Le 7 juillet 2025
- Réalisateur : Natasha Mashkevich
La cosmopolite et solaire réalisatrice et actrice Natasha Mashkevich, dont la sortie du premier long métrage No Wifi est prévue pour fin 2025, a accepté de répondre à nos questions .
AVoir-ALire : Pouvez-vous revenir sur votre parcours personnel qui n’est vraiment pas banal ?
Natasha Mashkevich : Mon parcours de vie repose principalement sur le travail. Je me suis construite pour m’exprimer par le travail, que ce soit comme comédienne ou comme metteur en scène. Il y a toujours les blessures d’enfance qui sont traitées à travers l’art, et c’est ce qui m’a permis de survivre.
Je suis née au Kirghizistan, pays de l’ex-URSS, bien à l’Est en Asie Centrale. Aujourd’hui, c’est une république indépendante, mais qui a déjà subi trois coups d’État. Après la perestroïka, pour plusieurs raisons, cela devenait invivable pour mes parents : notamment à cause de l’inflation et d’une montée du nationalisme. Alors que j’étais encore petite fille, nous avons donc émigré en Israël.
La politique a toujours eu beaucoup de répercussions dans ma vie : Peu après, à cause de la guerre du Golfe, nous avons été confrontés à une vraie situation de guerre. J’avais alors dix ans, cela m’a beaucoup marquée. Trois ans après notre arrivée, mes parents ont décidé d’émigrer de nouveau, cette fois vers la Belgique. C’était pour moi la découverte d’un pays vraiment en paix. L’enfance a cela de miraculeux en son pouvoir d’adaptation : l’intégration, l’apprentissage des langues... en quelque sorte ça construit, mais paradoxalement ça déconstruit aussi ! En Israël, j’avais déjà commencé à suivre des cours de théâtre à l’école. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de devenir comédienne. Et puis, cela a été mis de côté pendant un temps, parce qu’il y avait pour la famille d’autres préoccupations de vie et de survie.
Petite digression sur mon état civil : Natalia est mon vrai prénom. En Russe, Natalia et Natasha, c’est pareil, sauf que Natasha est plutôt une sorte de surnom amical. Un peu comme pour Macha et Maria. En arrivant en Israël, pour faire mes papiers, les autorités n’ont pas voulu de Natasha, même avec un C. Elles ont donc décidé que je me prénommerai "Nathaly" avec un H et un Y... pour faire plus américain ! Cette position s’est reproduite quasiment à l’identique en Belgique. Depuis, c’est mon prénom officiel d’état civil. Mais pour le théâtre et le cinéma, je suis "revenue" à Natasha avec un S ! À l’époque, j’étais trop petite et je ne me rendais pas compte. Ensuite, j’ai décidé d’assumer et de revendiquer mes origines et mon parcours. Pour mon nom par contre, je n’ai jamais accepté de changer. Mon premier agent voulait que je le simplifie ou que j’en prenne un autre, je n’ai jamais cédé.
À Bruxelles, j’ai intégré "L’Académie", à laquelle on pouvait accéder enfant, alors que je ne parlais même pas encore français couramment. C’est bien le théâtre qui a sauvé mon intégration. Ensuite, j’ai eu mon bac, et là, j’ai pu entrer au Conservatoire Royal. À cette époque, j’ai fait aussi des stages, qui m’ont permis de faire des rencontres avec des professionnels de différentes nationalités. Ce parcours m’a aussi conduite à parler couramment six langues.
Ce qu’il faut, c’est surtout de la détermination. Je vais toujours jusqu’au bout de mes projets. J’ai eu aussi la chance de faire de belles rencontres avec des personnes avec qui je partage les mêmes passions. Je suis reconnaissante envers toutes ces personnes et envers tous ceux avec qui je travaille dans mes différentes activités. Et reconnaissante, je le suis aussi à Dieu.
AVoir-ALire : Comment se sont passés vos premiers pas dans le métier ?
Natasha Mashkevich : Au début de ma carrière, je faisais beaucoup d’allers-retours Bruxelles-Paris où j’ai commencé à travailler. J’y ai notamment rencontré Fred de La Personne qui a cru en moi. Avec lui, j’ai tourné plusieurs courts-métrages et joué ma première pièce à Paris, un Labiche. À un moment, il y a presque vingt ans, j’ai décidé de m’installer définitivement à Paris. Dans le même temps, alors que je jouais une pièce dans un théâtre anglais à Berlin, j’ai rencontré mon futur mari, un producteur brésilien. Je suis aussi passée par Moscou, où j’ai pu jouer, c’était encore possible à l’époque, et bien sûr dans ma langue maternelle. Je commençais aussi à écrire, aussi bien pour le théâtre que pour le cinéma, et j’ai fait mes premiers pas de metteur en scène. J’ai notamment monté Les trois sœurs de Tchekhov.
En 2013, j’ai participé à un seul(e) en scène : Notre Dame de perpétuels donuts de l’Américain Jordan Beswick, mis en scène par lui-même. Je jouais un personnage inspiré par sa tante, une femme pulpeuse et démonstrative. Je l’interprétais avec une perruque blonde. Quand je descendais de scène après le spectacle sans la perruque, les spectateurs ne me reconnaissaient pas !
