Le 31 août 2025
- Scénariste : Johann Chapoutot>
- Dessinateur : Philippe Girard
- Genre : Document, Historique
- Famille : Roman graphique
L’historien Johann Chapoutot adapte en bande dessinée son livre à succès à la thèse forte – et qui a suscité beaucoup de discussions – qui fait le lien entre le nazisme et l’essor de la pensée managériale moderne.
Résumé : Cadre chez Apple – pardons Appal –, Florence éprouve un malaise au sein de son entreprise : le langage normé centré sur la performance de l’entreprise et le bien-être au travail masque une pression écrasante sur les employés, invités à être toujours plus flexibles sur leurs horaires et à associer leur bonheur à la réussite de la société. Elle confie son mal-être à son amie Annie, qui a elle-même connue un burn-out. Cette dernière lui confie un livre, Libre d’obéir. Au fil de la lecture de Florence, les deux amies échangent sur les thèses avancées dans l’ouvrage de Johann Chapoutot.
Critique : Professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne université, Johann Chapoutot est un spécialiste reconnu du nazisme, auteur notamment d’une biographie d’Hitler, de La révolution culturelle nazie (2017) et plus récemment des Irresponsables (2025) qui décortique les raisons qui ont provoqué l’arrivée au pouvoir des Nazis en Allemagne en 1933. Avec Libres d’obéir, Philippe Girard adapte en bande dessinée, avec l’appui de l’historien, ce livre à succès. Il faut dire que Libres d’obéir défend une thèse particulièrement forte : il existerait une filiation directe entre la pensée nazie et les pratiques contemporaines de management. Cette filiation se traduit par la notion d’autonomie sous contrôle, qui laisse au salarié le contrôle des moyens pour atteindre l’objectif visé par l’entreprise : de cette manière, l’employé croit disposer d’une liberté d’action et consent plus facilement à s’investir quand dans les faits, les objectifs restent déterminés par l’employeur. Autrement dit, l’employé est libre du choix des moyens, mais jamais des fins. Johann Chapoutot décortique cette illusion de la liberté et estime que ses germes se trouvent dans la pensée organisationnelle de Reinhard Höhn, un général SS qui a survécu à la guerre, dirigé une école de management destinée aux cadres d’entreprises à Bad Harzburg et publié plusieurs ouvrages.

- Libres d’obéir – Johann Chapoutot, Philippe Girard / © Casterman
- Florence écoute avec scepticisme le discours de son manager au début du récit.
C’est cette thèse intellectuellement stimulante qui est soigneusement expliquée dans cette bande dessinée documentaire dense de 140 pages. La narration s’appuie sur les échanges entre Florence et Annie, qui discutent tout au long de l’album la thèse du livre. Derrière ces échanges entre les deux femmes s’aperçoit la critique de la mondialisation et des pratiques managériales contemporaines. Le dessin de Philippe Girard, très lisible et démonstratif, met en évidence les nombreux concepts mobilisés dans l’ouvrage, qui sont définis dans un glossaire. L’album s’avère didactique et la démonstration est rendue claire par le graphisme : les cartes et expressions graphiques de concepts sont éclairants. La lecture n’en est pas moins dense : les narratifs sont importants et présents dans chaque case, et l’ouvrage manque quelque peu de respiration : même les dialogues entre Florence et Annie se trouvent assez chargés.

- Libres d’obéir – Johann Chapoutot, Philippe Girard / © Casterman
- Reinhard Höhn, ancien général SS et théoricien du management, est l’un des personnages central du récit.
En dépit de cette imperfection, Libres d’obéir atteint son objectif : vulgariser de façon claire et précise la thèse de Johann Chapoutot. Celle-ci a été discutée dans le milieu universitaire, certains spécialistes reprochant à l’historien de sous-estimer la pensée managériale anglo-saxonne et d’avoir d’abord tenu compte des faits qui répondent à son point de vue sur la nature liberticide du salariat contemporain. La thèse de Chapoutot n’en reste pas moins intellectuellement stimulante, et les faits sur le rapport des nazis au travail ne souffrent aucune discussion. Le portrait de Reinhard Höhn, et de quelques-autres figures de cette époque, s’avère également très intéressant sur le devenir des anciens nazis dans l’Allemagne de l’ouest.
144 pages – 22 €
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