Le 22 octobre 2025
- Festival : Festival Saint-Jean-de-Luz
Retrouvez notre échange avec celui qui a présidé le jury du dernier Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz.
Nous avons échangé avec l’acteur-réalisateur au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz, où il officie comme président du jury et où son film est également présenté. Son producteur Laurent Hélas (Nouvelle Donne Productions) se joint à la conversation pour témoigner de cette aventure hors norme.
Pour commencer, Laurent, qu’il est rare de voir un court métrage aussi ample ! Comment appréhende t-on un projet d’une telle envergure ?
Laurent Hélas : Il y avait évidemment un intérêt artistique, avec un propos fort faisant écho à l’actualité géopolitique. Cela amenait du sens à ce projet. Hugo avait pour projet de réaliser son premier long métrage. Mais cet ultime court métrage s’est très vite imposé à nous, par son propos et son challenge. Cela reste notre projet le plus ambitieux mais aussi le plus complexe. Nous n’avions que six semaines de préparation, pour un tournage réparti sur sept jours et deux nuits. Heureusement, notre équipe était incroyablement impliquée et j’ai pu aussi compter sur notre coproducteur Paprika Films (Pierre-Emmanuel Fleurantin et Nina Benoit).

- © 2025 Nouvelle Donne Productions. Tous droits réservés.
Et vous Hugo, comment vous est venue l’idée de raconter la bataille de Verdun par le prisme des facteurs et du lien qu’ils formaient entre les soldats et leurs familles ?
Hugo Becker : J’ai un attachement familial à cette histoire. Mon grand-père a été résistant pendant la Seconde Guerre mondiale et mon arrière-grand-père, tout comme mon arrière-grand-oncle, a été dans les tranchées à Verdun. J’ai retrouvé des lettres officielles qui détaillaient leurs faits de guerre. C’était comme un voyage dans le temps. J’avais accès à l’intimité du vécu quotidien dans les tranchées. J’ai donc voulu m’intéresser aux facteurs car ces lettres étaient portées par des personnes qui faisaient le lien entre le front et l’arrière, que l’on appelle donc la ligne de vie. Notre besoin de communiquer fait notre humanité. Près de quatre milliards de courriers ont été échangés durant la Grande Guerre et le sort des soldats était suspendu à ces lettres. Recevoir un signe de leurs proches les tenait en vie. D’où l’enjeu et la force de ces courriers. C’est ainsi que j’ai imaginé cette histoire sur une enquête autour d’une éventuelle trahison.
Laurent Hélas : Autant les tranchées ont été montrées à plusieurs reprises au cinéma, autant elles n’ont jamais été abordées par le prisme de l’importance des facteurs sur le front. On voit à quel point les lettres des soldats et de leurs familles étaient source d’espoir mais engendraient aussi des problématiques d’espionnage éventuel. Cette enquête crée des effets d’attente, et renforce quelque chose de profondément humain. Le spectateur s’identifie immédiatement à ces deux postiers suspectés de trahison et qui subissent un interrogatoire. La puissance émotionnelle va crescendo.
Pour autant, cela reste un vrai film de guerre, très spectaculaire pour un court métrage… Comment avez-vous procédé pour mettre en place une telle reconstitution avec, on l’imagine, des moyens financiers relativement limités ?
Laurent Hélas : C’est évidemment un film d’enquête, avec des interrogatoires dans des véhicules d’époque, mais cela reste un film se déroulant dans les tranchées de la Grande Guerre et nous voulions mener le pari jusqu’au bout, en filmant une grande scène de bataille, pour le côté immersif. Nous avons tourné cette séquence d’ouverture en deux jours avec deux équipes image et une centaine de figurants. Nous voulions filmer dans les vraies tranchées meusiennes mais leurs tailles nous limitaient dans notre découpage technique. Aussi, nous avons découvert un site dans la Marne avec six cents mètres de tranchées reconstituées. Il y régnait un silence saisissant qui créait aussitôt une atmosphère particulière. Nous avons bénéficié du soutien d’un historien de la Poste ainsi que de plusieurs associations, comme Connaissance de la Meuse à Verdun, ou les Chierothains, qui nous ont prêté bon nombre de costumes d’époque pour optimiser notre reconstitution. Nous tenions à maintenir un effet de fiction qui nous est cher, sans tomber dans un aspect trop documentaire.
