Le 29 avril 2025

Le célèbre journaliste et cofondateur de Studio revient sur la conception de son livre dédié à la plus emblématique troupe du cinéma français, qui continue de faire rire et d’émouvoir les spectateurs, génération après génération.
Quelle est l’origine d’un tel ouvrage consacré à l’aventure du Splendid ?
Thierry Lhermitte m’a appelé un jour pour me dire qu’un de ses amis, éditeur à Cherche Midi, cherchait à publier un ouvrage sur la bande. De notre discussion est née l’idée d’élaborer un album photo commenté par chacun des membres de la troupe. Ils étaient tous partants. Josiane Balasko a même ajouté qu’elle souhaitait mener ce projet pour une bonne cause. Thierry a donc proposé de le faire au profit de la fondation pour la recherche médicale dans laquelle il est très impliqué. Cela faisait sens tant c’est une passion pour lui et que ce genre de fondations ne vivent que de financement privé.
Comment avez-vous collaboré avec chacun des membres de la troupe ?
L’idée était qu’ils cherchent des photos dans leurs archives et les commentent. Au début, Thierry pensait que cela allait rouler tout seul. Puis il s’est aperçu au bout de quelques mois que rien n’avançait. Il m’a alors confié qu’ils avaient besoin d’un chef de chantier et que j’étais la personne idéale étant donné que je les connaissais depuis si longtemps. J’ai un peu hésité car je menais en parallèle un projet de livre sur « La Reine Margot ». Mais ce dernier a été décalé et j’ai donc accepté cette proposition. Mon but était de les harceler un peu afin qu’ils cherchent des photos, et que chacun puisse commenter les photos trouvées par les autres. Ils se sont vite pris au jeu. Plus ils en trouvaient, plus ils fouillaient leurs archives personnelles pour en trouver davantage. Leur agenda respectif étant surchargé, je les ai tous vus individuellement, sauf le jour de la séance photo organisée pour les soixante-quinze ans de Paris Match où ils se sont tous réunis.
Quelle narration souhaitiez-vous mettre en place pour raconter au mieux leur histoire ?
Je n’ai pas cherché à révolutionné la forme. En l’occurrence, pour raconter au mieux leur parcours, il suffisait de l’aborder dans l’ordre chronologique : de leurs années au lycée à leurs débuts au café-théâtre, avant la fondation du Splendid puis leur carrière dans le cinéma. C’est ainsi que l’on rend compte au mieux de la durée de leur histoire. C’était émouvant pour eux de tourner les pages de leur vie et voir défiler toutes ces années passées.
Quelle analyse portez-vous sur leur parcours ? C’est tout de même assez unique : une troupe toujours aussi célébrée plus de cinquante ans après sa création, et dont chacun des membres a également connu plusieurs grands succès populaires individuels…
C’est effectivement unique. Il n’y a aucun autre exemple aussi fort. Même le « Saturday Night Live » qui s’est beaucoup renouvelé. Ni même les « Robins des Bois » qui sont aujourd’hui plus connus individuellement, comme Jean-Paul Rouve et Marina Foïs, que le groupe original dont ils sont issus. Ici, l’histoire est effectivement fabuleuse car si le groupe a connu des succès mémorables, chacun d’entre eux a pu mener un parcours individuel tout aussi remarquable. Si on additionnait tous leurs box office, on obtiendrait des chiffres hors normes. Ils ont su gérer le chacun pour soi et le chacun pour tous. Le public nourrit une réelle affection pour eux et cela se transmet de génération en génération. Peu avant sa disparition, Michel Blanc m’a confié qu’un enfant de dix ans, qui habitait en bas de chez lui, connaissait par cœur Les Bronzés font du ski alors que ses parents n’étaient même pas nés lorsque le film a été tourné. La célèbre phrase « sur un malentendu, ça peut marcher » est reprise aussi bien dans les stades de foot que dans les entreprises. Ce n’est pas pour rien que Michel était le meilleur dialoguiste de la bande. D’ailleurs, il avait aussi coutume de dire que ce groupe était comme un puzzle : toutes les pièces sont très différentes les unes des autres, et pourtant elles s’emboitent très bien. Et en effet, aujourd’hui, ils n’ont plus ni les mêmes vies, ni les mêmes opinions politiques, ni les mêmes ambitions de carrière, mais dès qu’ils sont ensemble, ils redeviennent des gamins. Il y a un truc magique entre eux. Comme ils le disent pudiquement, même s’ils ont connu des moments de brouille, de distance, ils ne se sont jamais vraiment fâchés car il y avait toujours quelqu’un qui faisait le lien et les amenaient à se retrouver. Quand ils se sont séparés, c’est parce qu’ils avaient des aspirations différentes qui ne correspondaient plus à leurs règles d’écriture très particulières, où il n’y avait pas de chef et où il fallait que chaque proposition fasse l’unanimité. Michel Blanc a été le premier à avoir pris ses distances car il n’en pouvait plus de se battre pour faire passer ses idées. Sans compter qu’il avait peur d’être enfermé à jamais dans ce rôle emblématique de Jean-Claude Dusse. Puis il a été rassuré en remportant tour à tour un prix d’interprétation puis un prix du scénario à Cannes ainsi que deux César.
