Le 1er mai 2025

- Réalisateur : Camille Perton
- Distributeur : The Jokers
– Sortie en salles : 7 mai 2025
À l’occasion de la sortie de son premier long métrage, consacré aux coulisses du football, la jeune cinéaste évoque sa passion pour le ballon rond ainsi que ses premiers amours pour le septième art.
Ce premier film est-il né de votre passion pour le football et si oui, quel visage souhaitiez-vous en montrer ?
Je suis une passionnée de foot depuis l’enfance mais le désir de ce film est né en 2015 quand je me suis renseignée sur le trading de joueurs, avec la mise en place de la marchandisation de très jeunes footballeurs, âgés de 15 à 18 ans. Cela m’a interpellée tant j’y ai vu quelque chose de dérangeant et de potentiellement fort à raconter. J’ai beaucoup lu sur le sujet et, en me renseignant, j’ai découvert l’envers du décor, les coulisses du football : ce milieu très permissif, dans lequel gravitent des galaxies de personnages très romanesques, des trajectoires tragiques, des histoires dont je n’avais pas connaissance. Le film est donc né de la rencontre entre un sujet, une matière assez politique, et quelque chose de purement cinégénique parce qu’évidemment, pour moi, cette histoire rappelle l’imaginaire des grands films de mafia qui ont nourri ma cinéphilie.
Pourquoi le foot a-t-il une place si essentielle dans votre vie ?
Le foot représente pour moi quelque chose de familial, lorsque je regardais les grands matchs de Coupe du monde avec ma mère et ma grand-mère… des moments d’exaltation, de partage, de joie pure en cas de victoire et de tristesse pure en cas de défaite. Et c’était la même chose avec le cinéma : un spectacle total que j’ai aimé partager très tôt en salle. Cela a fait naître en moi un désir de communiquer, d’exprimer des choses, de créer de la sensation, du vertige, des émotions.
- © Emmanuelle Firman "Les Arènes"
Paradoxalement, vous montrez ici l’univers du foot, mais jamais le foot en lui-même. Vous n’avez filmé aucun match. Un choix assumé ?
Ce n’est pas un film sur le sport mais un film sur l’argent, l’amour, la loyauté. J’ai pris le parti dès l’écriture de ne pas montrer de match car le film parle du fait qu’une carrière se joue aussi en dehors du terrain. On peut être un bon sportif et, pourtant, se prendre les pieds dans le tapis. L’idée était donc de raconter ce qui se passe une fois que les caméras sont éteintes et que le match est terminé.
Comment avez-vous conçu l’aspect visuel du film ?
Nous avions à cœur de donner de l’ampleur à cette histoire, en assumant quelque chose d’un peu épique, comme un voyage. On part de Lyon, on se rend sur la Côte d’Azur où les décors s’élargissent avec la mer. Le spectateur doit vivre cette excitation du voyage en même temps que le personnage de Brahim. Avec le chef décorateur, nous avons veillé à ce que les décors communiquent toujours cette sensation, ce souffle. Cela a été le même procédé pour les décors intérieurs. Nous avons construit des choses élégantes, attirantes. Nous passons d’un univers familial à un milieu plus opulent, où les joueurs comprennent ce que l’argent peut leur offrir. Cela a été la même chose pour la musique. Nous avons travaillé une partition qui donne du mouvement, du rythme et accompagne ce voyage. L’idée était de s’ancrer dans une vision spectaculaire du cinéma.
Vous être originaire de Lyon, une grande terre de cinéma et de football. Quels sont les films et les grands matchs de foot ayant marqué votre vie ?
J’ai grandi avec le cinéma américain des années 70 et 80, à la fois ludique et profond. Ces deux intentions là m’ont attirée très tôt. J’aime le cinéma spectaculaire, véhiculant des émotions puissantes. C’est ce qui a guidé mon travail avec Les Arènes. Je tenais à rendre ce plaisir-là aux spectateurs, en créant de la tension, du désir, des choses ambivalentes avec lesquelles on a envie de passer du temps. Je peux donc dire que j’adore des cinéastes tels que Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Jane Campion, George Lucas ou Steven Spielberg. Un film comme Mulholland Drive a également été un choc tant j’y ai perçu le trouble, la sensation que pouvait inspirer des images. Même si c’est inconscient de ma part, Les Arènes est inspiré par cette grammaire cinématographique-là. Concernant le football, je retiens des grands moments collectifs comme la victoire de la France lors de la Coupe du Monde 1998, puis celle de 2018. J’ai aussi pleuré en 2006 qui reste un grand souvenir malgré la défaite. J’ai toujours été impressionnée par un joueur comme Cristiano Ronaldo. Son coup franc contre l’Espagne lors de la Coupe du Monde 2018 est tout simplement exceptionnel. Cela m’a vraiment impactée. On sentait la responsabilité qui pesait sur ses épaules, sa capacité à prendre ses responsabilités et à concentrer toute son attention sur son objectif de marquer, et y arriver en plus. C’était juste sensationnel.