Je coorganise depuis 2015 avec Michelle Abergel (cinéaste et chanteuse, qui organise aussi des événements liés à la lutte contre les violences faites aux femmes) le festival "Toi, femmes" sous la présidence de Marina Vlady. J’en ai été très flattée, elle a toujours été un mythe pour moi : imaginez ! Une artiste d’origine russe mariée à Vladimir Vyssotski, un prestigieux musicien, russe lui aussi !
À partir de 2017, j’ai aussi tourné deux courts-métrages dans lesquels je tiens aussi un rôle : La lettre à Noémie dans lequel Marina Vlady a accepté de participer, puis Ikram en 2019, à la mémoire de mon chien disparu.
AVoir-ALire : Pouvez-vous nous parler de No Wifi, votre premier long métrage en tant que réalisatrice ?
Natasha Mashkevich : J’avais en tête la thématique depuis longtemps et j’ai mis pas loin de trois ans pour finir le scénario. J’ai beaucoup lu de poésies, et certains romans, de Kundera notamment, pour écrire cette rencontre dans un hôtel. Pour les premiers rôles, j’ai tout de suite pensé à Melina Tatopoulos et Sébastien Drouet, avec qui j’avais déjà travaillé. Ils m’ont dit oui tout de suite ainsi qu’Olivier Tresson, le chef opérateur. Mon mari Roberto s’est chargé de la production et mon père Ilya en a fait la musique. Et c’est vraiment une histoire de famille, car mes enfants jouent les personnages dans leur jeunesse. Le budget a été monté en partie par crownfunding (financement participatif collecté sur une plate-forme Internet). Je tiens aussi à remercier spécifiquement "Le Chouette Hôtel" à Paris, et son manager de l’époque, pour l’accueil : une bonne partie de l’intrigue s’y déroule.
Malheureusement, la COVID a retardé l’ensemble de près de deux ans. Ensuite, après le tournage eurent lieu le montage et la postproduction... et le film a été prêt en 2024 pour une série de festivals qui ont eu lieu en France bien sûr, mais aussi en Turquie, au Brésil, en Bulgarie. Il a obtenu plusieurs prix... Il reste encore quelques avant-premières avant une sortie nationale qui devrait avoir lieu l’hiver prochain.
AVoir-ALire : Quelles sont vos références au cinéma ?
Natasha Mashkevich : J’aime beaucoup le cinéma nordique, slave évidemment, mais aussi d’Extrême-Orient.
Pour citer quelques noms en vrac : J’aime beaucoup les cinéastes comme Terrence Malick. Je pense notamment à The Tree of Life. J’ai toujours aussi été admirative du cinéma d’Andreï Tarkovski.
Parmi les cinéastes actuels russes, pour ne parler que d’eux, je retiens entre autres, Alexandre Sokourov ou encore Andreï Zviaguintsev, notamment pour son film Leviathan.*
* Prix du scénario au festival de Cannes 2014.
AVoir-ALire : Pouvez-vous évoquer vos projets ?
Natasha Mashkevich : J’ai tourné Olma Djon, un film réalisé par une Israélienne d’origine ouzbèke, Victoria Yakubov (il n’y a pas de hasard !) L’image est superbe, on a joué en plein hiver par moins 20, mais le résultat est exceptionnel. Il devrait sortir prochainement.
Je prépare un documentaire que j’ai en tête depuis un moment, sur mon parcours et celui de ma famille. Mais à l’heure actuelle, il est un peu en stand-by. Il est difficile de tourner en Russie et en Israël, on s’en doute bien.
Au théâtre à Paris, je vais participer à une adaptation de La mouette de Tchekhov que je vais codiriger avec Kate Brossard et dans laquelle nous jouerons toutes les deux .
Il y a aussi une autre pièce que je vais jouer, toujours sur Paris, Chaliapine/O’Neill écrite par Amina Zhaman, elle aussi d’origine russe. Sur la base d’une prétendue rencontre entre le ténor russe et le dramaturge américain, elle imagine une œuvre commune qui n’a jamais abouti.
Elle avait fait de même avec Mickaïl Tchekhov (le neveu du dramaturge) et Constantin Stanislavski. Le premier, metteur en scène, fut inspiré par le second, théoricien de l’art dramatique et inventeur de la méthode qui porte son nom. Cette rencontre a vraiment eu lieu à Berlin en 1928 et est à l’origine de la pièce Stanislavski/Tchekhov.
Et bien entendu, je continue à participer à l’organisation des festivals "Toi, femmes" dont l’édition 2025 a lieu ces jours-ci *, et reprendra en septembre.
* Les 29 et 20 juin 2025 à Paris au cinéma Mac Mahon.
Les notes en italiques sont d’AVoir-ALire.
Merci à Marie-José Rosenthal qui a permis cette rencontre et au personnel du "Père Tranquille" Paris 1er où s’est déroulé l’entretien.

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