Le 9 décembre 2025
- Réalisateur : Jérôme Bonnell
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Festival : Festival d’Angoulême 2025
– Sortie en salle : 10 décembre 2025
Nous avons pu échanger avec l’équipe de ce si beau film lors de sa présentation au Festival du Film Francophone d’Angoulême.
Avec son nouveau long métrage, Jérôme Bonnell signe une œuvre aboutie autour des violences patriarcales en narrant une sororité naissante, empreinte de délicatesse, tendresse, douceur et espoir. Nous avons pu échanger avec le réalisateur et ses deux formidables actrices, Louise Chevilotte et Galatéa Bellugi, lors du Festival du Film Francophone d’Angoulême.
Bien que le récit de ce film se déroule en 1908, il n’en demeure pas moins incroyablement moderne… Cette démarche était-elle importante pour vous ?
Jérôme Bonnell : C’était la première mission du film que de faire résonner ses thématiques avec des enjeux contemporains, comme la libération de la parole des femmes victimes de violences. Tout l’enjeu était là.
Louise Chevillotte : La contemporanéité du film s’exprime avant tout dans le portrait de ces deux personnages féminins que je trouve bouleversants de modernité. La manière de dépeindre ces deux femmes m’a immédiatement attrapé à la lecture du scénario.
Si le film dénonce les violences subies par les femmes, il est pourtant imprégné d’une grande douceur. En se rencontrant, ces deux femmes semblent développer une réelle tendresse l’une pour l’autre. Comment expliquez-vous ce rapprochement si délicat ?
Galatéa Bellugi : C’est la première fois de leur vie qu’elles partagent leurs émotions avec quelqu’un. Mon personnage n’a jamais réfléchi à ce qu’elle ressent. Le simple fait de se poser cette question constitue déjà une forme de libération, d’émancipation forte. C’est par le partage de leur ressenti qu’elles se rapprochent l’une de l’autre et se libèrent d’une domination masculine malsaine.
Louise Chevillotte : Au début du film, leur relation est basée sur une hiérarchie puisque l’une est la patronne de l’autre. Puis, au fur et à mesure du récit, on comprend qu’elles sont dans une souffrance folle, dans une immense solitude, et n’ont jamais d’endroit où se confier. On ne leur a pas appris à parler, à avoir conscience d’elles-mêmes, de ce qu’elles ressentent. Mais toutes deux vont se regarder, se parler, et à partir du moment où deux femmes se regardent vraiment, tout peut changer. C’est un cadeau. C’est le début d’une émancipation qui passe par l’altérité.

- Swann Arlaud, Louise Chevillotte
- © 2025 Diaphana Films. Tous droits réservés.
On sent que leur amour infuse peu à peu : Une tension sexuelle semble naître… sans qu’on ne les voit jamais passer à l’acte pour autant. Alors, est-ce une histoire d’amour ?
Jérôme Bonnell : Leur relation rejoint la phrase de Tristan Bernard : « Ce qui ressemble à l’amour est toujours de l’amour ». Leur amour n’est pas identifié comme tel dans l’immédiat. J’aime que leurs sentiments infusent lentement, notamment par cette douceur, par leurs regards, par leurs échanges. Cette douceur devient une arme tant elle leur donne une force intérieure.
Louise Chevillotte : Elles font l’expérience du trouble. Cette rencontre a lieu dans un huit clos, est tournée avec beaucoup de gros plans ; nous sommes si proches des personnages que nous avons accès à ce discret vertige car elles se rencontrent vraiment, au sens noble du mot.
Jérôme Bonnell : Et surtout, elles se rencontrent aussi elles-mêmes. C’est comme une nouvelle naissance pour elles. Alors qu’au début du film, ce sont des personnages qui, en raison de leur condition, ne connaissent pas les contours de leur vérité.
C’est effectivement l’autre grande force du film : nous les voyons accéder à leur intériorité, à leurs émotions !
Louise Chevillotte : Dans la manière dont j’ai abordé le personnage, j’avais vraiment le sentiment que c’était une jeune femme qui était dans sa fonction mais n’avait pas accès à ses émotions, à ses désirs, à ses intuitions, à son corps. Elle est comme étrangère à elle-même dans un monde où elle essaye d’incarner le rôle de la bonne épouse. Pourtant, elle sent qu’elle n’est pas comme elle devrait être. Elle se demande d’où vient le problème ? Pourquoi a-t-elle l’impression de tout mal faire ? Beaucoup de femmes ont été amenées à s’interroger sur les raisons qui les amènent à penser qu’elles ne sont pas une bonne mère, une bonne épouse ou une bonne fille. C’est parce qu’elles ont été complètement brimées, corsetées. Mon personnage se rencontre elle-même dès lors qu’elle comprend que ce qu’elle ressent, elle a le droit de le ressentir, que son inconfort est surtout une révolte, et que ce qu’elle pense être étrange est en réalité injuste. Quand tous ces mots se posent, les choses se clarifient. Une conscience naît à elle-même et il peut y avoir une émancipation, qui passe par cette relation. Ces femmes deviennent les héroïnes de leur propre chemin, de leur propre destin.
