Le 16 novembre 2025
- Réalisateur : Mahamat-Saleh Haroun
- Plus d'informations : Sur l’audiodescription et le droit www.cine-sens.fr/comprendre-audiodescription-en-2021/
Entretien avec le cinéaste franco-tchadien Mahamat-Haroun Saleh. Il vient de terminer son dernier film de fiction, Soumsoum, la nuit des astres, qui sortira en salle au printemps 2026. Un travail d’audiodescription a été réalisé par Titrafilm. Et là, stupeur du réalisateur qui découvre une interprétation erronée, parfois même à contresens, du récit, et des mots choisis plus que malheureux.
Mahamat-Saleh Haroun est un réalisateur, scénariste et producteur franco-tchadien de renommée internationale. Vivant à Paris depuis le début des années 80, ses films il a vu ses films sélectionnés et récompensés dans les plus grands festivals de cinéma au monde, Abouna, Daratt, Un homme qui crie, Lingui, les liens sacrés, pour n’en citer que quelques-uns, que ce soit à Cannes ou Venise.
C’est aussi un écrivain primé : son dernier roman, Ma grand-mère était un homme, est paru chez Stock en 2024.
Il vient de terminer son dernier film de fiction, Soumsoum, la nuit des astres, qui sortira en salle au printemps 2026. Un travail d’audiodescription a été réalisé par Titrafilm. Et là, stupeur du réalisateur qui découvre une interprétation erronée, parfois même à contresens du récit, et des mots choisis plus que malheureux. L’audio-descripteur, responsable de ce travail de traduction en mots d’un régime des images, créé selon un engagement esthétique, est rétif à toute écoute, il refuse de changer les mots qui fâchent.
Or, tout travail de traduction est au service de l’œuvre, et non de la personne qui exécute ce labeur des mots. L’audio- description peut et se doit d’être un formidable outil de transmission d’un état du monde créé et inventé par un auteur. La question de la perception est un enjeu fondamental, plus encore lorsqu’un outil existe pour permettre à des publics fragilisés d’avoir accès au cinéma.
À quoi avons-nous affaire ici exactement ? Il s’agit vraisemblablement d’un enjeu de pouvoir, un conflit auquel semble vouloir tenir l’audio-descripteur qui refuse de changer quoi que ce soit à son travail, alors que le scénariste et réalisateur du film ne reconnaît pas son film dans les mots proposés. Aucune rencontre ni dialogue n’ont pu avoir lieu entre le cinéaste et cet audio-descripteur, ce qui peut sembler vraiment étrange lorsqu’on connaît un tant soit peu l’importance de ce travail de post-production, où le réalisateur, surtout lorsqu’il est producteur, se doit d’être informé et impliqué en amont.
De plus, dans ce refus, ou déni d’écoute, le droit d’auteur semble se diluer, comme si le travail de transcription des images filmées en courte narration appartient exclusivement à celui qui le fait, un droit d’auteur supplémentaire sur le film ! Mais le plus triste est celui, fâcheux, de l’imaginaire raciste, encore prégnant chez de trop nombreuses personnes au sein même de la profession.
C’est la lecture fortement fantasmée de ce travail qui a fait bondir Mahamat Haroun Saleh, qui s’est exprimé auprès de nos confrères du Journal Médiapart.
La langue n’est pas innocente, le croire, c’est déjà la penser dangereusement. L’inconscient n’est en rien illimité : il est structuré par tout un appareillage culturel, qui pèse encore plus lourdement avec la prolifération décomplexée du pire, quasiment presque partout dans l’espace médiatique. Le travail de désilage est urgent, c’est un enjeu éthique et politique majeur.
Rencontre avec Mahamat-Saleh Haroun
Est-ce la première fois que vous travaillez sur l’audiodescription d’un film ?
