Le 28 octobre 2025
- Réalisateur : Bong Joon-ho
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Disséquer l’œuvre de Bong Joon-ho pour mieux mettre en valeur sa richesse et sa cohérence : c’est ce que fait Erwan Desbois dans son ouvrage Bong Joon-ho, désordre social, qui vient de paraître aux éditions Playlist Society. Entretien avec l’auteur.
Faut-il encore présenter Bong Joon-ho ? Roi du pétrole depuis le carton planétaire et le tombereau de récompenses de Parasite, il est devenu l’un des cinéastes les plus courus de la cinéphilie mondiale. Pourtant, même avec un pied dans sa Corée d’origine et un autre chez les grands studios américains, Bong reste fidèle, film après film, à ses thématiques récurrentes et à son amour du cinéma de genre.
Disséquer l’œuvre de Bong Joon-ho pour mieux mettre en valeur sa richesse et sa cohérence : c’est ce que fait Erwan Desbois dans son ouvrage Bong Joon-ho, désordre social, qui vient de paraître aux éditions Playlist Society. Entretien avec l’auteur.
Le cinéma sud-coréen, y compris celui de de Bong Joon-ho, découle d’une histoire politique mouvementée, que l’on retrouve d’ailleurs en filigrane dans ces films. Quelle est-elle ?
Comme tout le monde, j’ai pris de plein fouet la vague du cinéma coréen au début des années 2000, avec Park Chan-wook, Bong Joon-ho... Tout d’un coup, on découvre ce nouveau pays qui n’existait pas sur la carte du cinéma. Quand j’ai commencé à écrire ce livre, je me suis posé la question : d’où venaient-ils, ces cinéastes ? En démêlant la pelote, je me suis rendu compte que c’était une histoire passionnante, où la politique et le cinéma sont très liés, dans ce pays qui n’est une république que depuis les années 1980 – voire réellement depuis les années 1990, si l’on compte la période de transition assez compliquée.
C’est seulement à ce moment que le cinéma s’est libéré : avant ça, la censure était extrêmement violente. Les réalisateurs qu’on a découverts dans les années 2000 étaient donc adolescents au moment de cette transition ; ils se souviennent de la dictature, de la censure, des retours réguliers de l’extrême droite coréenne. Tout cela a nourri leur cinéma : ce n’est pas uniquement une impression lorsqu’on voit un regard social dans leur cinéma, même sous la forme du polar voire du grand-guignol. C’est pour cela qu’ils font du cinéma, c’est leur manière de parler de leur expérience personnelle. D’autant que, quand ils ont grandi, il n’y avait pas de cinéma coréen, ils ont été les premiers à en faire.
Comme vous le montrez bien dans votre ouvrage, la lutte des classes et les thématiques sociétales sont omniprésentes dans le cinéma de Bong. Mais dans un style maximaliste très éloigné du cinéma social tel qu’on le pratique en Europe.
Quand on entend « cinéma social », on pense souvent à Ken Loach, aux frères Dardenne, à quelque chose de très réaliste : caméra à l’épaule, qui suit tout ce qui se passe, sans aucun surmoi par rapport au réel. L’action et la réaction au poids du monde.
Chez les Coréens, Bong en particulier, il y a cela mais ce sera beaucoup plus explosif. Il y a toujours la fatalité mais aussi quelque chose de comique qui ramène finalement à la comédie noire qu’on a aussi eue en Europe, mais qui a été supplantée par le cinéma social. Si on repart quelques décennies en arrière, la comédie italienne des années 1960-1970 parlait déjà de ces milieux très pauvres, sur un ton bien plus grinçant et brutal. Il y avait aussi Claude Chabrol qui parlait de la lutte des classes, de l’exploitation des pauvres par les riches, mais de façon plus mordante, maligne.
Ce genre qui s’est progressivement effacé en Europe, on le retrouve à présent sur un autre continent. C’est aussi dû au fait que ces luttes sont encore très bouillonnantes en Corée, alors que chez nous, elles se sont individualisées ; il est plus dur de mobiliser dans des sociétés cristallisées en toutes petites unités. Chez Bong, il y a encore cette idée que cette lutte peut devenir générale et englober toute une classe et un groupe. Elle ne fonctionne pas toujours mieux, mais est portée par un élan plus fort.
Comme dans les comédies italiennes que vous citez, il y a chez Bong ce refus du manichéisme, des lignes clairement tracées.
Je cite dans le livre Affreux, sales et méchants parce que le titre colle tellement bien à l’œuvre de Bong Joon-ho, mais j’aurais pu en citer d’autres ! Comme dans ces comédies italiennes, son humour part du constat que personne n’est à sauver, il n’y a ni héros ni martyrs. Pas de bons et de méchants, juste des personnes qui essayent de lutter contre les malheurs qui leur arrivent. Tout le monde est faillible, il n’y a pas de misérabilisme, donc on peut rire de tout.