Galatéa Bellugi : Mon personnage apprend a être mère mais elle n’a pas le choix car elle se retrouve enceinte sans le vouloir, après avoir été violée, et elle ne peut pas avorter. C’est un personnage qui a toujours eu de mauvais expériences avec les hommes, aussi bien avec son maitre qu’avec sa famille. Rien que de dire cela à quelqu’un, d’y réfléchir et de comprendre que ce n’est pas normal et même cruel, cela la libère. Par leurs échanges, elle se libèrent ensemble.

- Galatea Bellugi, Louise Chevillotte
- © 2025 Diaphana Films. Tous droits réservés.
Le personnage d’André, incarné par Swann Arlaud, se comporte vraiment comme une ordure, en violant sa femme et sa servante. Sans vouloir minimiser ou excuser son comportement, n’est-ce-pas une ordure qui souffre ? On le voit être durement éprouvé par son éducation et son héritage familial…
Jérôme Bonnell : Sur un terrain psycho-social, il y a des raisons qui peuvent expliquer son comportement mais sur le terrain de la justice, rien ne peut justifier ses actes. C’était donc important de l’humaniser, mais sans le défendre. La façon dont il se donne bonne conscience résonne avec la société telle qu’elle a été façonnée depuis la nuit des temps : les femmes sont condamnées à subir et à se battre tandis qu’en face, les hommes sont condamnés à se donner bonne conscience.
Galatéa Bellugi : C’est là que la situation de ces femmes est d’autant plus violente, elles ne sont même pas conscientes qu’elles sont victimes de ce qu’elles subissent.
Louise Chevillotte : Cette justification dans laquelle André se réfugie va invisibiliser la souffrance de ces femmes. Mais cette sororité qui nait entre elles est à l’image de ce qui se passe aujourd’hui avec le mouvement #MeToo. Le fait de mettre des mots sur les choses vécues nous aide à prendre conscience de ce qui a pu nous arriver. Et surtout, que c’est arrivé à d’autres et que ce n’est pas notre faute à nous, mais à tout un système. On peut trouver les armes pour en sortir mais tant qu’on n’est pas dans la confrontation des récits, on ne peut pas s’émanciper. #MeToo s’inscrit complètement dans ce mouvement. On voit des femmes qui partagent leurs expériences et comprendre qu’elles ne sont pas folles. Dans ce film, on a deux femmes qui se font violées dans la même maison, l’une de manière très frontale et objective, l’autre de manière plus insidieuse. Tant que personne n’est témoin de ces violences, tant qu’il n’y a pas une altérité, cela ne monte pas à la conscience. Mais dès lors que l’on met des mots et que l’on partage des expériences, cela aide à faire avancer toutes sortes de luttes d’émancipation.
Jérôme Bonnell : En fait, avec ce film, je voulais montrer le monde tel qu’il est et tendre un miroir pour dire que l’on vient de là. Ces hommes nous ont formé depuis toujours dans notre rapport aux femmes et à la sexualité. Même l’Église s’en est mêlée pour permettre aux hommes de contrôler la sexualité féminine à laquelle ils ne comprenaient rien. Le film raconte cela. Pour autant, comme la violence de cette histoire résonne avec une violence très contemporaine. il était important pour moi, même nécessaire, que le film aille vers la lumière.
Deux dernières choses Jérôme : comment avez-vous conçu l’esthétique de votre film, sobre mais élégante ? Et cela vous tient-il à cœur de réinventer le rapport amoureux au cinéma, comme vous aviez pu le faire avec À trois on y va ?
Jérôme Bonnell : Disons que j’aime rabattre constamment les cartes du masculin et du féminin. C’est un sillon que j’aime creuser depuis quelques films. Concernant l’esthétique, je me méfie un peu de la cérémonie du film d’époque où tout d’un coup, il y a de grands mouvements de caméra qui ne sont pas nécessairement justifiés. Au contraire, je tenais à rester dans le quotidien, dans le présent de ces personnages. Je voulais respirer avec eux, sentir leur peau, leur geste, leur amour et leur cœur.
Propos recueillis par Nicolas Colle
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