Le 9 août 2017
A quoi ressemblait le cinéma en 1987 ? Analyse des sorties entre juin et août de cette année, films de genre (horreur - érotisme), films d’auteur, et la catastrophe d’un cinéma français qui se mourrait ! On vous dit tout, chiffres à l’appui.
LES CRITIQUES DES FILMS SORTIS EN 1987
L’heure est à la (dé ?)contraction pour tout le monde car honnêtement, c’est la crise au cinéma, et les exploitants, qui ferment les uns après les autres, ne s’attendent à rien d’autre qu’à une nouvelle calamité. Il faut dire que les abonnés de Canal + grimpent, la VHS est au beau fixe, et les salles sont plongées dans un désarroi sans précédent. Ils sont dans le doute quant aux programmes à montrer, car rien ne marche plus de façon consensuelle.
L’on se concentrera sur les chiffres parisiens, les seuls vraiment signifiants à cette époque où la province est la reine des continuations, victime d’un décalage temporel entre l’exploitation parisienne et l’arrivée des bobines au village.
L’été 87 est celui du cinéma de genre et des auteurs. Pour ces derniers, certains vont se la couler douce tout au long de l’été, grâce à un bouche-à-oreille qui a commencé longtemps avant, dès le printemps pour certains, comme l’increvable Le Grand Chemin, avec Anémone et Richard Bohringer, toujours dans le top 14, après 23 semaines d’exploitation, et Les Enfants du silence (565.000 entrées en 24e semaine), romance à Oscars entre un prof et une jeune femme muette. On citera aussi les films cannois, comme Radio Days de Woody Allen (hors compétition sur la Croisette, 416.000 entrées à la fin de l’été, un carton), ou Good Morning Babilonia des frères Taviani qui, fin août, célèbrent leur 16e semaine d’une exploitation forte de 228.000 spectateurs. Robert Altman, lui, accède aux 100.000 avec difficulté grâce à Beyond Therapy.
Les films d’auteur ne sont toutefois pas légion, et en juin, on remarque le tandem Bruel Jean Yanne dans Attention Bandits qui en 13 semaines, réunit 224.000 spectateurs. Parmi les films les plus commerciaux de Lelouch, le polar avait pris la tête du B.O. au début de l’été, avec 88.019 entrées Paris Périphérie.
Autre auteur naissant, Patrice Leconte. Après les comédies populaires comme Les Bronzés, Leconte devient un cinéaste à suivre en gagnant en maturité. Tandem, avec Rochefort et Jugnot, met le public et les critiques d’accord, avec 230.000 entrées sur tout l’été et un bouche-à-oreille remarquable. Pour la petite histoire, en première semaine parisienne, il se classait 2nd, derrière la franchise des Freddy, mais il doublera le score de Freddy 3 en fin de carrière !
Du côté du cinéma de genre, l’heure est donc à l’horreur : Freddy 3 est le grand gagnant (660.000 entrées sur toute la France), mais Evil Dead 2 est aussi un carton en soirée (548.000/France). Le sequel dépasse le score de son prédécesseur, fort d’une belle régularité, et dépasse sur la capitale la barre symbolique des 100.000 entrées Paris Périphérie, ce qui était toujours énorme pour un film d’épouvante. En première semaine, il avait démarré à 33.000 franciliens, et s’était bien stabilisé pour en arriver-là. Street Trash, produit gore et underground, fait illusion lors de sa première semaine à 20.000 clochards intoxiqués. Histoires Fantastiques, anthologie à la Creepshow issue d’une série télé produite par Spielberg n’attire personne (même pas 40.000 curieux). Le Romero, en 1983, avait dépassé les 120.000 aisément.
Un seul film de vampire pour l’été, gratifié d’un visuel de l’illustrateur Melki, Central Park Driver, se mord les dents et sort de route dès la première semaine (6.080 passagers). Un giallo tente de faire revivre le genre, jadis sollicité par le public, mais Où est passée Jessica ?, avec en tête d’affiche un mannequin découvert lors d’une pub pour dentifrice « ultra-brite », ne dépassera jamais les 20.000 nostalgiques. Il faut dire que la qualité n’y était pas.
Genre en soi, la production Cannon fait fort avec Les Barbarians et Le Ninja Blanc. Les premiers empêchent Sam Raimi de s’emparer de la tête pendant 15 jours, et approchent les 160.000 parisiens en fin de cycle. Le Ninja Blanc sera l’ultime succès du duo Sam Firstenberg/Michael Dudikoff en France, avec plus de 150.000 cabotins sur Paris et 823.000 amateurs d’arts martiaux sur toute la France. Respect. Dans le genre kung-fu, timide sortie pour Police Story de Jackie Chan, sous l’égide de René Chateau (50.000).
