Valse interrompue
Le 27 février 2011
Ce film viennois tourné en studio à Berlin, adaptation de la pièce de Schnitzler, est le chef-d’oeuvre de la période allemande d’Ophüls. La légèreté et la grâce musicale y dévoilent soudain leur envers tragique.


- Réalisateur : Max Ophuls
- Acteurs : Magda Schneider, Luise Ullrich, Olga Tschechowa, Wolfgang Liebeneiner, Willy Eichberger (Carl Esmond), Paul Hörbiger, Gustaf Gründgens
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h28mn

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Sortie en Allemagne : 16 mars 1933
Sortie en Autriche : 24 février 1933
Sortie française : 1 mai 1933 (VO)
Sortie de la version française : 26 février 1934
Ce film viennois tourné en studio à Berlin, adaptation de la pièce de Schnitzler, est le chef-d’oeuvre de la période allemande d’Ophüls. La légèreté et la grâce musicale y dévoilent soudain leur envers tragique.
L’argument : Le deuxième acte de L’enlèvement au sérail s’achève. Le public se tourne vers la loge impériale et, de la galerie du théâtre, Christine laisse tomber ses jumelles dans le parterre en les tendant à son amie Mizzi, manquant de peu de blesser deux jeunes officiers, Fritz Lobheimer et Theo Kaiser. Lorsque le rideau se lève sur le troisième acte, Fritz quitte discrètement l’opéra, suivi par le baron von Eggersdorf qui l’a observé depuis sa loge. - Dans le boudoir de la baronne, Fritz réajuste son uniforme...
Notre avis : Le Wiener Film (film viennois) est un genre à part entière dont les cinémas allemands et autrichiens ont fait un véritable fond de commerce pendant plusieurs décennies et dont Liebelei contient un certain nombre d’ingrédients caractéristiques : histoire d’amour entre deux jeunes gens appartenant à des castes sociales différentes (la fille d’un musicien d’orchestre et un aristocrate, lieutenant de Dragons), galerie de personnages secondaires au parlé populaire et coloré, scènes de bal dans le grand monde, sans oublier les inévitables airs de valses.
Il ne faut pourtant pas s’attendre à retrouver ici l’habituelle vision nostalgique et idéalisée de la capitale d’opérette qui s’étourdit dans la fête permanente arrosée de vin de l’année dans les Heuriger.
Car Schnitzler, dont le film adapte la pièce homonyme de 1895 (déjà mise deux fois sur pellicule, par le danois Holger-Madsen en 1914, puis par Jakob et Luise Fleck en 1927) n’est pas dupe de ce décor chatoyant qu’il scrute avec un regard à la fois incisif et plein de douceur.
Ophüls et ses scénaristes ont considérablement modifié la pièce, lui conférant une tonalité plus dramatique et y introduisant une charge anti-militariste.
Le cinéaste qu’on a parfois qualifié un peu vite de viennois bien qu’il soit né à Saarbrücken et n’ait fait à Vienne qu’un passage rapide et plutôt malheureux durant sa carrière de metteur en scène de théâtre, est assurément sensible à la magie de l’univers largement factice qu’il fait surgir à l’écran avec la complicité du grand chef opérateur Franz Planer et dont il célèbre les fastes pour mieux en révéler l’envers cruel et dégrisant, comme il le fera à nouveau dans ses autres films situés dans la capitale danubienne, Letter from an unknown woman (1948) et La ronde (1950), l’un tourné à Hollywood, l’autre à Paris.
Liebelei, tourné lui à Berlin, est son quatrième long-métrage et son deuxième chef-d’oeuvre après l’étourdissante Fiancée vendue (Die verkaufte Braut) d’après l’opéra de Smetana. Il s’y révèle chorégraphe inspiré et virtuose du maniement de la caméra (avancée à peine perceptible vers le couple assis à la table d’un café, vu en plan de plus en plus serré), maître du changement subtil de rythme et de tonalité, infaillible dans les choix musicaux (Mozart en ouverture avec le joyeux Enlèvement au sérail, le déchirant Schwesterlein de Brahms pour annoncer le virage tragique, Beethoven pour le final) et surtout formidable directeur d’acteur.
Des comédiens confirmés (Olga Tschechowa, Gustav Gründgens ou Paul Hörbiger) se contentent de rôles d’appoint dont ils s’acquittent brillamment, laissant le devant de la scène à quatre quasi débutants.
Magda Schneider (Christine) et Wolfgang Liebeneiner (Fritz), empreints d’une espèce de candeur grave, ne sont nullement éclipsés par leurs partenaires plus exubérants, le volubile Willy Eichberger (Theo) et surtout Luise Ulrich, prévue au départ pour le rôle de Christine mais pétillante de verve comique dans celui de son amie modiste Mizzi Schlager.
Ce sont eux surtout qui apportent au film son irrésistible côté champagne. Mais chez Ophüls la joie, comme exacerbée par une tristesse souterraine qui la mine, est toujours prête à basculer. Les nombreux plans vides du film, au début ou à la fin d’une scène, préparent l’irruption de la tragédie qui se produit donc sans rupture de ton véritable. Un prodigieux sens de l’ellipse la rend déchirante : l’absence du deuxième coup de feu lors d’un duel seulement entendu de loin ; une fenêtre fermée derrière laquelle apparaît la tête de Christine, puis la même fenêtre ouverte sur la cage d’escalier vide, le battant oscillant encore.
Signalons que le film remporta un franc succès à Paris où la version allemande resta à l’affiche plusieurs mois avant qu’on ne demande à Ophüls d’en refaire une grande partie avec Magda Schneider et Wolfgang Liebeneiner entourés d’acteurs français. Le résultat dénature complètement l’oeuvre mais le metteur en scène exilé put ainsi poursuivre sa carrière en France jusqu’en 1939, réalisant une série de fort beaux films tels que Divine, Le roman de Werther ou Sans Lendemain.
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