Quelle
source d'inspiration pour le film ! Le troisième point important
était le cinéma turc et la ville d'Istanbul. J'ai
commencé à passer beaucoup de temps à Istanbul.
J'y ai rencontré des gens, découvert l'atmosphère,
la musique et le cinéma turcs où tragédie et
comédie sont toujours intimement liées. La tragédie
est bien plus douloureuse lorsque la comédie s'en mêle.
Ensuite, j'ai développé une fascination pour les jeunes
filles turques qu'on voit ici en Allemagne. Elles sont beaucoup
plus sexy que la plupart des Allemandes. Et j'ai voulu savoir comment
ça marchait : d'un côté, la tradition et de
l'autre...
Comment avez-vous trouvé Sibel ?
Ce ne fut pas une mince affaire de trouver Sibel Kekilli, qui s'appelle
aussi Sibel dans le film. Il n'est pas facile de trouver une femme
qui a le cran de tenir tête à l'excentrique Birol,
qui a le même charisme que lui et la même qualité
de jeu. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Quand
on a compris qu'on ne trouverait pas une actrice comme ça,
on a commencé à chercher dans la rue. Sibel faisait
partie de celles qu'on avait sélectionnées. Je l'ai
fait venir avec trois cent cinquante autres candidates et c'est
elle qui a gagné. Elle avait le cran de se mesurer à
Birol et l'ambition de le faire. Au tout début, elle a fait
une remarque : "Si je fais quelque chose, je le fais bien".
Je me suis dit que ce n'étaient que des mots, qu'une pose.
Aujourd'hui, je sais que ce n'étaient pas que des mots. Elle
a fait ça bien, de façon très loyale. Cette
fille est une bénédiction, je l'ai toujours dit.
Est-ce une histoire d'amour, un film
turc, un film punk ?
En fin de compte, c'est un film d'amour ou plutôt qui fait
partie de la trilogie de l'amour, de la mort et du diable. L'amour
pas seulement en tant que chose constructive mais aussi en tant
que chose destructrice. Il invoque également la mort au sens
de la métamorphose. Il parle aussi du diable, du mal qu'il
y a en nous, le démon, le désir, les sables mouvants
du bien et du mal. Ce film est mon interprétation du bien
et du mal. Beaucoup de gens nous montrent ce que cela doit être,
surtout à titre religieux. Je me suis donc demandé
quand quelque chose était vraiment bien et quand quelque
chose était vraiment mal. Je crois que l'amour a un côté
sombre et un côté lumineux et que ce côté
sombre peut nous rendre très destructeurs.
Au début du film, Birol est un homme mort, un zombie. Plus
tard, il revient à la vie lorsque Sibel l'embrasse, lui insufflant
ainsi une force énorme. Mais chaque forme d'énergie
positive a un côté négatif. Des guerres ont
été faites à cause de ça. A mes yeux,
la guerre est inutile.
Mais je crois que s'il y avait une guerre sensée, ce serait
l'amour. Ça peut paraître bateau et mièvre mais
je le crois sincèrement. L'amour est tout simplement une
force qui vient vers vous et ce film parle de cette force. C'est
pour cela que c'est une histoire d'amour.
Revenons à Istanbul. Qu'est-ce
que cela représente pour vous ? Vous disiez tout à
l'heure que tourner dans cette ville était très excitant.
Dans la mesure où de nombreuses choses personnelles
sont abordées dans ce film, il a toujours été
clair pour moi que je tournerais une grande partie du film ici.
Après tout, Istanbul prend de plus en plus de place dans
ma vie. A mes yeux, c'est à la fois la Ville sainte et Babylone.
Une ville qui regorge de contradictions, un endroit sauvage, dangereux
et très fatiguant. C'est LA ville, à mon sens. En
tout cas, l'endroit idéal pour une histoire comme celle-là.
Il
n'y a pas de "happy end" dans le film… Ils souffrent
et pourtant ne se réconcilient pas.
Il doit y avoir cinquante bonnes raisons pour lesquelles elle ne
le suit pas à la fin. Si elle y était allée,
je crois que ça n'aurait pas été très
honnête. La guerre est finie pour Sibel. Elle essaie de trouver
la paix. Elle a été punie, Dieu l'a punie, mais elle
a survécu. Elle comprend maintenant que la raison est peut-être
plus saine que la passion. Il faut parfois accepter les compromis.
Suivre la voie de la passion n'est pas toujours une bonne idée.
C'est
un film très spirituel et très archaïque. Pour
vivre vraiment, doit-on traverser tant d'enfers ?
Ils commencent tous les deux par "je" et fusionnent en
un "nous". Ce "nous" est éminemment destructeur.
Mais il est aussi constructif puisqu'ils n'attendent plus la mort.
Ils se donnent mutuellement de la force mais ensuite ils sont séparés
et redeviennent "je". A la fin, cependant, ce sont des
"je" différents de ceux du début. C'est
le développement, c'est la vie. Un extrait de leur biographie.
Je tenais surtout à ce que la dramaturgie résulte
du développement des personnages. Je ne voulais pas d'un
arc de tension classique avec les obstacles habituels. On a tourné
de façon chronologique, ce qui leur a laissé du temps
à tous les deux pour se développer, aussi bien en
tant que personnages qu'en tant qu'acteurs. Si Sibel apparaît
au début comme une jeune femme mal dans sa peau, c'est parce
qu'elle l'est d'une certaine façon et c'est aussi à
cause de l'incertitude. Mais ensuite, les journées de tournage
passant, elle prend confiance. C'est aussi ce qui arrive à
son personnage.
Que ferez-vous après un film
comme celui-ci ?
Head-onest le film le plus fatigant que j'aie tourné. Pour
la première fois, je n'embrayais pas sur un autre film car
j'ai mis toute ma concentration et ma force dans celui-ci. Mais
une raison d'ordre pratique m'oblige à ne pas me reposer
maintenant : une fois le film fini, j'étais fauché.
J'ai donc commencé à travailler immédiatement
sur trois ou quatre nouveaux projets simultanément.