Le 26 décembre 2024
Aubry Salmon, fin connaisseur du cinéma d’action, décortique le parcours d’un film boudé en son temps mais désormais culte.
Cela aurait dû être le blockbuster poilant et décoiffant de l’été 1993, un film d’action qui compte à son générique plusieurs grands noms du genre : John McTiernan derrière la caméra, Arnold Schwarzenegger devant et Shane Black au scénario. Pourtant, rien ne se passera comme prévu : sorti une semaine après le tsunami Jurassic Park et une gestation compliquée, Last Action Hero mordra finalement la poussière et ni son réalisateur ni sa star n’en sortiront vraiment indemnes.
Puisque les flops font souvent de belles histoires, Aubry Salmon, fin connaisseur du cinéma d’action et déjà auteur de Tony Scott, le dernier samaritain, refait le match dans Il était une fois... Last Action Hero, paru aux éditions Rockyrama le 24 septembre 2024. Vous avez des doigts ? Croisez-en un max !
Quel a été le cheminement du long métrage, depuis la première version du scénario jusqu’au film que l’on connaît ?
À l’origine de Last Action Hero, on trouve deux étudiants en cinéma, Zak Penn et Adam Leff, qui vivront la belle histoire hollywoodienne dont rêvent tous les scénaristes. Ils ont la vingtaine, sortent de leurs études, écrivent un script, qui a dès le début une idée forte : un gamin est projeté dans le film d’action qu’il adore. La différence principale, c’est que dans ce premier script– que l’on peut lire en ligne –, ce gamin a quinze ans, c’est un peu une version jeune de Travis Bickle qui vagabonde dans le New York mal famé des années 1980. Cette version-là est vraiment dans la veine des films d’action de cette époque comme Commando ou Cobra.
Penn et Leff arrivent à vendre leur scénario au studio Columbia, où on leur dit : « Les cinquante premières pages sont super. Tout le reste, par contre, est à revoir ! » À savoir que certaines scènes survivent à toutes les versions du scénario, comme celle avec Arnold Schwarzenegger en Hamlet. C’est d’ailleurs resté la plus célèbre du film, la plus marquante quand on est gamin – même quand on n’a pas l’âge de connaître Shakespeare…
Après cela, les deux auteurs donc totalement éjectés du projet, et on appelle Shane Black, scénariste déjà très connu à l’époque. Black n’a pas pour habitude de travailler sur un script préexistant, il développe ses propres projets, mais il cède finalement… par appât du gain, surtout que Last Action Hero est fait pour lui. Black va rendre le film plus sexy, en y ajoutant des vraies scènes d’action et des punchlines, avant de faire venir sur le projet son ami David Arnott, et ensemble ils intègrent au film cet aspect conte de fées – je parle dans le livre de Cendrillon ou de L’île au trésor –, totalement absent jusqu’ici. Surtout, là où le premier jet était une critique acerbe du cinéma d’action hollywoodien et de sa violence, cet aspect-là est largement ripoliné dans le film fini.
Le dernier scénariste – en tout cas crédité – du film est mythique : William Goldman, l’un des auteurs les plus réputés à l’époque, appelé à la demande expresse de Schwarzenegger. Goldman fera quelques modifications majeures, en premier lieu changer l’âge du héros, qui aura finalement douze ans, pour éviter la redite avec Terminator 2, dont sort Schwarzie. Autre apport de Goldman, dont il ne reste hélas pas grand-chose dans la version tournée : la relation quas -paternelle entre Jack Slater et Danny O’Brien, qui ressort particulièrement dans une scène « du monde réel », tournée mais finalement laissée de côté.
Comment le réalisateur John McTiernan arrive-t-il sur le projet ? Il avait déjà tourné Predator avec Schwarzie, mais la relation entre les deux hommes avait alors été assez conflictuelle…
Il faut se souvenir qu’avant Predator, « McT » n’avait fait qu’un seul long-métrage : Nomads, film assez arty, « européen », un peu dans la mouvance des Prédateurs de Tony Scott. Schwarzie et le producteur Joel Silver, après l’avoir vu, décident de confier Predator à ce jeune cinéaste.
Ce tournage sera un cauchemar pour McTiernan, comme l’avait été celui des Dents de la mer pour Spielberg. À Hollywood, la règle est très claire : ne jamais accepter un tournage dans la jungle ou sur l’eau… Étonnamment, pourtant, McTiernan réussira à garder le contrôle sur le film malgré ces conditions difficiles – et les gros caractères de l’acteur et du producteur. C’est dans ce genre d’épreuves que se révèlent les cinéastes les plus résistants.
