Le 24 décembre 2025
- Auteur : Pierre Charpilloz
- Editeur : Espaces & Signes
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Des plages de Malibu au funiculaire de Bunker Hill, de diner rétro en villa futuriste, le livre de Pierre Charpilloz nous sert de guide dans une balade cinéphile et élégiaque. Rencontre.
Filmée sous toutes les coutures depuis plus d’un siècle de cinéma hollywoodien, Los Angeles a façonné l’imaginaire de plusieurs générations de cinéphiles. Parcourir les films pour mieux cartographier cette ville – et, in fine, démêler la réalité de la légende –, c’est l’objet du livre de Pierre Charpilloz : Los Angeles mis en scènes (Éditions Espaces et Signes). Des plages de Malibu au funiculaire de Bunker Hill, de diner rétro en villa futuriste, le livre de Pierre Charpilloz nous sert de guide dans une balade cinéphile et élégiaque. Rencontre.
Comment avez-vous découvert Los Angeles et comment cette découverte s’est-elle confrontée à ce que vous en aviez vu dans les films ?
Vaste sujet ! À l’issue de mes études, je suis parti faire un stage à Los Angeles, au sein du studio The Asylum. L’avantage de ce studio, c’est qu’ils font trente films par an ; donc, même en ne restant que trois mois, j’ai pu travailler sur plein de choses différentes… J’ai suivi deux tournages de bout en bout, j’ai travaillé dans la distribution, j’ai fait un peu de post-production. Cela m’a fait découvrir Los Angeles, et j’ai aussi eu des galères, que je raconte dans un autre livre qui est déjà écrit mais pas encore sorti. Cette expérience n’a pas correspondu tout à fait à mes attentes, y compris parce que c’est une ville où tout coûte très cher – bien plus qu’en France, où l’on peut, en tant qu’étudiant, se débrouiller et se constituer un réseau. Là-bas, on est sanctionné immédiatement si on n’a pas l’argent nécessaire. Autre aspect : je n’avais pas de voiture et je me déplaçais en transports en commun. Or, je le raconte dans Los Angeles mis en scènes : ceux qui se déplacent sans voiture dans cette ville sont les marginaux, y compris parce que la ville s’est construite politiquement autour du développement des autoroutes. Je suis reparti de cette ville en me disant que cela avait été horrible, mais j’ai aujourd’hui une certaine tendresse pour cette période. Mon rapport avec Los Angeles est assez ambigu : c’est une ville qui me fascine et qui peut être pour autant assez violente.
Le livre tient autant de l’essai sur le cinéma que du guide de voyage, avec des indications géographiques très précises. Comment marcher sur ce fil entre les deux, et quelles étaient les difficultés lors de l’écriture ?
J’en citerai deux. La première est que beaucoup de lieux de fiction n’existent pas en réalité. Dans le cas de Quentin Tarantino, qui adore filmer Los Angeles et donne dans ses films des adresses très précises, le fameux diner Jack Rabbit Slim’s de Pulp Fiction n’existe pas, il a été créé pour le film. On peut trouver l’adresse sur une carte et y aller, mais le restaurant n’y sera pas ! De plus, certains lieux de tournage ne correspondent pas aux lieux mentionnés dans la fiction. Par exemple, le fameux Silencio de Mulholland Drive est composé de deux endroits : son extérieur est un théâtre de downtown Los Angeles, et son intérieur qui en est un autre.
Deuxième difficulté : certains endroits mythiques – en tout cas pour les cinéphiles, pas forcément pour les historiens – n’existent plus. Le fameux restaurant de Heat, où a lieu la confrontation entre Al Pacino et Robert De Niro, Kate Mantilini, a fermé il y a plusieurs années. Beaucoup de lieux emblématiques disparaissent, aussi parce que la ville n’a pas un grand intérêt pour son patrimoine, même si c’est en train de changer, surtout à downtown. Beaucoup de lieux historiques sont préservés, y compris les cinéma, comme le Hollywood Dome, ou le New Beverly, racheté et réhabilité par Tarantino. C’est toujours paradoxal quand on veut faire du tourisme cinématographique à Los Angeles : on est déçu de tomber sur des lieux délabrés ou disparus. D’autant que certains bâtiments, comme les villas de John Lautner que l’on voit dans les films de Brian De Palma, sont habités et donc uniquement visibles de loin.
Quel est le cliché le plus tenace sur cette ville auquel vous souhaitiez tordre le cou ?
