Le 18 novembre 2025
- Réalisateur : Dominik Moll
- Distributeur : Haut et Court
- Festival : Sarlat - Festival du film, Festival de Cannes 2025
– Sortie en salle : 19 novembre 2025
Auréolé du succès de La nuit du 12, Dominik Moll poursuit son exploration de l’univers de la police en signant, avec ce un polar intense et tendu. Nous avons eu l’occasion d’échanger longuement avec le réalisateur lors de sa venue au Festival du Film de Sarlat.
Après La nuit du 12, vous poursuivez votre exploration des métiers de la police mais sous un angle nouveau. Comment est née votre réflexion autour de ce nouveau projet ?
J’avais envie d’un polar qui explorerait l’univers de la police des polices. Je tenais à ce que le film concerne une affaire de maintien de l’ordre car cela touche à des questions sociétales et aux rapports entre les citoyens et les policiers. Quand je m’y suis intéressé, c’était au moment des manifestations contre la réforme des retraites. J’aurais pu situer mon histoire dans ce contexte mais c’était un moment où le mouvement des gilets jaunes s’était éteint depuis environ quatre ans. De plus, la Covid l’avait carrément effacé. C’est cela qui m’a interpellé : ce mouvement venu de nul part, qui a pris tout le monde de cours, qui a ébranlé le pouvoir, et dont on ne parle plus alors qu’il fait partie de l’histoire de France. Cela me paraissait plus intéressant de situer l’enquête à ce moment là plutôt que sur une actualité plus récente comme la réforme des retraites.
Certains hommes politiques de droite, et pas seulement d’extrême droite, pourraient être tentés de qualifier votre film d’anti-policier. Pourtant ce n’est pas le cas. Vous donnez juste à voir certains dysfonctionnements bien réels…
En effet, et c’est tout le problème car aujourd’hui, lorsque l’on pointe des dysfonctionnements réels, comme les violences policières, on nous accuse de vouloir abolir la police ou d’affirmer que tous les policiers sont violents. Mais nier qu’il n’y a pas de violences policières, comme le font beaucoup de politiciens, cela ne rend pas service à ceux qui essaient de bien faire leur travail. De fait, le film n’est ni pro-policier, ni anti-policier. Il essaie de comprendre comment on peut en arriver à des dérapages et de comprendre la responsabilité des politiques car comme le dit l’un des enquêteurs de l’IGPN, les policiers qui font du maintien de l’ordre sont envoyés en première ligne et dès qu’il y a un problème, ils sont pointés du doigt alors qu’ils ne décident jamais d’y aller seuls. On les y envoie avec un discours assez guerrier. Il y a donc une responsabilité politique forte et c’est ce qu’évoque le film… même s’il n’y a pas de personnage politique dedans.
Ce qui est assez fort dans ce film, c’est que les policiers coupables de violences ont préalablement été des héros. Vous souhaitiez jouer sur cette ambiguïté ?
C’est vrai que les membres de la BRI ont été applaudis au moment des attentats du Bataclan mais lors de la crise des gilets jaunes, ils ont été envoyés pour faire du maintien de l’ordre alors que ce n’était ni leur métier, ni leur compétence. C’est, encore une fois, une décision politique d’affirmer : « nous sommes débordés de partout, envoyons tout ce que nous avons sous la main ». Or le maintien de l’ordre est un métier à part entière et si on envoie des policiers dans des manifestation alors que leur métier consiste à neutraliser des terroristes ou des preneurs d’otages, cela peut vite dégénérer.

- © 2025 Photo : Fanny de Gouville / Haut et Court. Tous droits réservés.
Si votre film montre une certaine réalité sociale, voire sociétale, il n’en demeure pas moins, et avant tout, un vrai polar. C’était votre ambition ?