Hugo Becker : Je voulais faire un film de cinéma, avec des partis pris de mise en scène radicaux. Pour les scènes d’interrogatoires, on est comme enfermés, en étau avec les personnages, d’où le format 4/3. Je tenais aussi à mettre en place une double temporalité afin de brouiller les pistes et perdre le spectateur jusqu’à la révélation finale qui permet de reconstituer toutes les pièces du puzzle. Quant au noir et blanc, il s’inscrit dans l’imaginaire que l’on peut avoir de cette époque. Je tenais à être entier dans mon approche et pousser la crédibilité à son maximum pour que l’on croit à cette histoire. L’immersion était ma priorité. La scène de bataille en introduction a été conçue dans cet optique. On comprend immédiatement que ces personnages font face à des enjeux de vie ou de mort. Pour autant, l’enjeu était évidemment de faire un film résolument pacifiste, dans le contexte international actuel marqué par les conflits et dans une région qui a été si douloureusement frappée par la guerre et ses ravages.
Le financement a t-il été complexe ?
Laurent Hélas : Il a duré deux ans. Nous avons réuni une grande variété de partenaires, la région Grand Est, les départements de la Moselle et de la Meuse, le CNC, tout en bénéficiant d’un préachat de France 2, ou encore du dispositif Adami, de la Procirep Angoa, et de partenaires privés. Le soutien de la région a été décisif, sans quoi nous n’aurions pas eu de chaine. Et bien sûr, l’arrivée de Pierre-Emmanuel Fleurantin en tant que coproducteur via sa société Paprika Films a été bénéfique tant il a contribué à des choix forts, aussi bien en termes artistique qu’opérationnel. J’ai appris beaucoup de choses sur ce tournage et notamment grâce à lui.

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Sans rien dévoiler de votre intrigue, on voit à quel point l’armée était paranoïaque, incapable d’imaginer le moindre signe d’humanité, notamment chez son ennemi.
Hugo Becker : Cette phrase de Pierre Desproges me semble parfaitement appropriée :
« L’ennemi est con, il croit que l’ennemi c’est nous, alors que c’est lui ». La guerre nous apprend à devenir ce que l’on n’est pas. On se crée des ennemis que l’on ne connaît pas. Tout est fait pour catalyser une haine envers un ennemi qui, pourtant, ressent les mêmes choses que nous. Ici, deux soldats adverses s’identifient l’un à l’autre car ils sont tous les deux pères de famille. Mais en temps de guerre, on se construit des raisonnements différents que dans un autre contexte. On est gagné par la paranoïa. C’est ce qui engendre une escalade de la violence. Les interrogateurs sont incapables d’imaginer que ce soit simplement par humanité que leurs soldats ont pu être épargnés. Même le spectateur doute tout au long du film. En temps de guerre, tu rationalises tout et tu ne laisses plus de place à l’humain, au doute.
Hugo, selon vous, en quoi les courts métrages sont aussi essentiels alors qu’ils ne disposent, malheureusement, d’aucun modèle économique viable ?
Hugo Becker : Le court métrage suppose une grande liberté artistique. Il permet à de nombreux cinéastes d’émerger. C’est un format intéressant mais délaissé. L’inconvénient, c’est qu’il ne génère effectivement pas de recette, hormis sur les éventuelles ventes télévisuelles et internationales. Il n’y a pas de diffusion en salles, donc pas de billetterie. De fait, la presse s’y intéresse peu. Aux États- Unis, les cinq courts métrages nommés aux Oscars sont diffusés dans quatre cent cinquante salles. Nous aurions besoin d’une telle mesure en France.
Et pensez-vous adapter cette histoire dans un prochain long métrage ?
Hugo Becker : Je ne pense pas car elle se suffit à elle-même telle que je l’ai raconté ici. Il y a un début, un milieu et une fin. Je ne peux donc pas procéder comme Xavier Legrand avec Jusqu’à la garde, qui était la suite de son court métrage Avant que de tout perdre. Et transformer mon court métrage en long métrage avec la même histoire nous ferait perdre en efficacité car il faudrait étaler l’intrigue qui perdrait alors de sa force. Je préfère un court métrage (ou moyen-métrage) réussi et impactant plutôt qu’un long métrage distendu, où tu manques de moyens financiers, et qui s’inscrit dans une logique plus commerciale qu’artistique. Il y quelque chose de très pur dans ce format court : c’est une vraie démarche de cinéma et j’espère faire perdurer cela dans mes projets de longs-métrages.
Propos recueillis par Nicolas Colle
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