Si on prend un peu de recul sur ces personnages, ils passent leur temps à rater ce qu’ils entreprennent. C’est aussi la définition du tragique : vouloir viser haut et échouer. Bong, lui, décide de traiter cette impuissance humaine par le rire, plutôt que d’en pleurer. Cela dit, il n’est jamais dans la moquerie ou le surplomb : il rie avec plutôt que de ses personnages, qui nous renvoient aussi à nos propres faiblesses.
Vous comparez aussi Bong Joon-ho à Paul Verhoeven, pour sa capacité à mettre en scène de gros films de studio qui sont par ailleurs de puissantes charges satiriques.
Bong Joon-ho prend ce que le film de genre sait faire de mieux – nous offrir un pur divertissement, nous emmener dans un autre monde – et l’ancre toujours dans la réalité. Dans des mouvements profonds (sociaux, économiques) et des tragédies humaines qu’on reconnaît.
Il arrive emboîter ces divers éléments comme le faisaient les plus grands. Pour moi, le lien avec Verhoeven est évident puisque ce sont deux cinéastes insaisissables d’un film à l’autre ; ils font des films très différents et suivent toujours un fil directeur très clair. L’un et l’autre sont passés d’un genre à l’autre, d’un pays à l’autre, toujours en apportant leur propre bagage.
Selon vous, Mickey 17 synthétise nombre des marottes et obsessions de Bong Joon-ho présentes dans ses précédents films. Il s’agit aussi de la première fois que son héros parvient à s’émanciper, plutôt que d’échouer à son point de départ. Est-ce une page qui se tourne pour le cinéaste ?
C’était passionnant de voir Mickey 17, avec tous ces petits détails qui rappellent les films précédents du cinéastes : les créatures évocatrices de The Host et Okja, la tempête de neige permanente et les personnages pris en huis clos de Snowpiercer, la séparation des classes de Parasite... Cette impression de grand film-somme, effectivement.
Et puis, en effet, ce dernier acte qui était comme une continuation du final de Snowpiercer, s’achevant sur une porte qui s’ouvre, sans qu’on sache trop sur quoi cela débouche. Là, Bong nous montre un monde nouveau, et choisit d’en faire un monde optimiste. On peut y voir de la naïveté, on peut le rejeter, mais pour moi ce happy end n’est pas uniquement mécanique ou commercial. Il est plus profond que cela, et est surtout redoublé par la dernière réplique du film : « J’ai le droit d’être heureux. » C’est très fort, de la part d’un personnage qui a beaucoup à voir avec les précédents personnages de Bong. Quand eux avaient plutôt tendance à se recroqueviller dans leur coin pour survivre jusqu’au lendemain, il y a là ce saut dans le vide, ce « leap of faith » voulant qu’il n’y a pas le choix. Il faut affirmer qu’on a le droit d’être heureux et qu’on peut construire un autre monde. Est-ce quelque chose que Bong Joon-ho va poursuivre dans ses prochains films ou reviendra-t-il à quelque chose de plus fataliste ? Ça reste à voir. En tout cas, j’ai trouvé cela très fort de sa part.
Mickey 17 a été un échec pour la Warner. Est-ce la fin de Bong Joon-ho à Hollywood ? Peut-on lui imaginer une carrière de cinéaste « itinérant » à la Kore-eda ?
Effectivement, le film n’a pas bien marché. Il a été tellement repoussé, décalé, baladé dans les calendriers de sorties que la Warner n’y croyait sans doute plus vraiment et s’est dit qu’il fallait finir par le sortir... Pour autant, je ne sais pas si cela pèse vraiment sur Bong, puisqu’il n’a jamais hésité à faire des allers-retours entre des pures œuvres coréennes et des films plus mondialisés. Je crois qu’il fonctionne à l’opportunité : après Parasite et ses nombreux prix, notamment aux Oscars, il a eu la possibilité de revenir à Hollywood alors qu’Okja avait été un échec pour Netflix. À Hollywood, la porte vous est toujours ouverte si vous sortez d’un succès ! Quoiqu’il en soit, il n’a plus rien à prouver : il a eu la Palme d’or et connu des succès mondiaux. On en revient là encore à Verhoeven : les films hollywoodiens de ce dernier sont devenus culte mais n’avaient pas été des gros succès, et ce cinéaste a réussi à ne pas se compromettre en tournant des suites ou des films de yes man.
Propos recueillis par Robin Berthelot
Date de publication : 23 septembre 2025
14 x 18,3 cm - 128 pages
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