Le 4 mars 2025

– Sortie du film : 5 mars 2025
Après Vendeur et De grandes espérances, Sylvain Desclous signe Le Système Victoria, un long métrage qui brasse de nombreux genres, de la comédie au thriller, en passant par l’histoire d’amour et le film social. Échange avec un réalisateur toujours surprenant.
Ce film est votre première adaptation. Qu’est ce qui vous a séduit dans le livre original ?
L’auteur Éric Reinhardt m’a contacté pour me proposer l’adaptation de son livre car il s’était souvenu que je lui avais manifesté mon enthousiasme. J’ai accepté avec fierté car je suis un grand admirateur d’Éric et de son ouvrage. Ce qu’il raconte me touche et s’inscrit totalement dans la lignée de mes films précédents et le type de regards que j’ai envie de poser sur le monde dans lequel nous vivons.
En quoi a consisté le processus d’adaptation ?
Éric avait déjà fait une première version de scénario lorsqu’il m’a appelé. Après, c’est une question d’intuition. Il faut savoir pourquoi cet ouvrage vous interpelle si fortement afin de retranscrire dans votre adaptation l’ADN de ce qui vous a attiré. Si vous n’avez pas de vision ou si vous êtes trop fidèle, vous pouvez passer à côté de quelque chose. Éric a d’emblée accepté toutes mes propositions.
En quoi pensez-vous que ce projet s’inscrit dans la continuité de votre filmographie ?
Je n’ai pas assez de recul pour observer le sillon que je suis en train de creuser mais ce que je sais, c’est qu’il y a un fil rouge entre les personnages principaux de mes fictions, et même de mon documentaire, La Campagne de France. Ce sont des personnages solitaires, idéalistes, qui essaient de trouver leur place, un endroit où ils seraient heureux et en accord avec eux-mêmes. Que ce soit un endroit de pratique professionnelle heureuse dans Le Système Victoria. Un endroit où des idées progressistes pourraient s’exprimer et avoir un impact sur les choses dans De Grandes espérances. Dans Vendeur, c’est différent car le personnage principal est en fin de carrière mais son fils veut se réaliser dans sa passion. Ce qui les caractérise tous, c’est à la fois leur insatisfaction et leur espoir.
À l’instar de vos précédents films, celui-ci est à la croisée de plusieurs genres. Est-ce votre intention ?
Ce n’est pas conscientisé au sens où je me dis jamais que je vais faire un film de genre. Néanmoins, c’est lors de la préparation et de la fabrication que, invariablement, mes goûts personnels et les discussions que j’entame avec l’équipe artistique m’amènent à des références conscientisées ou non. J’ai un goût pour les histoires avec une dramaturgie tendue. Cela offre aux spectateurs le plaisir d’aller au cinéma pour avoir du suspense, des rebondissements. Je m’éloigne ainsi d’un cinéma naturaliste. Ici, je voulais faire un thriller vénéneux. Un terme qui qualifie bien le personnage de Victoria. Avec mon chef opérateur, nous avions trois références principales : De grandes espérances de Steve McQueen, Birth de Jonathan Glazer, et Les Hommes du président d’Alan J. Pakula.
Sans spoiler, comment percevez-vous l’aboutissement de votre personnage à la fin du film ? Il atteint ses objectifs mais il perd beaucoup en route…
Certes mais on lui propose de réaliser enfin son projet de toujours, un prototype de maison qui est à la base de son engagement d’architecte. Alors oui, il perd beaucoup mais il a terminé cette tour, son téléphone sonne, et on lui confie ce qu’il a toujours rêvé. Ce n’est pas si noir. Le prix à payer est fort mais il est à la hauteur de ses ambitions. J’aime à penser que, dans un sens, la vie s’offre à lui. Son rêve peut se réaliser. Ce n’est pas un « happy end » mais il y a de la lumière.