Oui, c’est la première fois, et je dois ajouter que je ne suis pas le seul, hélas, car en discutant avec certains réalisateurs, je réalise que quasiment personne ne le fait. C’est triste, c’est comme si nous acceptions d’ignorer cette partie du public ; peut-être que, inconsciemment, on le prend pour quantité négligeable. Je le regrette. On est présent pour tout travail de sous-titrage ; dans mon cas je le fais d’abord moi-même, ensuite je suis accompagné d’une personne qui m’aide à la mise en conformité. Là, je découvre un travail fait par une « star » de l’audiodescription qui a gagné l’équivalent d’un César, selon Titra, ce qui l’autorise à délégitimer ma parole alors même que c’est mon film. Un exemple concret de ce qui ne fonctionne pas vraiment. Dans une scène importante où le personnage féminin est dans une tension extrême, la seule chose que remarque cette personne, ce sont « ses lèvres charnues ». C’est exactement cela qui m’a gêné. Il semble obsédé par les lèvres des femmes car pour une autre séquence, elle voit l’image de sa mère morte qui lui apparaît, il ne voit que sa « bouche pulpeuse ». De même, pour une scène où une femme danse, il a écrit qu’elle « titube ». Le journaliste de Médiapart qui a vu le film, présent à mes côtés, n’en revenait pas à quel point ce professionnel dénaturait autant mon film. Là, nous avons affaire à de l’irrationnel, car toute lecture raciste convoque des archétypes et stéréotypes très prégnants.
La règle serait que les films soient donc audio-décrits sans la participation des cinéastes ?
Apparemment c’est ce qui se pratique. Là où je reste scandalisé, c’est le mépris envers les personnes aveugles. Car selon lui, pour un film se déroulant au Tchad, avec donc des Tchadiens, il faut systématiquement leur préciser que les personnages sont Noirs, il faut leur dire qu’ils ont les cheveux crépus, il faut aussi leur préciser que les femmes ont les lèvres charnues !
Pourquoi et comment n’avez-vous jamais rencontré cette personne ?
J’ai reçu dix-sept pages de son travail d’audiodescription, et dès la troisième page je n’ai pas pu accepter ce que je découvrais. Ça n’allait vraiment pas du tout. Une expression récurrente revenait sur les yeux des personnages, qui sont, selon lui, en fente, c’est un terme spécifique utilisé pour les animaux ! Lorsque j’ai demandé des explications, j’ai reçu des réponses écrites à toutes mes questions, notamment celle-ci que si les personnages avaient des cheveux roux bouclés il l’aurait aussi écrit ainsi. Sauf que comparaison n’est pas raison, car au Tchad un personnage a rarement des cheveux roux bouclés sauf si c’est un Occidental... Je n’ai nul besoin de préciser, pour chaque personnage, la couleur de sa peau, ni la qualité de ses cheveux car enfin mon récit se passe au Tchad, c’est une évidence.
Il n’y a aucune valeur dramaturgique dans le récit sur la couleur de la peau de mes personnages, or pour lui oui. J’ai eu droit à « la peau noire », la « peau très noire », « la peau caramel ».
Le film n’est en rien un récit basé sur le racisme, avec des personnages en proie à ces problématiques, comme par exemple Mirage de la vie de Douglas Sirk ou Shadows de John Cassavetes ?
Non, absolument pas. De plus, les maisons sont désignées par « case », de même les fenêtres deviennent des « ouvertures », alors que ça ne correspond en rien à la réalité historique et culturelle. Il n’y a pas de case dans le film, ni dans cette région où nous avons filmé.
Vous avez payé pour un travail qui ne peut pas être utilisé donc…
Oui, car l’audiodescription est obligatoire pour la sortie du film en France.
Ce qui est assez signifiant, c’est la permanence, presque obsessionnelle ici, de fantasmes racistes, doublée d’une méconnaissance quant à nos histoires africaines….
Ce qui est terrible, c’est sa bonne foi, exécrable ici, car il me donne des leçons sur la réalité des cases, car il l’aura lu quelque part donc ça suffit. Henri Bergson estimait qu’il y avait deux sortes de connaissances : les connaissances absolues, c’est-à-dire vécues de l’intérieur, et sur les connaissances relatives, qui sont soit livresques, soit basées sur des clichés. Ainsi cet audio-descripteur estime sans doute ses connaissances relatives comme supérieures. Et selon lui, même si je suis auteur de cette œuvre, je n’ai aucune légitimité pour dire que son interprétation est fausse.
Il est donc l’auteur, avant vous, par-dessus vous ?
Il se considère ainsi, appuyé en cela par le droit qui existe depuis 2012. Tout audio-descripteur est auteur de son travail d’écriture de traduction pour des personnes malvoyantes et non voyantes. Or, il n’existe aucun contrat entre cette personne et moi. Je ne lui ai, à aucun moment, cédé mes droits. Je me suis adressé à un prestataire de service, Titra, qui a engagé un technicien, lequel a effectué un travail d’adaptation que je trouve inacceptable et faux. C’est la première fois que je vois un tel parasitage. Cela soulève pas mal de questions sur lesquelles il faudra se pencher.
Propos recueillis par Nadia Meflah
Galerie photos
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