Le 8 septembre 2025
- Réalisateur : Hélène Médigue
- Acteur : Marie Gillain
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Festival : Festival d’Angoulême 2025
– Sortie en salle : 10 septembre 2025
Nous avons rencontré Hélène Médigue et Marie Gillain, à l’occasion de l’avant première d’Une place pour Pierrot au Festival du Film Francophone d’Angoulême.
Présenté en avant-première au Festival du Film Francophone d’Angoulême, Une place pour Pierrot a beaucoup ému les festivaliers, touchés par cette histoire d’amour entre une sœur dévouée et un frère différent. La réalisatrice revient sur cette aventure, accompagnée de son actrice principale qui témoigne de cette expérience… et revient sur quelques rôles emblématiques de sa filmographie.
Tout d’abord, ce récit semble si sincère et authentique qu’on est tenté de penser qu’il est autobiographique. C’est le cas ?
Hélène Médigue : Ce film est certes inspiré de thématiques qui me constituent mais il demeure une fiction. Il n’y a rien d’autobiographique. Même si mon propos demeure authentique car j’ai un frère différent. C’est un endroit de ma vie qui m’a beaucoup éveillée et constituée comme actrice puis comme réalisatrice. Cela m’a aussi incitée à m’engager sur le plan citoyen car cela a du sens pour moi d’apporter des solutions à des personnes différentes. Néanmoins, la démarche de mon film est de raconter une histoire universelle autour des aidants. Je traite plus ce sujet que de l’autisme en soi, car le personnage de Gregory Gadebois aurait pu être aussi bien bipolaire que schizophrène, dépressif ou en burn out. Ce n’est pas cela qui impacte l’évolution du récit.
Marie, comment avez-vous pris part à cette aventure ?
Marie Gillain : Je ne connaissais pas Hélène mais son scénario m’a emportée par son écriture sans artifice, sobre, qui vous prend par la main mais sans vous dire quoi ressentir. L’émotion jaillit par ce lien d’amour fraternel très fort, construit de façon subtile. C’est cette subtilité, sans verser dans le mélodrame, qui crée un lien d’empathie direct avec les personnages. Puis j’ai rencontré Hélène et j’ai été frappée par sa personnalité puissante. Elle entretient un rapport à la vie très sensoriel, très organique. C’est ce qu’on retrouve dans son écriture, quelque chose d’exigeant, de viscéral.

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Et vous, Hélène, pourquoi avez-vous pensé à Marie et Grégory Gadebois pour incarner vos deux personnages principaux ?
Hélène Médigue : Le personnage de Camille imposait à Marie de s’abandonner tant elle traverse une succession d’états à l’intérieur d’une même séquence. C’est un travail très exigeant pour une actrice. J’avais envie d’une comédienne qui représente toutes les femmes. Marie a cet équilibre du masculin et du féminin, comme Romy Schneider ou Virginie Efira. Elle a un ancrage très fort dans la réalité, quelque chose de diaphane, d’épuré, et une beauté très naturelle.
Quant à Grégory, je n’ai proposé le rôle qu’à lui seul et s’il m’avait dit non, je n’aurais pas fait le film. Il était hors de question d’engager une personne différente pour ce rôle, même s’il y a des autistes dans mon film. Mais pour filmer Pierrot et son retour à la vie, avec des séquences très dures, qu’on tourne dans le désordre, cela aurait été maltraitant. De plus, je tenais à tourner avec un acteur afin que ce personnage permette l’identification et qu’on ne l’enferme pas dans sa différence parce qu’au final, il raconte chacun d’entre nous. Avec Grégory, nous avons élaboré un travail autour de la sensorialité, de la poésie, de la part d’enfance, de la temporalité. C’est un stradivarius. Il a une puissance organique extraordinaire qui était nécessaire au film.
Ce film montre à quel point la position d’aidant n’est pas tenable à long terme tant elle s’avère sacrificielle.
Hélène Médigue : On voit avec le personnage de Camille que lorsque l’on est aidant, on n’est pas parfait, on ne fait pas tout bien. Être aidant, cela impose aussi de se prendre en compte, de se rencontrer, d’accéder à ses émotions, de se construire une place à soi afin d’être présent pour l’autre. C’est cet équilibre qu’il faut trouver pour traverser le temps et continuer à être là. C’est le parcours de Camille. Elle a grandi avec cela et a, comme beaucoup de femmes, une charge mentale très forte : elle éduque seule sa fille de quatorze ans, elle vient de se séparer, est toujours dans le contrôle, fait ce chemin vers elle-même tout au long du film. Elle va accéder à sa nature profonde et trouver sa place. C’est ce qui a motivé ce film.