Il faut savoir qu’en fait Los Angeles n’est pas vraiment une ville, mais plutôt une juxtaposition de plein de villes et de communautés, y compris d’un point de vue administratif. On dit Malibu pour parler d’un quartier de Los Angeles mais il s’agit d’une ville à part. Cela a des effets très concrets, puisqu’existent dans la ville des communautés très hétérogènes et même imperméables dans des quartiers très variés. Les autoroutes relient ces quartiers sans les pénétrer, et les récits prennent souvent comme prétexte un personnage qui est obligé de sortir de l’autoroute, pour rencontrer une communauté qu’il ne connaît pas du tout. Dans Chute libre, par exemple, on voit ce personnage qui pénètre dans le vrai Los Angeles, populaire et prolétaire, qui ira jusqu’à le rendre fou.
Vous citez le film Los Angeles Plays Itself, documentaire-somme sur la représentation de la ville au cinéma…
Oui, le film est passionnant, même si mon livre n’en est pas une adaptation et que certains éléments de mon ouvrage en sont absents. Étonnamment, Los Angeles Plays Itself parle beaucoup du film que Jacques Demy a tourné dans cette ville, Model Shop, et pas du tout des films qu’Agnès Varda a tournés au même endroit, dont Mur murs, alors que les films de Varda me paraissent plus intéressants pour évoquer la ville.
Autre dimension présente dans le livre : l’opposition, pas uniquement architecturale, entre New York et Los Angeles.
À New York, qui est presque une ville à l’européenne, on peut lire l’histoire dans les bâtiments, alors qu’à Los Angeles, on lit l’histoire du XXe siècle. Une histoire plus récente, plus factice. Ce qui est drôle, c’est que, dans beaucoup de films de science-fiction, le destin de Los Angeles est de devenir New York. L’exemple le plus connu est Blade Runner, où Los Angeles est peuplée de personnes qui marchent, faite de petites rues et de hauts immeubles, où la couleur dominante est le bleu et non l’orange comme habituellement.
Dans le cas d’un film comme Her, c’est encore différent : le film a été tourné dans beaucoup d’endroits, mais il y a surtout des images de Shanghai. Quand on voit une grande ville asiatique, il s’agit d’une mégapole très moderne et on ne peut pour autant pas l’identifier immédiatement – on peut donc croire que c’est à Los Angeles. Ce qui est drôle, c’est que le seul bâtiment connu de la ville qu’on peut reconnaître est le Walt Disney Concert Hall, dessiné par le regretté Frank Gehry. Un bâtiment tout en courbes, alors que Los Angeles est rempli d’immeubles à angles droits, fonctionnels, modernistes. Comme si toute la ville avait été contaminée par cette architecture, que l’exception était devenue la norme.
Dans bien des films, Los Angeles est montrée comme une ville de l’excès, une Sodome ou Gomorrhe moderne. En retour, les cataclysmes qui la frappent – dont le fameux tremblement de terre, The Big One, ou la pluie torrentielle – prennent eux aussi des proportions presque bibliques !
Au sujet de la pluie, il y a cette chanson d’Albert Hammond, It Never Rains in Southern California, qui reprend cette idée que Los Angeles est la ville ensoleillée par excellence et que, lorsqu’il y pleut, c’est presque un signe envoyé par les dieux… La pluie torrentielle de Chantons sous la pluie, la pluie de grenouilles dans Magnolia, ou même de requins dans Sharknado est effectivement une façon de punir Los Angeles et les Angelenos.
Quels films voir s’y on veut mieux découvrir Los Angeles par le biais du cinéma ?
Parmi les plus connus, Mulholland Drive me semble évident, aussi parce qu’il a inspiré une série de films (Maps to the Stars, Under the Silver Lake...) qui ne sont pas des cartes précises de la ville, mais plutôt une image mentale de ce que Los Angeles fait aux gens. Notamment ceux qui y viennent pour devenir des stars ; c’est l’histoire d’Une étoile est née, reprise dans des dizaines de films, remakes officiels ou officieux. Dans le cas de Maps to the Stars, ce qui est drôle est que le film a été presque intégralement tourné à Toronto, et ça ne se voit pas. Donc, “Los Angeles plays itself”, mais, bien déguisée, n’importe quelle ville plays Los Angeles aussi !
Je citerai aussi Once Upon a Time... in Hollywood, lettre d’amour au Los Angeles fantasmé d’avant l’assassinat de Sharon Tate, où la culture hippie apporte des ondes positives à Hollywood. Et puis Licorice Pizza, qui se déroule dans la vallée de San Fernando, où a grandi Paul Thomas Anderson. Enfin, bien sûr, un grand film sur la façon dont Los Angeles s’est construit : Chinatown. Film dans lequel on voit les champs et les fermes qui deviendront précisément cette vallée filmée par Anderson. Ce qui est amusant, d’ailleurs, c’est que les films font presque toujours débuter l’histoire de Los Angeles avec celle de Hollywood, alors que la ville existait bien avant Hollywood ! C’était une ville espagnole, avec son pueblo, qui a été très peu montré au cinéma. Une des seules œuvres à montrer cette version de la ville est la récente série française Zorro, ou Don Diego de la Vega devient le maire de Los Angeles.
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