Des nanars en vrac pour Cannon Films, Mon aventure Africaine, film pour enfants légèrement raciste (sic), nullissime, touche le fond (le navet entre en 5e position à Paris avec… 11.000 entrées !). La collaboration avec Bud Spencer, sans Terence Hill, Alladin vire au désastre (50.000 parisiens). Rebel, romance sur fond de guerre avec Matt Dillon est aux oubliettes dès la première semaine, La Rue de Jerry Schatzberg avec Christopher – Superman – Reeve, était une tentative ratée pour Golan Globus d’avoir des prétentions cannoises.
Genre en soi, le cul était omniprésent dans les salles. Il apparaissait sous toutes les formes. Celle du prétendu film d’auteur, on citera, distribués cet été-là, Une épine dans le cœur, de Lattuada, avec le fils Delon, Mon bel amour, ma déchirure de José – Paroles de flic – Pinheiro, ou encore Une Flamme dans mon cœur, film suisse d’Alain Tanner (37.000 parisiens). Bide sur bide ! Aldo Lado livrait aussi un polar déshabillé avec Fiona Gélin, Scirocco. La Gélin, comme la Guérin deviennent adulée dans le monde par les amateurs de pin-up frenchy. C’est au moins cela de gagner pour elles !
Le plus chaud de l’été, cela reste quand même La Bonne de Salvatore Samperi , avec Florence Guérin. Le film bouscule le sommet du box-office le temps d’une semaine, et pervertira plus de 70.000 parisiens. Cette Bonne à tout faire était un cadeau… Cannon ! A côté, le film érotique soft de Giovanni Soldati, Plaisirs de femmes, avec Stefania Sandrelli, a eu beaucoup plus de mal puisqu’il finit sa carrière autour des 10.000 coquins. En fait les Français ont préféré voir Sandrelli habillée, aux côtés de Fanny Ardant et Noiret dans La Famille, le très bon film, de Ettore Scola, qui dépassait les 500.000. Mais ça, ce n’était pas du cul, mais du grand cinéma d’auteur bien comme il faut.
On n’oubliera pas de mentionner le hard, le porno, qui s’immisçait chaque semaine ou presque dans le top 20. Les succès classés X de l’été ont pour titres : Esclaves sexuels sur catalogue, Plaisirs jouissances, Obsessions anales, Doubles introductions anales et surtout Sodo Punitions, largement au-dessus des 10.000. Le genre est toutefois en voie de disparition.
En fait, en y pensant bien, le vrai succès « sexuel » de l’été est une reprise de Woody Allen, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe … qui s’est exposée tout l’été pour finir au-delà des 100.000 nostalgiques. Tous des obsédés, ces intellos ?
Les reprises étaient légion à cette époque estivale, où l’on n’osait plus sortir de films dits de qualité. Pour combler les carences en VHS et les absences à la télé, pour répondre aux frustrations des cinéphiles, on ressortait à-tout-va : rien que cet été-là, on notera, outre le Woody Allen, le retour d’Indiana Jones et le temple maudit, Les Vacances de M. Hulot, Un Tramway nommé désir, On ne vit que deux fois, Les Dieux sont tombés sur la tête (pour répondre à la sortie désastreuse du film de caméra cachée inspirée des Dieux, A-dieu les anges), La Belle au Bois dormant, Chinatown, Retour vers l’enfer, Gandhi, Papillon, Amadeus, Le Dernier Nabab, The Shanghai Gesture, Les proies, Violence et passion, Vol au-dessus d’un nid de coucou, Baby Doll, Dersou Ouzala, Gatsby le magnifique, Le Guépard, et même le récent Recherche Susan Désespérément, sorti seulement deux ans plus tôt, mais repris avec succès pour profiter de la première venue en France de Madonna, avec son Who’s That girl Tour. La chanteuse était l’obsession médiatique française durant l’été 87, numéro 1 avec La Isla Bonita, deuxième avec le titre Who’s that girl, et classant 4 albums dans le top 10, squattant même les deux premières places lors de sa venue pour une date qui battait un record d’affluence, avec un public de 130.000 fans au Parc de Sceaux. Jacques Chirac, Catherine Deneuve et Stallone, présents sur place, ne s’en sont jamais remis.