Justement, comment ne pas évoquer sa disparition si soudaine… Un choc pour vous tous on imagine…
Nous avons achevé l’écriture du livre seulement trois jours avant sa mort. Il m’a même appelé la veille de son décès. Nous avons échangé amicalement durant plus d’une heure. Le lendemain, Gérard Jugnot m’a téléphoné pour me dire que Michel venait d’être réanimé après avoir fait un arrêt cardiaque mais que les médecins étaient de moins en moins optimistes. Puis je n’ai plus eu de nouvelles et cela m’a évidemment inquiété. J’ai appris sa mort par la presse quelques heures plus tard alors que je me rendais chez l’éditeur pour vérifier les dernières corrections du livre et l’envoyer à l’imprimeur. Nous nous sommes tous concertés et avons décidé de ne rien changer, ni la date de parution, ni le contenu car c’était le plus bel hommage que nous pouvions lui rendre. Même si le livre lui a bien évidemment été dédié. Cela a été une période très difficile. Ils ont dit adieu à soixante ans de leur vie. Ils n’en reviennent toujours pas. Même s’ils étaient restés très liés, ils ne se voyaient pas si souvent que cela et ne réalisent donc pas vraiment qu’il n’est plus là.
En tant que journaliste cinéma des grandes heures de Première et Studio, quels sont les films ayant marqué votre vie ?
Je suis très friand de grandes fresques romanesques comme Le Guépard, Le Parrain ou Il était une fois en Amérique. Tout en restant un amateur de grands classiques français tels que La Femme d’à côté, À bout de souffle, Le Mépris, Trop belle pour toi ou Tenue de soirée.
Quelles sont les grandes personnalités que vous avez aimé interviewer ?
J’ai toujours aimé échanger avec Jean-Luc Godard qui, même s’il était provocateur, n’en demeurait pas moins extrêmement touchant. Je me souviens que lorsque nous avions publié un numéro spécial chez Studio pour le centenaire du cinéma, nous nous étions rendu chez lui en Suisse pour l’interviewer. Et il ne voulait plus nous laisser partir. C’était un homme seul. Il tenait à nous montrer toutes ses archives, toutes ses collections. Il était content de nous voir, alors que nous n’étions pas les mêmes inconditionnels de son travail que Les Cahiers du Cinéma. D’ailleurs, quand Les Cahiers du Cinéma ont édité un livre sur Godard avec toutes ses interviews et que celle de Studio y figurait, je buvais du petit lait (rires). Sinon, cela a toujours été passionnant d’échanger avec Steven Spielberg que j’ai rencontré sept fois, ou Martin Scorsese que j’ai interviewé à cinq reprises. Sans compter nos grandes stars françaises telles que Catherine Deneuve, Fanny Ardant, Isabelle Huppert ou Gérard Depardieu.
Le lancement de Studio a été le succès que l’on sait mais n’était-il pas risqué, tant Première était déjà solidement installé ?
C’était risqué mais nous avions bénéficié de notre expérience de Première et des rapports que nous avions alors noués avec les gens du métier. C’est ainsi que nous avons pu mener le projet de Studio comme nous l’entendions. Notre but était d’avoir deux grands journaux complémentaires et grand public. Même si Studio se devait d’être un peu plus adulte que Première. Nous touchions le public qui allait au cinéma. Pas seulement les étudiants et les intellos. C’est cette recette qui a fait notre succès.
Vous rendez-vous compte que vous avez participé à quelque chose d’unique avec ces magazines qui ne pourraient plus connaître un pareil succès aujourd’hui ?
Il est vrai que l’on ne pourrait plus construire de nos jours ce que nous avons construit à l’époque tant la presse est impactée par Internet et les réseaux sociaux. L’info va tellement vite aujourd’hui qu’un magazine mensuel ne peut plus suivre. C’est une des raisons qui a coûté la vie de Studio qui a raté le virage numérique. Je me souviens que les équipes d’Allociné nous avaient sollicités lors de leur lancement pour que nous nous occupions de toute l’éditorialisation du site. Mais nos actionnaires n’ont pas voulu nous suivre dans ce projet. Désormais, seuls les journaux de niche comme La Septième Obsession parviennent à exister car ils sont plus ciblés. Ainsi que les podcasts ou les émissions sur Internet qui ont un modèle économique à part mais très profitable en cas de succès.
Que retenez-vous de votre carrière dédiée au cinéma ?
De belles rencontres, des moments partagés, de la passion, de la rigolade, du travail en équipe, du plaisir… L’histoire singulière de Studio a créé une aventure rare. Nous sommes nés dans l’adversité et cela a contribué à ce que cette équipe ait eue une histoire particulière. Une particularité qui est d’ailleurs restée lorsque l’équipe s’est renouvelée. Cela est dû à Marc Esposito et sa personnalité flamboyante. Notre rencontre a changé ma vie lorsqu’il m’a invité à le rejoindre chez Première. À l’époque, je ne voulais pas spécialement me spécialiser dans le cinéma. Et finalement, j’ai écrit sur le cinéma pendant cinquante ans (rires).
Propos recueillis par Nicolas Colle
"Le Splendid par la Splendid : nous nous sommes tant marrés !" de Jean-Pierre Lavoignat, éd. Cherche Midi, 21 novembre 2024.
Galerie photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.