Je suis content que vous releviez cela car je ne voudrais pas que le film soit uniquement résumé aux violences policières. Je voulais effectivement mettre en scène un film de genre, un polar, avec une enquête. J’ai déjà eu l’occasion de réaliser des thrillers psychologiques avec des crimes mais où je ne montrais pas les flics car ça m’embêtait. Et c’est vrai qu’avec La nuit du 12, en adaptant le livre de Pauline Guéna, j’ai trouvé une approche différente du genre, qui permettait une immersion totale dans les métiers de la police, avec ce que cela suppose en terme de paperasse, d’administration… Même si Bertrand Tavernier l’avait déjà abordé avec L.627. C’est ce qui m’intéressait concernait les contraintes auxquelles sont confrontées les policiers, que ce soit la PJ ou l’IGPN. Le défi du film était d’intégrer toutes ces composantes, mais sans jamais baisser la tension pour autant, tout en sortant des règles du jeu. En l’occurrence, avec La nuit du 12 , on est confronté à un crime où l’on ne trouve pas l’assassin, et dans Dossier 137, on identifie les fautifs mais il s’avère difficile de les condamner d’un point de vue juridique. C’est pour cette raison que le film semble plaire à une partie de la police car ils sentent que je me suis vraiment intéressé à leur travail.
Votre film précédent était une adaptation. Dossier 137 est un scénario original. Est-ce plus complexe d’élaborer une histoire sans pouvoir s’appuyer sur un matériel préalable ?
C’est effectivement plus complexe car on ne part de rien. En adaptant La nuit du 12, j’avais déjà une structure et des éléments narratifs assez solides. Ici, il fallait tout inventer. Cela a nécessité quatre mois de recherche, de documentation, d’immersion, avec des lectures d’enquêtes journalistiques au long cours dans Le Monde ou Mediapart, mais aussi des rencontres avec des avocats de victimes, de policiers, et des enquêtrices. J’ai également passé une journée au sein du centre de commandement de la préfecture de police lors d’une manifestation. Accompagner des policiers sur le terrain m’a aussi permis d’avoir une vision plus large sur ces événements. Gilles Legrand et moi-même avons pu construire le scénario en confrontant les points de vue. Nous voulions raconter le film à travers les yeux d’une enquêtrice de l’IGPN, où il y a davantage de femmes que dans d’autres services. De plus, je trouvais intéressant de filmer une femme face à des policiers au physique très impressionnant. Cela ajoutait de la tension. J’ajoute que l’affaire évoquée dans le film n’existe pas en tant que telle mais résulte de différentes affaires authentiques. Tout ce que l’on voit repose sur les résultats de nos recherches.
Il y a un personnage clé dans votre histoire : le témoin des violences policières et tout ce que cela implique pour l’enquête : Qui est-elle ? Comment la retrouver ? Comment la convaincre de parler ?
Ce témoin nous permettait de jouer sur le contraste entre Paris, centre du pouvoir, et la province qui ne se sent plus considérée. Comme les manifestations étaient proches du pouvoir, que des enseignes de luxe ont été vandalisées sur les Champs-Élysées, cela nous semblait intéressant que ce témoin soit une femme de chambre dans un hôtel de luxe et qu’elle vive dans une banlieue défavorisée. Cela crée des tensions supplémentaires. D’autant plus qu’un enquêteur de l’IGPN m’a expliqué qu’il ’était souvent complexe de convaincre des témoins de témoigner dans des affaires de violences policières tant ils ont peur des représailles. Les enquêteurs doivent faire preuve de finesse et de diplomatie pour mettre les personnes en confiance. Il ne suffit pas de les convoquer et de jouer les gros bras.

- © 2025 Photo : Fanny de Gouville / Haut et Court. Tous droits réservés.
Sans pointer du doigt qui que ce soit, les manifestants que vous montrez dans votre film ne font-ils pas preuve de naïveté en se rendant dans une manifestation sans imaginer une seconde qu’ils puissent y avoir des débordements ?