Marie Gillain : Lorsqu’on est dans une position d’aidant, on peut se perdre dans un accompagnement s’il prend toute la place. Il faut être sacrément fort pour bien accompagner des personnes différentes. D’où la nécessité de se créer un espace à soi. C’est ce que Camille va apprendre tout au long du film. Elle s’est tellement construite dans ce rôle de petit soldat qui est dans l’action pour faire accepter la différence de son frère, pour lui trouver une place, pour le protéger, qu’elle s’est un peu perdue en chemin et ne s’est pas encore rencontrée. Donc oui, c’est une place qui peut être très vampirisante. Ce serait facile de savoir dès le départ comment conserver la bonne distance quand on accompagne des personnes différentes. On apprend en traversant des moments de dérapage, de déni, et par plein d’autres états.
Justement, selon vous, en quoi consiste le fait de « trouver sa place » ?
Hélène Médigue : Trouver sa place, c’est comment être au monde. C’est une notion qui m’a frappée dès mon enfance. J’observais mon frère qui était tellement puissant dans sa différence et sa vérité. J’ai découvert le monde à travers lui. Il avait des potentiels tellement extraordinaires que je ne comprenais pas que la société ne lui fasse pas une place. Cela me perturbait lorsque j’étais enfant. Dans le film, le personnage joué par Patrick Mille est celui qui est le plus au monde car il a créé son restaurant où tous les autres personnages se retrouvent. Il fait référence à son homosexualité sans que cela ne soit un sujet. Il a fait ses choix. Il s’est rencontré. Et surtout, il est présent au bon endroit pour tout le monde. Son écoute est pleine.
Marie Gillain : Trouver sa place est un apprentissage de toute une vie. Mais c’est vrai que le personnage de Patrick Mille s’est libéré de ce dont il a hérité et a trouvé sa place parce qu’il est à un endroit où il est tel qu’il est, en couple, dans ce restaurant, un lieu de rencontre, de réconfort, de partage, de plaisir. Il s’est débarrassé de tout ce dont on essaie de se débarrasser lorsqu’on devient adulte, le poids du passé, la place qu’on nous a donné dans une famille, et on s’autorise à prendre la place qu’on veut avoir dans cette vie qui nous a été donnée. C’est un être apaisé, contrairement à Camille.
Il y a une autre thématique que vous avez mentionnée et dont on parle de plus en plus de nos jours : « la charge mentale »…
Marie Gillain : Le personnage de Camille s’est construit uniquement dans le contrôle. Elle a appris à devoir contrôler les situations parce qu’elle s’est forgée son caractère sur cette seule base. C’est aussi parce qu’elle ne sait pas faire autrement qu’elle n’arrive pas à trouver sa place et à avoir le bon équilibre dans sa vie. En l’occurrence, c’est sa fille qui va lui rappeler la place qu’elle doit avoir, cette place de sœur dont le frère a pris toute la place, mais aussi sa place de mère, et de femme. Elle doit se regarder à nouveau, se redécouvrir, et lâcher prise. Sa fille lui rappelle qu’elle a besoin d’elle. Camille prend des décisions très impulsives, pensant bien faire, mais elle va apprendre qu’on doit aussi faire confiance à la vie. Je comprends ce mécanisme qui part de l’inquiétude, de la peur. Lorsque l’on ressent cet amour inconditionnel pour nos proches et qu’ils vivent des situations dramatiques, c’est la peur qui nous nourrit et nous rend combatif. Dès lors, on n’arrive pas à avoir la bonne distance par rapport aux événements. On voit bien que Camille sature depuis des années, que son frère est sur-médicamenté et qu’elle n’a pas su lui trouver un foyer adapté. Elle a donc été obligée de porter ce que la société ne peut pas porter pour son frère. En présentant le film aux spectateurs et en participant à des débats publics, on comprend à quel point les films ont une vertu de partage extraordinaire tant il y a des personnes qui nous disent être concernées par des situations similaires et avoir traversé ces mêmes moments d’errance, de solitude. Elles trouvent du réconfort dans ce film car il ne prend pas parti et ne dénonce rien. Ce n’est pas un film militant, seulement un film humain sur des individus qui essaient de faire bouger les choses à leur niveau et vont se rencontrer eux-mêmes. On y parle des fêlures de chacun. Les aidants sont des êtres imparfaits, qui font ce qu’ils peuvent. Et les différents sont parfois plus libres que d’autres personnes pleines de déni et de contradictions.