Votre film est marqué par deux relations à la fois belles et complexes que nourrit Brahim avec son cousin puis avec cet agent un peu trouble qui débarque dans sa vie. Comment avez-vous construit les interactions entre ces personnages ?
Son cousin incarne vraiment la personne qui le sort de sa solitude. L’une des tragédies des joueurs de football, qu’on ne mesure pas forcément toujours, c’est la solitude dans laquelle ils sont et dans laquelle le caractère exceptionnel de leur talent les place. Dans ce contexte, Mehdi est un personnage totalement désintéressé. Il est là pour le faire grandir et lui permettre d’atteindre ses objectifs. C’est en cela que leur relation est unique et si belle, avec quelque chose de l’ordre de l’amour, de la confiance. Et puis arrive cet agent qui vient amener du trouble, du désir, des horizons nouveaux, avec beaucoup de séduction. C’est un personnage complexe, entier, et qui voit chez Brahim une différence, une singularité. Il perçoit quelque chose que les autres ne perçoivent pas. Il éprouve à la fois un désir de gagner de l’argent à travers lui mais aussi un désir de l’emmener ailleurs, de l’extraire à cette famille et de lui faire accéder à des choses plus grandes. À un endroit, il se reconnaît dans ce garçon et est donc tenté de lui donner un peu plus que ce qu’il donne aux autres. En cela il est prêt a transiger avec sa ligne de conduite, à savoir que c’est avant tout lui d’abord et après les joueurs qui se servent. Il est donc pris au piège qu’il a lui même tendu. Il fait partie de l’écosystème du football dans lequel il est un pion, avec l’obligation de rentrer dans le droit chemin s’il ne veut pas tout perdre, et donc de faire un choix.
- © Emmanuelle Firman "Les Arènes"
La question du choix semble effectivement encore plus centrale dans un tel milieu…
Dans le milieu du football professionnel, la tentation est grande de prendre des raccourcis. Il y a tellement de pression. Tout peut s’effondrer si rapidement que, parfois, on a envie de suivre l’agent qui nous amène à signer un contrat pro rapidement. Un personnage comme le cousin montre qu’il peut obtenir les mêmes choses que d’autres agents plus puissants, mais que cela prend plus de temps. Or, les footballeurs n’ont pas le temps car leurs carrières sont si courtes. J’avais donc à cœur qu’on ne juge pas le personnage de Brahim. Il fait des choix rationnels. La vie est une affaire de choix et, parfois, on en fait sans machiavélisme, avec de bonnes raisons, mais ils ont des conséquences. Le foot représente une situation impossible à gérer tant le potentiel d’ascenseur social est vertigineux. C’est trop complexe de rester vertueux dans un milieu comme celui-ci, avec un système si écrasant.
C’est tout de même un monde complètement fou et cynique que vous montrez… C’est ce qui est singulier d’ailleurs, votre amour du foot se ressent quand vous en parlez ; mais en voyant votre film, il y a de quoi en être dégouté…
Le foot s’inscrit dans le même rythme auquel le monde est aujourd’hui confronté. Le foot n’en est qu’un miroir. Nous vivons tous dans un monde où l’argent occupe une place de plus en plus préoccupante et nous place dans des situations de conflit avec nos valeurs. Dès lors, que fait-on de notre humanité, de l’individu, de l’intérêt général ? L’opacité et la financiarisation amènent une logique capitaliste qui contamine complètement le sport et crée ces situations de multinationales où des clubs possèdent un nombre incalculable de filtres à l’étranger où ils font circuler leur effectif et qui promettent un tampon prometteur pour le joueur qui signe à Chelsea et qui, finalement, ne foulera jamais la pelouse de Chelsea. Cela fait partie des périls de la sur-financiarisation qui crée un milieu hors sol, avec des individus qui au départ ont des passions simples et veulent vivre leurs rêves de gosse, mais se retrouvent comme des marchandises sur un marché très concurrentiel et cruel. Nous avons perdu un rapport de proximité avec le foot. Les supporters sont les premiers à le dire. Ils connaissent l’économie des clubs et savent que l’arrivée de capitaux étrangers est un vrai problème. Un club comme les Girondins de Bordeaux a été massacré par la financiarisation et l’arrivée de fonds vautour. C’est une catastrophe humaine, sportive et économique. Le PSG a rencontré d’autres problèmes car s’il n’a jamais eu de problèmes financiers en étant soutenu par des fonds souverains, il a mis du temps à comprendre comment bâtir un effectif de qualité sans miser nécessairement sur des grandes stars.
Propos recueillis par Nicolas Colle
Galerie Photos
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