Le 15 juin 2025
- Scénariste : Tobi Dahmen>
- Dessinateur : Tobi Dahmen
- Genre : Historique
- Editeur : Robinson
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 23 avril 2025
Résumé : Utrecht, Pays-Bas, de nos jours. On découvre Tobi Dahmen, en retard, avant de faire un retour dans le passé, à Düsseldorf, sur la Columbusstrasse où vit la famille Dahmen dans les années 1930. On y rencontre une famille de catholiques patriotes, un père avocat, de jeunes enfants. Les deux fils aînés seront bientôt envoyés au front. Le plus jeune, Karl-Leo, se trouvera ballotté au gré de l’avancée de la guerre, entre famille éloignée, amis, accueils, pour sa propre protection. C’est le père de l‘auteur. C’est le début d’une chronique familiale de dix ans, de l’arrivée au pouvoir d’Hitler à la capitulation allemande, où l’on suit la famille de Tobi Dahmen. Bien au-delà du récit familial, on observe en arrière-plan les conséquences de la guerre sur la ville, sur l’emploi, la famille, les voisins... Justement, le récit suit également, à l’autre bout de l’Allemagne – ils vivent à Breslau, dans l’est du pays, non loin de la Pologne – la famille maternelle de l’auteur, les Funcke, dont le père a obtenu avant la guerre un poste haut placé, dans une usine de boulons qui se retrouve dédiée à l’effort de guerre. Le travail ne manque pas. La famille voit venir avec joie une jolie promotion et l’appartement qui va avec. En revanche, il n’y a plus de lumière chez les voisins, des juifs qui ne semblent plus vivre ici. Personne ne les a remplacés dans immeuble. Deux milieux sociaux différents, deux familles à la fois spectatrices et actrices du conflit. Tobi Dahmen a ainsi voulu écrire la vie de ses ancêtres durant les années de guerre.
Critique :Après quatre ans de recherches à travers les témoignages de sa famille – il a par exemple interrogé et enregistré son père lors d’un long voyage en train vers Dresde – mais également dans les archives familiales, les lettres intimes, les photos, les documents officiels, Tobi Dahmen livre les fruits d’un très impressionnant et émouvant travail de recherches. Au delà du souvenir personnel, il aborde la grande Histoire, mais aussi la notion de responsabilité et le sujet de la blessure collective. Une chronique super-documentée des années nationales-socialistes en Allemagne.
Le trait, tout en lavis de noir et blanc, laisse de coté les fioritures qui gêneraient la lecture, pour conserver toute sa place au récit. Le tout pour un ensemble très sombre.Le découpage est loin d’être monotone : on trouve certaines planches « muettes » de seul dessin, à la narration silencieuse et poignante, des représentations monumentales en pleine page, destinées à mettre en valeur un bâtiment (page 36) ou un instant volé du quotidien (page 116), ou encore à figer le drame (encore la double-page d’exil 432-433 ou la Wesel bombardée des pages 472-473). Le trait est simple et le dessin peut sembler à première vue naïf, mais il vient en réalité alléger la grande dureté du récit.
Cette histoire, longue de 528 pages, est justement extrêmement dense, les acteurs très nombreux, et l’ambiance si immersive qu’elle en devient parfois oppressante. Une lecture exigeante, qui demande beaucoup d’attention. Prenez le temps de vous en imprégner, comme vous le feriez d’un ouvrage d’histoire ou d’une biographie un peu touffue. D’autant que le livre est très lourd physiquement, quasiment 1 kilo et demi, ce qui rend la lecture peu aisée.
Un certain nombre d’annexes complète l’ouvrage, comme l’arbre généalogique illustré – plus qu’utile devant le nombre de protagonistes – de chaque famille, à l’intérieur de chacun des deux rabats du livre. En sus, à la fin de l’ouvrage, un dossier comprenant 15 pages très denses de glossaire, 4 pages de sources des images et des textes, encore une page de sources pour le glossaire, et enfin une page de bibliographie.
Les récits portant sur la Seconde Guerre mondiale sont légion. Beaucoup sont d’ailleurs très bien documentés. Il n’est pas rare non plus d’en trouver qui s’appuient comme ici sur des souvenirs personnels. Est-il besoin de rappeler quel monument est le Maus d’Art Spiegelman ? Mais ces récits s’articulent souvent autour du souvenir des victimes extérieures au régime nazi, rarement le point de vue est-il placé du coté des Allemands. Rarement la souffrance allemande est mise en perspective. Comme si une telle démarche était quasiment indécente. Il existe néanmoins quelques exemples : La trilogie Le Siècle de Ken Follett, et certains ouvrages de Bernhard Schlinck. Plus récemment, La Rose Blanche de Jean-François Vivier, un des très rares ouvrages à aborder la Résistance allemande. Récemment toutefois, une nouvelle génération d’auteurs allemands explore le prisme de leur pays. On peut citer ici le Lebensborn d’Isabelle Maroger (Bayard Graphic, 2024) ou L’Expert de Jennifer Daniel (chez Casterman), L’Odeur des pins, ma famille et ses secrets de Bianca Schaalburg (chez l’Agrume). Avec ce dernier ouvrage, l’autrice allemande couvrait ainsi une période de près de 40 ans à partir de la guerre.

- Tobi Dahmen / Robinson pour l’édition française
Les Allemands aussi ont souffert d’une guerre à laquelle ils ont dû participer malgré eux. Pouvaient-ils la voir venir quand on leur assurait la paix ? Étaient-ils au courant des exactions commises à l’est ? Pouvaient-ils résister au régime quand ils avaient eux-même des enfants à protéger ?
L’auteur réalise d’ailleurs, en croisant les récits de ses parents avec ses propres recherches et certaines archives familiales, que rien n’est aussi noir et blanc qu’on voudrait l’enseigner. Tout s’étire plutôt sur une longue nuance de gris, souvent sombre. Il lit, par exemple, que son grand-père, fortement opposé aux exactions nazies, reste, comme le milieu catholique de l’époque qu’il représente bien, un nationaliste pétri de préjugés parfois violents envers la population juive.

- Tobi Dahmen / Robinson pour l’édition française
La disparition imminente des derniers témoins de la guerre, avec la génération de nos grands-parents, rend urgente la collecte des derniers souvenirs. L’auteur a interrogé son père, puis plus tard sa mère. La mort de ses parents le pousse à ne pas garder ces histoires pour lui. Tobi Dahmen avoue d’ailleurs regretter de ne pas avoir pu leur poser certaines questions. Il encourage d’ailleurs chacun à explorer tant qu’il en est temps l’histoire de sa propre famille.
L’œuvre globale de Tobi Dahmen est teintée d’autobiographie. Il est déjà l’auteur en Allemagne de Fahrradmod (Carlsen Comics, 2019), un roman graphique autobiographique sur son adolescence dans la petite ville de Wessel, imprégnée de musique ska et des contre-cultures britannique Ods, Skinnead et Scooterboy. Il aborde leur porosité fluide et dangereuse avec d’autres mouvements plus sombres des années 90. Un livre sur le passage à l’age adulte et l’amour de la musique.
528 pages – 29,99 €
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Galerie photos
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