Certes, mais c’est malheureusement l’un des arguments d’avocats de policiers qui affirment que si certains manifestants sont victimes de violences dans une manifestation, alors ils n’avaient qu’à ne pas s’y rendre. Or la liberté de manifester est un droit et on devrait pouvoir se rendre naïvement dans une manifestation. Les primo manifestants sont là pour défendre les services publics, tout en ayant à l’idée de participer à une sortie familiale, de visiter Paris, et puis tout se transforme subitement en cauchemar. Donc oui, ils font preuve de naïveté mais ils y vont en toute bonne foi et n’imaginent pas que de telles violences puissent se produire et les atteindre. De plus, lorsque vous vous retrouvez sur les Champs-Élysées, au milieu des barricades et que vous voyez que tout commence à s’embraser, certes vous devriez fuir, mais vous éprouvez une telle sidération que vous en devenez curieux et que vous voulez vous en approcher encore davantage. Même si le plus raisonnable serait de partir avant.
Vous êtes néanmoins d’accord pour dire qu’il y a aussi eu des dérives de la part des manifestants lors de la crise des gilets jaunes ?
Bien sûr. Certains gilets jaunes avaient vraiment envie d’en découdre et, par effet d’entraînement de masse, sont devenus violents. Des groupes d’extrême droite se sont aussi greffés dessus pour « cogner du flic ». Et on ne peut pas nier que beaucoup de policiers s’en sont pris plein la figure. En somme, on ne peut ni affirmer que tous les manifestants sont pacifiques et tous les policiers sont violents, ni l’inverse. Mais encore une fois, le maintien de l’ordre est un métier à part entière. Ce n’est pas pour rien si durant la crise des gilets jaunes, treize mille tirs de LBD ont été tirés et 80 % d’entre eux l’ont été par des unités non formées au maintien de l’ordre. C’est très révélateur.
Léa Drucker est incroyable dans son rôle d’enquêtrice. Comment s’est-elle imposée à vous ?
J’avais déjà travaillé avec elle il y a dix ans sur Des nouvelles de la planète Mars où elle avait un petit rôle puis j’ai suivi sa carrière jusqu’à ses rôles marquants dans Jusqu’à la garde et L’été dernier. Je n’avais pas pensé à elle initialement mais lors du processus d’écriture, j’ai commencé à imaginer certaines actrices dans ce rôle, y compris elle. Dès lors, je n’arrivais plus à me la sortir de la tête. À tel point que j’entendais sa voix et son intonation lorsque l’on écrivait les dialogues. Je lui ai donc proposé de jouer ce personnage tant je sentais qu’elle avait une finesse et une intelligence de jeu très prononcé et qu’elle était autant à l’aise dans la légèreté que la gravité. Durant la préparation, elle tenait à rencontrer des enquêtrices de l’IGPN afin de comprendre comment elles parvenaient à gérer leurs émotions face aux situations qu’elles affrontent. Elles lui ont fait comprendre que même si elles éprouvaient beaucoup de choses, elles ne devaient jamais se laisser envahir par leurs émotions. Cela a été la ligne de conduite adoptée par Léa : donner à ressentir aux spectateurs des émotions qui bouillonnent en elle mais qu’elle se doit de retenir, tout en les rendant perceptibles.
Et enfin, pouvez-nous dire quelques mots votre mise en scène, qui semble simple mais est terriblement efficace ?
Je voulais un film sobre. Après tout, il y a beaucoup de scènes d’auditions de policiers, et il n’y a pas cent façons de tourner de telles scènes. Ce sont des face-à-face, donc le champs-contrechamps s’impose. Ma principale réflexion portait sur le montage. C’est ce que je préfère. C’est un exercice qui n’appartient qu’au cinéma. Il permet de créer du sens, du rythme, de la tension. L’une de mes influences était le film de Tina Satter, Reality, tourné dans un seul lieu et dans une continuité temporelle. C’est à la fois sobre et tendu tout du long. Je voulais créer cette hyper attention et tenais à faire un vrai film de cinéma, au-delà de la dimension sociale et sociétale du récit.
Propos recueillis par Nicolas Colle
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