Le 26 juin 2017
Dans une industrie hollywoodienne ankylosée, le licenciement des réalisateurs de Han Solo, remplacés par le pantouflard Ron Howard, peut-être considérée comme une décision salvatrice pour l’industrie, en remettant en question une tendance au bâillon chez les jeunes talents.
Le 20 juin, nous découvrions que Lucasfilm se séparait des réalisateurs Phil Lord et Christopher Miller, les deux fanfarons à l’origine de Tempête de boulettes géants, alors en plein tournage du spin-off consacré à Han Solo.
Un différend artistique était né entre l’éternelle productrice Kathleen Kennedy, actuelle présidente de Lucasfilm, et les deux comparses loufoques, issus d’une autre génération jusqu’au style vestimentaire qui posait, visiblement, beaucoup de souci à la business woman, l’une des femmes les plus puissantes de Los Angeles.
Connue depuis 35 ans comme l’une des grandes collaboratrices de Spielberg (elle bosse sur ses films depuis E.T.), elle était l’une des figures centrales de la société Amblin Entertainment (Les Goonies, Gremlins…) qu’elle fonda en 1981 avec le cinéaste barbu et Frank Marshall, son mari depuis 1992 (et réalisateur du drame cannibale Les Survivants).
Ce choc des générations est révélateur du fossé entre l’énergie créative de la nouvelle vague de cinéastes (Miller et Lord sont de jeunes quadra) et le grand verrouillage qu’applique Disney à une époque où leurs productions, Marvel et Star Wars, rapportent au-delà du milliard de dollars dans le monde, à l’issue de l’exploitation salle, et où le piratage des films peut se produire depuis le studio, à partir de sources cinématographiques qui n’ont pas encore été diffusées sur le grand écran (voir le chantage qui a précédé la sortie de Pirates des Caraïbes 5, en mai dernier).
Le manque de liberté dont souffre a priori la nouvelle génération de cinéastes à Hollywood, au cœur de ses studios (doit-on évoquer désormais les Netflix et Amazon parmi ces majors de l’entertainment ?) qui ne peuvent se risquer au moindre accident industriel pour ne pas contrarier les actionnaires, peut évidemment être remis en question par des contre-exemples. Celui de J.J. Abrams, le premier.
En s’appliquant à faire revivre Star Wars, Abrams a su raviver la magie de la trilogie inauguratrice tout en lui insufflant son regard fantaisiste d’enfant des années 80. Toutefois, il est vrai que chez Marvel et Disney, on a moins besoin d’artistes avec un point de vue, que d’artisans efficaces et sérieux (serviles) qui appliquent à la lettre les consignes de leurs supérieurs, Kathleen Kennedy dans le cas présent. On pense également à Lawrence Kasdan, scénariste des Aventuriers de l’Arche Perdue et de la plupart des Star Wars, mécontent du traitement fait à son histoire ;
L’arrivée au pied levé, en remplacement des deux trublions de la pellicule, du vétéran Ron Howard (Cocoon, Rançon, Da Vinci Code), ne doit pas être pris pour un drame mais comme une libération. Certes, cela n’augure rien de bon pour l’ersatz de Star Wars, Ron Howard étant probablement le cinéaste tâcheron par excellence, qui a certes manifesté beaucoup de talent sur des films que beaucoup ont apprécié pendant leurs adolescence, mais qui n’a jamais subjugué par sa présence personnelle derrière la caméra.
La libération de Miller et Lord pourra au contraire être bénéfique à l’industrie hollywoodienne, si les deux auteurs en profitent pour rebondir sur des scénarios originaux qui leur ressemblent et si cela sert de leçon aux jeunes loups prêts à bondir sur n’importe quels blockbusters pour assouvir leurs rêves d’enfant et de fans, au lieu de mettre en oeuvre leurs aspirations personnelles d’artiste : fait-on du cinéma pour travailler sur les histoires des autres ou pour développer les siennes. Matière à réflexion.
