Le 17 octobre 2025
- Réalisateur : Stéphane Demoustier
- Distributeur : Le Pacte
- Festival : Festival de Cannes 2025
– Sortie en salle : 5 novembre 2025
Rencontré au Film Fest Gent de Gand, Stéphane Demoustier lève un coin du voile sur son dernier opus et évoque les convergences entre architecture et cinéma.
Remarqué pour ses films La fille au bracelet et Borgo, Stéphane Demoustier revient avec L’inconnu de la Grande Arche. Le récit dantesque du monument éponyme construit dans le quartier parisien de la Défense mais aussi et surtout celui du destin tragique de l’architecte danois qui en dessina les plans : Johan Otto von Spreckelsen. Rencontré au Film Fest Gent de Gand, Stéphane Demoustier lève un coin du voile sur son dernier opus et évoque les convergences entre architecture et cinéma.
Lorsque vous avez découvert le livre de Laurence Cossé, La Grande Arche, vous êtes-vous dit d’emblée que vous aimeriez l’adapter au cinéma ?
J’ai découvert le livre peu après sa sortie, à une époque où je faisais des films d’architecture pour gagner ma vie, et je me suis tout de suite dit que cela pourrait faire un film. Mais, à l’époque, les droits étaient pris, c’est plus tard qu’ils sont redevenus libres.
Ce qui m’a intéressé dans le livre, c’est ce personnage romanesque, captivant, d’architecte de la Grande Arche : Johan Otto von Spreckelsen. On a assez peu d’informations sur lui, c’est un énorme point aveugle dans le livre – ce qui attisait d’autant plus ma curiosité. Je me suis dit : « Tiens, on pourrait faire un film autour de ce mystère, et de ce destin particulier entré en collision avec son époque. » C’était le moment de la première cohabitation gouvernementale, de l’avènement d’un ordre libéral qui est celui que l’on connaît toujours aujourd’hui. Spreckelsen a enduré dans sa chair ce point de bascule, ce qui n’est pas commun.
Pour moi, il y avait là matière à un film avec des enjeux assez vastes, et des enjeux de cinéma. Parce que, dès qu’on parle d’architecture, on parle rapidement d’esthétique, de politique – de sujets qui intéressent le cinéma.
Le livre est original en ce qu’il tient à la fois du roman et de l’essai, et entre même parfois dans des considérations assez techniques. Comment démêler tout cela pour en faire un scénario de cinéma ?
Pour certains livres, l’adaptation est évidente puisqu’il y a déjà les personnages et la dramaturgie. Dans celui-ci, il y avait une esquisse de personnages mais on ne trouvait pas de dramaturgie : donc le livre m’a surtout servi d’étincelle et surtout, ensuite, de base de données. Dans le film, j’ai fait en sorte de respecter la vérité du chantier, des soubresauts politiques ; tout cela était très bien documenté dans le livre, qui a une vraie valeur documentaire. Ensuite, pour la création du personnage éponyme, et pour la dramaturgie, il y avait presque tout à faire.
J’ai pris le parti, par exemple, de raconter uniquement la période qui s’écoule entre le début du concours et la mort de Spreckelsen, là où le livre allait jusqu’à la construction de l’Arche. Je voulais bâtir mon film depuis ce point de vue.
Le changement de titre entre le livre et le film est révélateur.
Oui : c’est "L’inconnu de la Grande Arche" qui m’intéresse, le destin de ce type. Dans le livre, c’est l’arche elle-même le personnage principal – mais je trouvais cela trop impressionnant. Cela ne veut pas dire que le livre de Laurence Cossé est moins bien, simplement que ce sont des projets différents. Pour un projet de cinéma comme le mien, il me semblait essentiel que cette histoire s’incarne dans un être humain.

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Vos films partent souvent d’un matériau préexistant : livre, film, fait divers. Comment partez-vous de ceux-ci pour écrire vos scénarios ?
Cela dépend vraiment d’un film à l’autre. Là, par exemple, je viens de terminer le tournage de La chaleur, adapté d’un livre de Victor Jestin. Les personnages et la dramaturgie étaient déjà dans le livre, donc le travail n’était pas du tout le même que pour La Grande Arche.
Pour La fille au bracelet, c’est un cas encore différent : un producteur français avait les droits d’un film argentin, Acusada, et voulait en faire une adaptation française. C’était une proposition inhabituelle, mais j’ai accepté. J’ai lu le scénario original – une fois, presque par politesse ou curiosité – mais je savais d’emblée que je prendrai un parti spécifique : je savais qu’on ne raconterait jamais cela du point de vue de la fille, mais de ceux qui l’entourent, en particulier ses parents. Mon producteur a accepté et j’ai écrit mon scénario à partir de ça, sans relire celui d’Acusada. J’étais jeune père à l’époque, et je voulais faire un film sur le mystère que sont les enfants pour leurs parents. La "substantifique moelle" des deux films est commune, mais tout le reste est différent.
Les œuvres préexistantes ou les faits divers créent, selon moi, une étincelle, un désir d’investir une histoire. Ce sont, parfois, des accélérateurs, comme pour La Grande Arche, où j’avais une masse d’informations dans laquelle je pouvais piocher à discrétion. Mais, que j’écrive à partir de rien ou d’un livre, j’ai l’impression qu’il faut s’approprier la sujet, le ramener à soi. C’est ce qui fera la singularité du film.