Vous démontrez ici tout le mal du capitalisme et du libéralisme outrancier, avec des êtres humains complètement broyés par un système auquel, paradoxalement, ils donnent tout…
Une phrase du livre résume votre analyse : « Les puissants ont compris qu’il n’y a aucun problème à fixer des objectifs irréalisables car ils savent qu’au moins une personne les réalisera, au prix de sa santé, de sa famille, de son sommeil, de sa vie ». Donc ils continuent. Et peu importe ce que cela implique pour les autres.
L’originalité de ce long métrage, c’est de plonger au cœur d’un chantier en construction…
Effectivement, je voulais montrer cette arène peu représentée au cinéma. Les coulisses du métier d’architecte sont fascinantes à filmer alors qu’on ne les voit jamais à l’écran. Je tenais à ce que cette tour soit un personnage. Il fallait la filmer de manière stylisée et cinématographique.
L’autre originalité, c’est ce personnage pour le moins ambigu qu’est Victoria…
Ce qui me fascine avec cette femme, c’est qu’elle a l’air si méchante qu’elle ne peut qu’être plus complexe que cela. Je voulais me confronter à un personnage qui a tout pour se faire détester mais qui soit, malgré tout, un personnage authentique de cinéma que l’on regarde avec curiosité et gourmandise. Par exemple, les scènes de restaurant sont des scènes gourmandes de cinéma tant elles sont inattendues, drôles, vénéneuses, cyniques et puissantes.
Comment en-êtes-vous arrivés à confier vos deux rôles clés à Damien Bonnard et Jeanne Balibar ?
Damien s’est très vite imposé tant il s’avère costaud, terrien, meneur d’homme, mais avec des failles assez apparentes. Son corps et son visage suscitent immédiatement l’empathie du spectateur. Quant à Jeanne, peu d’actrices sont capables d’endosser un costume aussi dur et caricatural en le déplaçant vers quelque chose d’inattendu, de fou, et qui reste longtemps en bouche. Elle joue sur un fil, peut changer de couleur en cours de prise. Elle est de la même trempe que Rebecca Marder qui interprétait le personnage principal dans De Grandes espérances. Elles sont différentes mais vous donnent toutes les deux l’impression qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour qu’elle vous fabrique un truc instantanément. J’ai une idée très précise de ce que je veux, je leur explique, et elles le font mais en amenant également leur magie de l’incarnation, leur cinégénie, leur folie de l’instant, leur capacité à faire un pas de côté qui rend toutes les prises parfaites.
L’alchimie de votre couple fonctionne immédiatement. Vous n’en avez jamais douté ?
Je n’avais aucun doute à ce qu’ils puissent être crédibles et fabriquer quelque chose de surprenant. Cela a d’autant mieux fonctionné qu’ils se connaissaient préalablement. Ainsi, leur alchimie a été immédiate et a servi les scènes de comédie comme d’intimité. Tout le travail de casting consiste à choisir deux comédiens dont on sait que ça va matcher instantanément entre eux. Si cela ne marche pas, c’est que le casting est mal pensé en amont.
Peut-être encore plus que dans vos précédents films, le travail sur le son est ici incroyablement riche. Une explication ?
Je suis gourmand de montage sonore et, en effet, cet exercice était d’autant plus justifié sur ce projet. D’un côté, il y a ces scènes de chantier, où on est presque dans du « design sonore » où le mixage accentue ce sentiment de pression incessante et que cette tour devienne mentale. Puis, de l’autre côté, il y a des séquences plus intimistes dans les restaurants ou les chambres d’hôtel, où les personnages sont comme dans un cocon, protégés des tourments du monde. Cela représente un grand travail de contraste. Le rôle de la musique était d’accompagner cela et de ne jamais relâcher la pression.
Avez-vous de nouveaux projets ?
J’ai un projet en écriture qui est assez différent de ce que j’ai pu faire jusqu’à présent mais je suis convaincu que mon personnage principal s’inscrira dans le sillon de mes précédents. Par ailleurs, j’aimerais beaucoup signer une nouvelle adaptation. Je m’intéresse notamment au livre Le Troisième Reich de Roberto Bolaño.
Propos recueillis par Nicolas Colle
Galerie photos
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