Depuis 17 ans et le travail extraordinaire de Bryan Singer et Sam Raimi sur X-Men et Spider-man, qui relancèrent le film de super-héros à une échelle inédite au cinéma, l’essentiel des grands noms bossent sur des films de studio qui sont des suites, prequels, reboots et autres spin-offs, sans chercher à varier l’orientation de leur répertoire. Singer (Usual Suspects et Raimi (Evil Dead) venaient de productions indépendantes hargneuses. A part quelques rares exceptions (Un élève doué pour le premier, Jusqu’en en enfer pour le second), ils ne feront plus que produire et réaliser dans du calibré prêt-à-mâcher. Les auteurs Singer et Raimi ont été tués. Du moins, à moitié, Singer quitte les X-men, mais pour… Superman ! Quant à Raimi, il quitte la production du 4e Spider-Man après un coup de colère contre Sony qui devra repartir à zéro en mettant en chantier le très benêt The Amazing Spider-Man, pour une variation autour du Magicien d’Oz.
spip-slider
Hors du film de super-héros, ces exemples de cinéastes engloutis par le système, se représentent dans d’autres franchises. L’incroyable Peter Jackson passe de Bad Taste et Les Feebles au Seigneur des Anneaux, King Kong et Le Hobbit. Loin de nous l’idée peu sérieuse de remettre en question le talent monstrueux du réalisateur de Brain Dead, mais depuis 20 ans, il ne racontera plus que les histoires des autres, oubliant l’auteur poignant qu’il a été avec Heavenly creatures, si ce n’est en 2009, où il s’embourbe dans un thriller dramatique raté, Lovely Bones.
Chez Warner, Zack Snyder, qui avait imposé un style et un ton sur 300 et surtout Sucker Punch, devient une machine à peaufiner des DC Comics. Inlassablement.
Il a même produit et écrit Wonder Woman qu’il ne réalisait pas.
Démoralisant.
Le néo-zélandais Taika Waititi passe du truculent et original Vampires en toute intimité à Thor 3. Né avec l’intimiste Monsters, Gareth Edwards devient le petit cinéaste à manipuler aux commandes de Godzilla et Rogue One (où il fut lui aussi désavoué, au vu du remontage qu’a connu le projet). L’histoire tournera au drame personnel avec Les Quatre Fantastiques, chez la Fox, mégaproduction super-héroïque démolie par le studio et remontée de façon hallucinante, en raison d’un conflit avec le cinéaste Josh Trank à qui l’on devait le documenteur pertinent Chronicle. Ce fut la fin de la carrière du cinéaste.
En pervertissant le temps d’une trilogie Christopher Nolan, petit génie britannique connu pour ses polars, devenu Mr. Batman sur les trois Dark Knight, Warner a finalement succombé à la rhétorique du réalisateur qui n’abandonnera jamais pour sa part les projets originaux.
Contrairement à l’ancien créateur de Lost ou à Joss Wheadon (Avengers, bientôt un Batgirl), Nolan triomphera parallèlement sur des projets originaux et fédérateurs, de Inception et Interstellar, devenant l’exception à Hollywood. Il sortira d’ailleurs cet été un certain Dunkerque quand Sam Raimi, soi-disant artiste n’a rien réalisé pour le cinéma depuis le projet très original… Le monde fantastique d’Oz (sic). Quant à J.J. Abrams, il n’aura rien réalisé de neuf depuis Super 8, en 2011. Passant de Star- Wars à Star-Trek, le réalisateur se rappelle à nous comme étant aussi le faiseur de Mission : Impossible 3. Beaucoup trop de numéros pour les cinéphiles. Quel gâchis.
A l’heure où Hollywood a planifié tous ses univers (Star Wars, Avatar, Marvel, DC Comics, Dark Universe) pour au moins le siècle à venir, avec la complicité du public qui est conscient de la corruption par l’argent des talents, mais qui ne souhaite pas remettre en question son confort (l’ubérisation du cinéma ou comment avoir un talent sous-employé à sa botte), la crise artistique bat son plein aux USA. Exit les années 70, et sa folie créative (Cimino, Coppola et Scorsese auraient-ils accepter de tourner des Spider-man à la place des Portes du Paradis, d’Apocalypse Now ou de Taxi Driver ?). Hollywood n’est plus que produits prémâchés pour des milléniaux qui ont peur de l’inconnu. La télé a récupéré les talents plus mâtures, pour des séries qui sont souvent lâchées par les chaînes avant leur accomplissement, mais on ne parle alors plus de réalisateurs, de ceux qui sont derrière la caméra des épisodes de Game of thrones, ces techniciens interchangeables, diplômés d’une école de cinéma. L’histoire et les acteurs primeront.
Aussi, voyons le licenciement de Phil Lord et Chris Miller comme la meilleure chose qui puisse arriver au système… Une leçon d’humilité pour de jeunes talents prometteurs qui devraient d’abord essayer d’exister par leurs propres créations, plutôt que par l’œuvre d’autrui, aussi formidable soit-elle et aussi inspiratrice a-t-elle été durant leur adolescence. Au public également d’être plus exigeant, les bons feuilletons, même au cinéma, doivent toujours avoir une fin pour être appréciés à leurs justes valeurs.
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.