Le 1er juin 2025

- Réalisateur : Antoine Besse
- Distributeur : Wayna Pitch
Le jeune cinéaste Antoine Besse, sympathique et volubile, a accepté notre interview à l’occasion de la sortie de son très réussi premier long métrage Ollie, en salle depuis le 21 mai.
AVoir-ALire : Comment avez-vous débuté au cinéma ?
Antoine Besse : Par hasard !
Ado, je faisais beaucoup de skate et de surf dans les Landes, puis ensuite en Dordogne, et parallèlement j’ai toujours aimé voir des films. Mais à la maison, il y avait surtout des DVD comme Batman et du cinéma populaire. Mais, curieusement, mon père aimait beaucoup le cinéaste japonais Akira Kurosawa, et on trouvait aussi quelques autres perles dans sa collection de DVD. Avec mon frère, voir des films, on adorait ça. Mais l’idée d’un métier artistique n’était pas à l’ordre du jour. Pour mon père, issu d’un milieu modeste, qui avait réussi à devenir dentiste, ce n’était qu’un métier de paria. D’autant plus que j’avais un oncle qui galérait à Bordeaux à faire des documentaires. J’ai acheté une caméra pour filmer le skate, j’adorais filmer cette discipline. Sur Internet, c’étaient les débuts, en cherchant des vidéos sur le skate, on tombait sur tout et n’importe quoi : c’était une vraie boîte de chocolats ! C’est comme ça que j’ai découvert Spike Jonze avec Dans la peau de John Malkovich et puis Larry Clark pour Kids notamment. À partir de là, je me suis dit qu’il y avait un autre cinéma et j’ai ainsi découvert le cinéma indépendant américain "indie". Le skate a fini par prendre de moins en moins de place, et le cinéma de plus en plus. J’ai alors décidé de m’inscrire à la faculté de cinéma de Bordeaux. Dans ma promotion, se trouvait un collectif appelé "Cut Box". On y faisait un film tous les deux mois, avec un thème et une contrainte. J’y ai rencontré Jonathan Vinel, qui depuis a signé Jessica Forever et Eat the Night (coréalisés avec Caroline Poggi) ; et aussi Lola Quivoron, à qui l’on doit Rodéo, présenté à Cannes en 2022 dans la section "Un Certain Regard". Pour une petite fac, il s’est développé une réelle émulation. Si je n’avais pas été dans cette incroyable promotion, aujourd’hui, je serais professeur de surf ou de skate, et je me contenterais de regarder des films !
Convaincu que la cinéma était pour moi, je suis "monté" à Paris, ville de toutes les opportunités. À cette époque, j’ai aussi beaucoup voyagé et rencontré de nombreux d’artistes, et j’ai réalisé des courts métrages et des séries. Je m’étais auparavant inscrit à L’ESEC (*École des Métiers du Cinéma et de l’Audiovisuel) après avoir tenté la FEMIS (* École Nationale des Métiers de l’Image et du Son) où je n’ai pas été retenu. Mais dans cette école, je n’apprenais pas grand-chose. Je ne me sentais pas à ma place au milieu de jeunes nantis. Même si je viens d’un milieu bourgeois de province, je n’étais pas des leurs, loin de là ! Moi, j’avais fait un prêt, il fallait que ça marche. Mon père, aujourd’hui très fier de mon parcours, ne voulait pas m’aider "à priori" : "Tu as choisi ce métier, débrouille-toi !". Avant un tour du monde, je me suis dis ça passe ou ça casse. Avant de faire le court-métrage Le skate moderne (* 2014 primé au festival de Grenoble), j’ai découvert Profils paysans : La vie moderne de Raymond Depardon. Lui décrit un monde ancien qui s’effondre, moi je vais choisir de faire un film sur une activité récente et en devenir, mais également à la campagne, et ça à plutôt marché : le court métrage a été présenté dans plusieurs festivals.
AVoir-ALire : Comment avez-vous construit votre scénario de ce premier long métrage ?
Antoine Besse : Au générique, j’en suis le seul crédité mais ce n’est vraiment que sur le papier que j’en suis le seul auteur. Pour moi, on ne fait jamais un film tout seul. Quand arrive le confinement, il s’est passé deux choses importantes pour moi : je voulais faire un long métrage qui reprenait 404 (*2019), un court d’anticipation que j’avais réalisé, dans lequel jouait déjà Théo Christine, que j’avais rencontré dans l’eau en faisant du surf. Je commençais difficilement à trouver un financement : l’anticipation pour un premier long, ce n’est pas facile, quand tout s’est arrêté à cause de la COVID. Confinement, enfermement avec ma copine de l’époque, plus de film... et j’apprends à ce moment la mort de Béranger, le skateur iconique de Périgueux, mort d’une overdose. C’était pour moi la perte d’une idole, le plus fou, le plus drôle, mais aussi le plus inquiétant des skateurs. C’est là que le producteur d’une société aujourd’hui disparue me conseille le scénario d’un long métrage en partant de ce drame, en se conduisant en producteur artistique : "Je prends ton film en développement, je t’aide, je te conseille, mais c’est toi qui vas tout écrire". C’est lui qui m’a aidé, au-delà du skate, à y ajouter une dimension sociale, ou le problème du harcèlement scolaire. La désertification des campagnes, ça vient plutôt de lui, ce n’était pas mon milieu.