Au milieu de tous les films d’exploitation, mentionnons encore le sous Mad Max Osa, ou le film d’aventures avec soupçon de cannibales La Loi de la Jungle, tous deux sous les 10.000, et enfin le film du jadis grand Stuart Rosenberg, 6 hommes pour sauver Harry, avec notamment Robert Duvall Michael Schoeffling, Glenn Frey et Gary Busey, méga four…
Mais où se cachaient donc les blockbusters ? L’époque estivale française n’y était pas propice, et c’est au mois d’août qu’on les retrouve : L’Arme Fatale 1, Predator 1 et Le Flic de Beverly Hills 2, seront les vrais succès de l’été, avec, là on se lance dans les chiffres nationaux, comme gagnants, Eddie Murphy (2.409.000 entrées), le duo Mel Gibson Danny Glover finissant à 1.857.000 entrées, et Schwarzy à 1.480.000. Extrême Préjudice de Walter Hill, avec Nick Nolte, est un lourd échec au box-office, avec 30.000 entrées Paris pour ce western violent. Le cinéaste rebondira l’été suivant avec Double Détente, avec Arnold Schwarzenegger et James Belushi, peut-être d’ailleurs, son ultime succès personnel.
Si les gros films américains prennent largement la domination de la production française, le barrage est évident dans les comédies. Durant l’été 87, les Américains lançaient aussi Une chance pas croyable avec Bette Midler (désastre), Tin Men, avec Danny de Vito, Pie Voleuse avec Whoopie Goldberg (flop), Soul Man avec C. Thomas Howell dans lequel un ado se déguise en noir (ça a plutôt marché), l’indépendant Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme avec Melanie Griffith (pas trop mal), le remake de La Petite boutique des horreurs, la comédie yuppie Le secret de mon succès d’Herbert Ross avec Michael J. Fox (tous les Français ont fui)… Même si la plupart de ces divertissements ont fonctionné outre-Atlantique, en France, la mondialisation des goûts n’était pas encore passée par là, et l’on snobait l’humour yankee. Les exceptions, Eddie Murphy et surtout la saga increvable des Police Academy, qui déposait son étron annuel, chaque été, avec une stabilité dans la fréquentation qui ne se démentait pas. En 1987, le numéro 4, Aux armes citoyens ! fut l’ultime segment de la saga de 7 films, à dépasser le million sur toute la France. Signalons aussi la sortie du premier Tim Burton, Pee Wee’s Big Adventure, film désormais culte, qui est parvenu aux 110.000 curieux sur Paris, face à un personnage atypique peu aisé à imposer à notre culture.
A côté le divertissement franchouillard mourrait. Luis Rego, désormais réalisateur, tentait avec Poule et frites de redorer le blason du Z, avec Anémone et Galabru à ses côtés, mais il ne dépassera jamais les 100.000 sur Paris et les 500.000 en France ; le nanar drôlissime Les Oreilles entre les dents connaissait un parcours encore plus dur. Le film de Patrick Schulmann , avec Fabrice Luchini et Jean-Luc Bideau demeure encore aujourd’hui une curiosité rare pour les amateurs de bis. La Petite Allumeuse avec Roland Giraud n’allume personne (34.000 entrées Paris, pour une comédie distribuée par Cannon France).
Du côté du polar, La Brute, tentative ratée d’imposer Xavier Deluc, vu jadis chez Max Pécas, se solde par un échec (50.000 tickets sur Paris). Heureusement, Agent trouble, avec Deneuve, Bohringer et Arditi, est un beau succès pour Mocky, qui dépasse les 680.000 entrées France. Un Miraculé de cet été meurtrier. Mais bon, il n’y a pas à dire, ces deux thrillers hexagonaux n’avaient pas la classe de The Big Easy, le flic de mon cœur, de Jim McBride, avec Ellen Barkin et Dennis Quaid, qui finissait, tout indépendant qu’il était, en beauté, à 50.000 amateurs de films noirs.
Conclusion, commercialement décevant, cet été 1987 ne propulsera qu’un seul film dans le top 10 annuel, Le Flic de Beverly Hills 2, en 9e place annuelle. Pour mémoire, voici le top 10 annuel :
1 Crocodile Dundee : 5.867.000
2 Le Dernier empereur : 4.727.000
3 Au revoir les enfants : 3.488.000
4 Le grand chemin : 3.175.000
5 Platoon : 2.977.00
6 La Bamba : 2.752.000
7 Les incorruptibles : 2.459.000
8 Les enfants du silence : 2.422.000
9 Le Flic de Beverly Hills 2 : 2.409.000
10 Full Metal Jacket : 2.321.000
Effet de la crise du cinéma : en 1982, les salles françaises avaient attiré 201.930.000 spectateurs. En 1987, la crise est telle que l’on a chuté à 136 millions. L’hémorragie se poursuivra jusqu’en 1992 où l’on atteint le seuil critique de 116 millions d’entrées sur l’année. Il faudra attendre 1993 pour revoir un premier rebond, notamment grâce aux Visiteurs, Aladdin et Jurassic Park. Le cinéma aujourd’hui atteint de nouveau les chiffres de 1982, mais jusqu’à quand ?
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