Le 3 février 2025

- Réalisateur : Saïd Hamich
- Distributeur : The Jokers
– Sortie du film : 5 février 2025
Avec son nouveau film La Mer au loin, le cinéaste Saïd Hamich Benlarbi signe une fresque intime poignante et élégante, qui questionne les notions d’exil et de la famille par l’intime. Rencontre avec un réalisateur à la sensibilité délicate et subtile.
Votre film se déroule sur presque deux décennies et a tout d’une fresque. Souhaitiez-vous vous frotter à ce genre cinématographique ?
Je me suis frotté à l’exercice de la fresque par la nécessité de mon sujet, l’exil. C’est une notion qu’il faut expérimenter pour vraiment la comprendre. C’est un sentiment, un état au monde, qui se construit sur un temps long. Mon cinéma veut interroger cette notion de double identité arabe et française par l’intime. Immigrer ce n’est pas qu’une question d’argent, c’est aussi un parcours intime. Donc l’envie de fresque est venue très vite. Tout comme la notion de mélodrame, avec des références à Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola. Je voulais construire cette dimension intime comme une éducation sentimentale, comme un roman d’apprentissage de la vie, qui interroge comment on s’intègre et comment on se construit une identité, une communauté.
- © 2025 Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production
Comment avez-vous procédé avec votre équipe pour élaborer une telle reconstitution ?
Cela n’a pas été facile car nous avons bénéficié de moyens financiers réduits. Et pourtant les années 90 nécessitent clairement un travail de restitution car c’était il y a trente ans et beaucoup de choses ont changé depuis. Néanmoins, on ne voulait pas tomber dans le piège de l’excès de l’époque, avec une surenchère de costumes ou de décors. Comme je le disais, la clé de cette histoire, c’est l’intime. D’où une retranscription émotionnelle de l’époque. Nous avons joué par petite touche pour différencier les personnages, et ne rien imposer visuellement. L’époque peut exister avec peu de choses, comme un simple costume, une lumière ou une musique spécifique. Il fallait composer un ensemble cohérent et évolutif car le début du film se déroule dans l’univers de la fête, de la nuit, de l’obscurité, puis on tend vers quelque chose de plus extérieur, de plus lumineux. Nous avons travaillé une image contrastée, avec beaucoup de couleurs, afin d’être généreux avec tous les personnages, pour mieux les comprendre et les appréhender.
Ici, Marseille est très cinégénique. Pourquoi avoir choisi cette ville ?
Ces personnages ont des vies cachées, dans les bars, les squats, les cabarets. Le mélodrame amène cela. On trouve souvent de tels lieux à Marseille, une ville portée vers l’horizon, avec la présence de la mer et une forte communauté maghrébine. C’est une métropole qui entretient une relation emblématique entre la France et le Maroc.
Votre film explore également la thématique de la famille et aborde la question de « comment faire famille ». Que vouliez-vous raconter à travers ces deux notions ?
Le personnage de Nour construit son éducation sentimentale grâce à ses rencontres successives. C’est grâce à elles qu’il ouvre son horizon. Quand vous êtes exilé, vous avez un fantasme du pays où vous émigrez, pourtant la vie n’y est pas toujours facile. Et le fantasme du retour dans son pays d’origine n’est pas toujours bon non plus car vos proches ont évolué et ne sont plus nécessairement là pour vous. On se retrouve alors dans ce qu’on appelle une double absence. Dans ce contexte, la terre d’accueil représente les gens qui vous aiment et que vous aimez. C’est ainsi que vous construisez votre propre communauté. Ce personnage peut se reconstruire par la famille. Il n’est pas assigné à quelque chose de normatif, il se construit par quelque chose qu’il choisit, il épouse une communauté de destins, où s’entremêle beaucoup d’amour.
- © 2025 Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production
Il y a une scène décisive vers la fin du film, celle de la confrontation entre Nour et son ami exilé qui lui fait prendre conscience de sa chance…
C’est effectivement une scène décisive car cet ami a connu un exil malheureux. Il n’a fait que travailler durant toute sa vie. Quand vous êtes en exil, vous courrez le risque de ne jamais vous sentir chez vous. Sauf si vous avez la chance d’être entouré. Cet ami lui dit qu’il ne trouvera pas de résolution à sa crise existentielle mais qu’il possède une chose inestimable : il aime et il est aimé. En exil, vous gagnez une altérité, une richesse intérieure, une double vision, vous comprenez plus de choses, mais vous pouvez vous sentir écarté. Il n’y a pas de fatalité, il faut juste l’accepter et vivre avec. Et c’est d’autant plus facile lorsque vous êtes entouré d’amour.
D’où vous est venu un si beau titre, La Mer au loin » ?
Les choses viennent instinctivement au début puis on y réfléchit ensuite. J’aime ce titre car il donne une définition de l’exil et me rappelle le sentiment très fort que j’ai ressenti en quittant le Maroc, alors que j’étais sur le bateau pour rejoindre la France et que je voyais mon pays s’éloigner peu à peu, avant de disparaître dans l’horizon. Et puis, en toute modestie, ce titre s’inscrit dans l’héritage de ceux de films comme Loin du paradis de Todd Haynes, ou Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk. Des œuvres qui me sont chères, qui convoquent le mélodrame.
Propos recueillis par Nicolas Colle
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