C’est surtout la dernière partie de Predator, opératique et quasiment métaphysique – pour laquelle il s’est inspiré d’un rêve qu’il avait fait de l’apocalypse ! – que McTiernan avait réussi à imposer. Donc, oui, si Predator avait été une expérience difficile pour celui-ci, Schwarzenegger s’était quand même bien rendu compte de tout ce que le cinéaste avait apporté au film et a donc pensé à lui pour Last Action Hero. Les scénaristes originaux, eux, avaient en tête des gens comme Robert Zemeckis ou John Landis, c’est-à-dire des bons réalisateurs dotés d’un vernis comique. La légende parle même de Spielberg mais je n’ai jamais retrouvé d’information fiable là-dessus…
À l’époque, John McTiernan est dans le creux de la vague, et sort d’un échec faisant suite à plusieurs succès.
Medicine Man, screwball comedy vendue comme un film d’action, dans laquelle McTiernan cherche à se renouveler un peu, se casse la gueule à sa sortie. C’est sa vraie première sortie de route mais, à Hollywood, la valeur d’un cinéaste se mesure à celle de son dernier succès… C’est seulement une hypothèse mais, je crois qu’en voyant passer le script de Last Action Hero, qui compte déjà Arnold à bord, il se dit que c’est un succès assuré. Même si, selon moi, il n’a pas agi uniquement par cynisme et a vraiment aimé le scénario, dans la lignée de ses précédents films : la mise à distance, la critique du spectacle hollywoodien, c’est quelque chose qu’on retrouve déjà dans Piège de Cristal par exemple. « McT » a initialement une formation théâtrale, a étudié l’anthropologie ou Shakespeare, il était fan de Fellini et Truffaut – raisons pour lesquelles ses œuvres arrivent à s’élever au-delà du film d’action basique.
Quand Last Action Hero sort, il ne rencontre finalement pas le succès escompté. Pour John McTiernan comme pour Arnold Schwarzenegger, c’est un peu le début de la fin, puisque leurs carrières dans les années 1990 et au-delà se feront en dents de scie.
Alors que la sortie du film est programmée et que le succès est déjà moins certain que prévu, Schwarzie enchaîne avec True Lies, que j’ai tendance à voir comme une « roue de secours » pour se remettre en selle immédiatement. Les deux films ont des points communs, notamment cette façon de subvertir, presque de parodier le film d’action, même si le film de James Cameron va moins loin en la matière. Mais quand j’ai lu Total Recall, la biographie de l’acteur, j’ai été marqué car il dit entre les lignes qu’après cet échec il est entré dans une période de dépression, difficile à surmonter. Depuis cinq ou six ans, il était au sommet, et Terminator 2 avait battu tous les records… D’autant qu’à l’époque, il s’était déjà engagé en politique auprès des deux derniers présidents, républicains, et que l’élection de Bill Clinton marquait, selon lui, un changement d’époque. Il essaie donc de se raccrocher à des projets, succession de films qui aboutira à Batman & Robin, après lequel il est considéré comme fini. Mais je crois que Schwarzie se considérait moins comme un acteur pur qu’un entrepreneur ; il a fait du cinéma un temps et est passé à la politique ensuite. Et, à l’échelle des États-Unis, le poste de gouverneur de Californie qu’il a occupé a un pouvoir énorme.
Pour John McTiernan, la décennie 90 a été difficile aussi, notamment quand on pense à un projet comme Le treizième guerrier, sans parler des ennuis judiciaires qu’il a eus ensuite. Quand on voit Basic, son dernier film à ce jour, l’ambiance évoque assez les derniers films de John Ford comme Frontière chinoise. Il a eu un temps des projets bizarroïdes de science-fiction, avec des producteurs européens, finalement tombés à l’eau.
Jurassic Park, sorti une semaine avant le film de McTiernan, a marqué le début du règne des images de synthèse dans lesquelles on baigne encore aujourd’hui. Quant à Last Action Hero, il est l’un des premiers blockbusters post-modernes, aujourd’hui très courants, que l’on pense à 21 Jump Street ou à Deadpool. Le sort du blockbuster hollywoodien a donc basculé en juin 1993 ?
En tout cas, c’est tentant de le voir comme ça ! C’est l’interprétation que je donne dans mon livre, même si, avec le recul, on peut avoir tendance à exagérer cela. Mais par exemple Zak Penn, le coscénariste original de Last Action Hero, a ensuite travaillé sur le premier Avengers puis sur Ready Player One, trois films qui sont aussi trois dates importantes du blockbuster post-moderne. Depuis Avengers, l’humour « méta » dans les films de super-héros est devenu très courant. Bien sûr, le post-modernisme ne date pas d’hier : en littérature, il existait déjà dans les années 1960 ou 1970. Or, les scénaristes, même ceux qui écrivent des films pas terribles, ont souvent lu les grands écrivains. Dans le cinéma du Nouvel Hollywood, c’est déjà le cas ; dans la scène d’ouverture de Who’s That Knocking at My Door de Scorsese, Harvey Keitel drague une fille en citant La Prisonnière du désert ! C’est du Tarantino avant l’heure.
Propos recueillis par Robin Berthelot
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