Detroit Roma – Elene Usdin, Boni – la chronique BD

Critique : 350 pages publiées dans un grand (30x25,5cm) format à l’italienne : c’est peu dire que le nouvel album d’Elene Usdin, qu’elle co-signe avec son fils Boni (Joseph Boni Siran), est imposant. Et il suffit d’ouvrir l’album pour être impressionné par le graphisme époustouflant de cette histoire réalisée à quatre mains, tant pour le scénario que pour le dessin. Les planches mêlent avec bonheur l’aquarelle, la gouache et le stylo pour reconstituer l’Amérique de la Rust Belt (« ceinture de la rouille ») en crise. Le travail sur les ambiances – jeux de lumière, de texture –, la variété graphique proposée en fonction des trames narratives – le récit propose en effet de nombreux flash-back –, les multiples références à la peinture (Hopper notamment) et au cinéma, la reconstitution stylisée et pourtant fidèle de ce morceau des États-Unis, la variété de la mise en page : chaque planche de Detroit Roma impressionne et nous saisit par son inventivité. Venu d’autres horizons artistiques – la peinture et la photographie pour Elene Usdin, la musique et les arts visuels pour Boni –, le duo met à profit ses talents pour nous offrir une expérience de lecture époustouflante, fruit d’un travail que l’on devine colossal.

© Elene Usdin, Boni / Sarbacane

À travers le road-trip de Becki et Summer, Detroit Roma nous entraîne dans l’Amérique en déclin à la veille de l’élection de Donald Trump. Elene Usdin connaît bien Detroit pour y avoir réalisé un projet photographique (We are Woodbridge) et offre un regard désenchanté sur l’ancien fleuron de l’automobile américaine, qui a vu s’affirmer la contre-culture, à commencer par le rap et le graf. L’album offre des récits enchâssés à travers des flash-back – aisément repérables par les changements de techniques graphiques –, pour former un ensemble cohérent, qui se lit comme un polar. Detroit Roma revient notamment sur le scandale sanitaire à l’eau contaminée de Flint, révélateur des inégalités sociales et d’une forme de « racisme environnemental » – la ville, lourdement endettée, est essentiellement peuplée d’Afro-américains – qui a profondément marqué la région. Au-delà de la chronique sociale, le récit relate la relation entre Becki et Summer, dont on ignore la nature exacte dans les premières pages. Ces deux personnages, fort bien écrits, gagnent en profondeur au fur et à mesure que l’on découvre leur passés et les épreuves qu’elles ont traversé.

© Elene Usdin, Boni / Sarbacane

Portrait d’une Amérique en déclin marquée par des problèmes sociaux, récit intime porté par deux jeunes femmes, récit aux multiples références, Detroit Roma est d’abord une expérience de lecture qui ne laissera personne indifférent. Un album magistral qui témoigne du talent d’Elene Usdin, accompagné pour ce deuxième livre par Boni. En seulement deux albums, Elene Usdin s’impose déjà comme une figure incontournable de la bande dessinée contemporaine.