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À défaut de donner des leçons, avez-vous conscience que votre film interroge tout de même notre système de santé ?
Hélène Médigue : Il y a de nombreux cas de sur-médication en France, que ce soit avec les personnes différentes, les personnes âgées ou en fin de vie, avec un diagnostic souvent inadapté. Donc la responsabilité ne repose pas que sur les personnes qui travaillent dans ces lieux d’accueil parfois inadaptés. Ils sont comme un reflet de notre société. Nous vivons dans un pays à la fois très privilégié, avec beaucoup de moyens et de protections, mais parfois avec un manque de sens pour accompagner les personnes dépendantes de façon plus individualisée. Peut-être faudrait-il créer des lieux moins grands, avec des externalités positives à plein d’endroits ? Dans un foyer médicalisé avec soixante-dix personnes, il ne peut pas y avoir un tel accompagnement. Et en plus cela coûte plus cher à l’État. Il nous faut apprendre à faire autrement. Et il y a de nombreuses volontés qui œuvrent dans ce sens.
Avant de conclure, Marie, j’aimerais revenir sur votre filmographie et vous demander de commenter quatre de vos films qui ont eu un impact sur ma cinéphilie. Tout d’abord, Mon père, ce héros, le premier teen movie que j’ai pu découvrir.
Marie Gillain : Ce film représente la connexion à mon rêve d’enfance. Un rêve fou qui devient réalité. Et quelle première fois incroyable. Un tournage à l’île Maurice, un rôle délicieux, un partenaire immense. C’est ce dont on peut rêver de mieux quand on est adolescent et qu’on tourne dans son premier film.
Ensuite, L’appât... que j’ai découvert avec beaucoup d’émotion à la disparition de Bertrand Tavernier.
Marie Gillain : C’est sur ce film que je me suis vraiment positionnée en tant que comédienne, avec la découverte de cette réelle responsabilité dans la création artistique. L’appât a été ma rencontre avec ce qu’est devenue ma vie d’actrice. Et quel grand metteur en scène ! Bertrand Tavernier avait un point de vue très fort sur l’histoire qu’il racontait. Il m’a donné une responsabilité dans le travail. Avec mes partenaires, Olivier Sitruk et Bruno Putzulu, nous étions totalement inclus dans le travail avec nos personnages. Bertrand nous posait des questions sur qui étaient ces personnes. C’est à ce moment là que j’ai compris que c’était cette dimension de composition, de recherche, qui m’intéressait dans le métier d’actrice. Cela a été une révélation de comprendre à quel point un acteur se doit d’être intelligent et n’est pas juste là pour servir les émotions de ceux qui racontent des histoires. Nous avons une responsabilité forte et devons affirmer ce que nous avons au fond du ventre afin de transmettre ce qui nous touche dans les personnages que nous incarnons.
Et Le Bossu… mon premier film de cape et d’épée découvert sur un grand écran.
Marie Gillain : C’est un rôle rêvé pour une jeune actrice tant il allie la féminité, le panache, la drôlerie. On joue sur les codes de la masculinité et de la féminité. Le costume vous emmène dans un autre endroit de votre corps et les films d’époque eux-mêmes nous amènent à des endroits plus grand que nature. Un peu comme à l’opéra. Ils sont plus grand que la vie.
Et enfin, Toutes nos envies… où vous m’avez ému aux larmes.
Marie Gillain : Je me suis beaucoup battue pour faire ce film car c’est une des seules fois de ma vie où j’ai lu un scénario que l’on ne m’avait pas envoyé initialement. J’ai eu un tel coup de cœur pour ce rôle que je ne pouvais pas imaginer une autre actrice que moi pour l’incarner. Alors que ce n’est pas ma nature profonde d’agir ainsi. J’ai donc dû convaincre Philippe Lioret de me choisir. C’est probablement le personnage qui m’a le plus marquée dans ma carrière d’actrice car j’étais à un moment de ma vie où j’avais un peu perdu la foi. On ne me proposait pas des rôles intéressants alors que j’avais atteint la trentaine, que j’avais deux enfants, et que tout cela apportait du poids à mon existence et me donnait envie d’aller vers des personnages plus forts. Or, on continuait à me proposer des rôles de jeunes filles en fleur. J’avais besoin de m’emparer d’un personnage de femme. Je peux dire que c’est le premier vrai personnage de femme que j’ai pu incarner, avec le poids qu’elle porte car il s’agit d’une femme qui prépare son départ. Il y avait tellement de complexité dans ce personnage. C’est à coup sûr l’une de mes plus belles expériences de cinéma.
Propos recueillis par Nicolas Colle
Galerie photos
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