le sens le plus littéral du terme – représenter une histoire qui se déroule sous le regard, dans une succession de vignettes et d’épisodes. Ce qui portait et unifiait cette ambition de fresque dans la filmographie du réalisateur, c’était tour à tour un espace (une bourgade au bord d’un barrage, un parc d’attractions en état de décrépitude…), un rapport à la technologie, la relation des habitants d’une métropole à leur propre histoire – un fil thématique et analytique qui imposait un rythme à la narration et à l’esthétique générale des films : Jia Zhangke pose sa caméra, observe, dissèque des situations humaines à la frontière de la nature morte.
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A Touch of Sin fait incontestablement aboutir cette volonté de fresque, mais d’une manière radicalement différente ; pour la première fois chez le cinéaste, c’est une énergie qui porte l’intégralité du film et agit comme un liant souterrain et extrêmement puissant entre les images et les fragments représentés. Cette énergie, une colère vitale qui s’extériorise dans une violence dirigée contre les autres ou retournée contre soi, s’enracine au plus profond des hommes et de leur existence, mais est également âprement politique. A Touch of Sin est un film sur le sentiment de révolte, à ceci près que la révolte est ici trouble ; elle peine à caresser notre bonne conscience politique dans le sens voulu. La frontalité avec laquelle Jia Zhangke aborde les thèmes sensibles de la société chinoise contemporaine apparaît d’autant plus frappante qu’elle demeure sans complaisance pour rien ni personne – dominés comme dominants. Et l’irruption de la violence, dans chacune des quatre histoires racontées, continue tout le long du film de nous choquer, parce qu’elle surgit d’une façon déconcertante et désespérée.
La finesse du discours politique et la complexité du spectre émotionnel touché par le film ont pour miroir le refus complet du minimalisme formel ; dès la première scène, le son d’une représentation de théâtre traditionnel agresse les oreilles, des références stylistiques au cinéma de genre modèlent le découpage, la récurrence des couleurs s’inspire des films de wu xia… Jia Zhangke cesse de se réfugier derrière un excès d’intelligence et de subtilité, et par là même déploie toute sa maîtrise visuelle et narrative. Là où son cinéma avait toujours fait preuve de discrétion et de pudeur, il pousse les scènes jusqu’à leur paroxysme (notamment une humiliation « par l’argent », illustrée de manière littérale), ménageant les ellipses, les effets de surprise et la violence graphique, jusqu’à trouver un souffle qui maintient deux heures denses et sur le fil. La tension finit par pointer dans les détails, et l’état d’alerte qu’éveille le film chez le spectateur se révèle l’écho parfait de l’agressivité latente que décrit Jia Zhangke dans l’atmosphère sociale de la Chine contemporaine. Prix du scénario au Festival de Cannes 2013, A touch of Sin est bien plus qu’un « film de festival » ; un film important, frontal, et qui s’impose comme l’un des paris les plus réussis de cette année de cinéma.
– Festival de Cannes 2013 : Prix du scénario
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