Mais pour le personnage du père interprété par Cédric Kahn, j’y ai beaucoup du mien : bourru, fermé et ne voulant pas que je fasse du skate. À l’âge de Pierre, le petit héros du film, je venais de déménager des Landes en Dordogne : après que mon père ait coulé son cabinet, on n’avait vraiment plus d’argent. Bref, l’idée générale, avec toutes ces pistes, c’était le skate à la campagne en forme de chronique provinciale.
AVoir-ALire : Je sais que l’on vous le demande à chaque fois. Quelle est la signification du grand chien blanc ?
Antoine Besse : Le chien blanc, il s’agit de plusieurs trucs. Je voulais faire un film ouvert à tous, mais je suis aussi très attaché aux symboles. On peut penser qu’il représente la mort, mais aussi d’une certaine manière la salvation. D’ailleurs, le scénario laisse volontairement à penser que seuls les deux personnages principaux Pierre et Bertrand sont en mesure de le voir, comme un lien entre eux, unique et secret. Il est à lui seul la vie et la mort. Et comme le dit à peu près Céline dans Voyage au bout de la nuit : "il y a eu plein de morts avant nous, il y en aura plein après, mais tant qu’on est là, il se passe quelque chose".
AVoir-ALire : Comment avez-vous choisi les acteurs ?
Antoine Besse : Tous les jeunes skateurs sont des amateurs. Je les ai choisis, grâce à l’exceptionnelle directrice de casting Florie Carbonne, parmi de vrais pratiquants de la discipline. J’ai sélectionné ceux qui avaient une vraie personnalité, et de plus étaient capables de jouer la comédie. L’intérêt pour moi, pour rendre l’ensemble crédible, était de les faire parler avec leurs mots à eux. Pour le lien avec les professionnels, j’ai eu une chance monstre d’avoir Théo qui a été un fantastique trait d’union. Théo, en plus d’être un super acteur, est aussi un ami proche. Il a donné beaucoup de lui-même et de son temps pour le rôle et pour l’ensemble du film : il a perdu quinze kilos, il a rencontré des camés, il a participé à des réunions de narcotiques anonymes et à des free party. Un côté un peu "Actors Studio" et quelque chose en lui de l’ordre de mystique qui me plaît beaucoup. Il m’a aidé à sélectionner les jeunes acteurs, et les a ensuite beaucoup aidés pour jouer. C’est la production qui m’a proposé Emmanuelle Bercot et Cédric Kahn pour "donner" deux têtes d’affiche au film. Ce sont deux acteurs importants, mais heureusement pour moi, pas trop identifiés par le public. C’est mon duo avec Théo qui a permis de créer le lien et une bonne alchimie entre tous. Ce n’était pas évident, en tant que tout jeune réalisateur, d’être confronté à deux acteurs chevronnés et de plus, tous les deux également cinéastes. Pour la direction d’acteurs, j’ai laissé au maximum chacun apporter de lui-même pour construire son personnage. Avec les jeunes, il y a eu beaucoup de discussions, et en tournage, j’essayais de capter le plus de naturel possible. Au final, je voulais que tout sonne juste.
AVoir-ALire : Comment s’est constituée la bande musicale, très importante aussi ?
Antoine Besse : Il y a deux types de musique. D’abord les morceaux additionnels, les titres du groupe System of a Down, typique du son fusion de l’époque pour ceux, comme moi, nés dans les années 2000. Ensuite, il y a la chanson de Cesária Evora Sodade, qui évoque pour moi la nostalgie, mais une nostalgie curieusement aussi noire que solaire, et donnant aussi un indice sur les origines du personnage joué par Théo. Et d’un autre côté, il y a les musiques originales qui sont dues à Jimmy Whoo. (* compositeur français de synthwave)
AVoir-ALire : Votre participation au festival de Cannes et votre retour sur les avant-premières ?
Antoine Besse : C’était super d’être sélectionné dans la catégorie "Cannes Écrans Junior". Huit films seulement étaient retenus, venant tous d’une nationalité différente, des longs métrages d’auteur orientés vers la jeunesse En plus, on a obtenu la mention du jury.
Le film a aussi été très bien accueilli lors des différentes avant-premières que l’on a réalisées ces derniers mois. Dans les villes, petites et grandes, on présentait sur les places, le concept "Ollie Tour" avec l’équipe, des skateboards floqués des lettres du titre et du gros son.
AVoir-ALire : Vos projets ? Si vous voulez bien en parler.
Antoine Besse :J ’ai deux gros projets en cours.
Un prochain long métrage, qui va se passer dans les Caraïbes, avec toujours Théo Christine et seulement des non professionnels locaux. Le deuxième, ce sera une série télévisée sur la jeunesse provinciale dans la veine de Ollie. J’avance à un rythme mesuré, sans précipitation, et je crois que c’est le secret si l’on veut durer. Et j’ai envie de durer, je voudrais faire ce métier toute ma vie.
Propos recueillis par Fabrice Prieur
(*) Les notes entre parenthèses sont d’AVoir-ALire
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