Vos distributions sont souvent éclectiques. Si l’on prend l’exemple de Borgo, Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Michel Fau ou Pablo Pauly sont des interprètes qui évoluent dans des "recoins" différents du cinéma français.
C’est plus simple que cela : si je vais voir un acteur connu, il faut que j’ai à lui proposer quelque chose qu’il n’a pas fait. Que ce soit pour un registre ou un rôle qu’il n’a pas exploré, et qu’il ait quelque chose à gagner.
Michel Fau, par exemple. Je lui avais dit pour Borgo : « Ce qui m’intéresse, c’est que vous ne fassiez rien. » Ne rien faire, c’est déjà faire quelque chose, et je voulais qu’il soit d’une sobriété totale. Je l’adore quand il chante et joue au théâtre, mais, pour ce rôle, ma référence était Bourvil dans Le cercle rouge. Bourvil, quand il joue Mattei dans ce film, ne fait rien mais il est génial. Michel Fau adore la partition de Bourvil, donc cela l’amusait d’essayer. Au début, je lui disais d’en faire encore moins. Lui me répondait : « Encore moins ? C’est possible ? » Et il y est allé, parce que c’est un immense acteur, et parce que, même quand il ne fait rien, c’est plein de relief et qu’il y a toujours quelque chose de malicieux qui transparaît.
Pareil pour Claes Bang dans L’inconnu de la Grande Arche. Je ne peux pas dire que je le connaissais assez pour savoir s’il avait déjà tenu un rôle comme celui-ci, mais je me disais que peu de Danois avaient, comme Spreckelsen, connu un destin international. Donc cela me paraissait logique d’avoir un acteur danois ayant une carrière internationale. Et je voyais en quoi ce film franco-danois pouvait l’intéresser, après plusieurs gros films qu’il avait tournés.
Dans L’inconnu de la Grande Arche, vous emmenez Michel Fau dans une direction encore différente…
Quand j’écrivais, je rêvais de Michel Fau pour le rôle de François Mitterrand. J’avais l’impression qu’il aurait suffisamment d’intelligence pour s’attaquer à ce rôle et faire croire qu’il était Mitterrand. On s’est dit très vite qu’on ne ferait ni une parodie, ni une imitation, mais une évocation de Mitterrand. Il avait envie de ça, et je savais qu’il trouverait quelque chose de l’aura, de l’énergie – ou la non-énergie – de Mitterrand dans son rapport à l’autre.

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Et lorsque vous travaillez avec un acteur qui est aussi réalisateur, comme Xavier Dolan, votre collaboration est-elle différente ?
Elle n’est pas différente de mon côté, mais quelque chose était aussi impulsé du sien. Je n’ai pas vraiment de règles dans ma manière de travailler avec les acteurs. Il y en a que je dirige beaucoup, d’autres avec qui je répète – et d’autres pas. Dolan ne m’a jamais dit « Je suis réalisateur, je sais comment ça marche, etc. » J’ai vu qu’il comprenait très bien ce qu’on faisait, quel plan on allait faire. Certains acteurs ne demandent jamais quel plan on va faire, et lui le faisait : il voulait savoir comment j’allais filmer, pour avoir une compréhension plus générale de ce qu’on faisait. Il avait surtout une vraie innocence à regarder, à constater ce qu’on faisait, et à jouer. Dolan a un vrai goût du jeu, il adore faire des propositions très tranchées.
Les lieux où se déroulent vos longs-métrages sont souvent des lieux de pouvoir, de friction : un tribunal, une prison, les couloirs du pouvoir politique… Est-ce un choix conscient de votre part ?
Non, même si je sais que ce sont des théâtres de situations forcément paroxystiques. En prison, les personnes sont en situation de détresse, donc ce sera propice à des dramaturgies assez fortes. Le tribunal, lui, est un lieu très impudique, où tout est décuplé ; si on est ici, c’est que la ligne a été franchie.
Parfois, le lieu paraît évident, comme pour La fille au bracelet : c’est l’histoire d’une jeune fille accusée d’avoir tué sa meilleure amie, donc cela se jouera forcément là. Et j’aime choisir des lieux qui font écho à l’histoire et racontent quelque chose. La fille au bracelet, je crois, puise sa force cinématographique dans ce tribunal et l’architecture de celui-ci. Pareil pour L’inconnu de la Grande Arche : à un moment, il fallait que le chantier existe, et il deviendra d’un coup un événement visuel.
Vous avez également travaillé pour la télévision. Votre rôle y est-il différent ?
C’est très différent, oui. La différence principale est que, pour les deux séries sur lesquelles j’ai travaillé (L’Opéra et Cimetière indien), je n’en avais pas été l’initiateur, je ne les avais pas écrites. Je m’investis pleinement là aussi, mais je ne suis jamais aussi libre que quand je fais un film de cinéma. Il n’y a pas de position plus confortable, je peux expérimenter beaucoup plus de choses ; le film de cinéma appartient à son auteur.
Cela dit, travailler sur une série me permet d’expérimenter des choses que je ne testerais pas sur mes films, et parfois de dépasser certaines de mes idées reçues. Surtout que je n’ai pas fait d’école de cinéma, et que j’ai beaucoup appris en m’exerçant. Sur une série, les délais sont plus resserrés, on doit tourner bien plus chaque jour. On a moins de temps sur le plateau et il faut donc être bien mieux préparé. Tourner quatre ou cinq scènes par jour et prendre rapidement les bonnes décisions est un très bon atelier, c’est très stimulant.
Propos recueillis par Robin Berthelot
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